Térence
en lat. Publius Terentius Afer
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».
Poète comique latin (vers 185 – 159 av. J.-C.).
D'origine africaine, il fut amené très jeune à Rome comme esclave et reçut une bonne éducation dans la maison de son maître Terentius Lucanus. Affranchi, il fit représenter à l'âge de 19 ans sa première pièce, l'Andrienne, et, grâce à son succès, fut accueilli dans les cercles hellénisants des Scipions et des Aemilii. Après avoir fait représenter, de 166 à 160, cinq autres comédies, il mourut au retour d'un voyage en Grèce, où il était allé chercher de nouveaux sujets d'inspiration.
Dans l'Andrienne (166 av. J.-C.), le vieux Simon veut contraindre son fils à abandonner une courtisane d'Andros, qu'il aime, pour épouser la fille de Chrémès ; grâce à l'esclave Dave, on découvre que l'Andrienne est la fille de Chrémès. Aux chassés-croisés traditionnels orchestrés par un valet tantôt trompeur, tantôt trompé, se superpose une savoureuse étude sociale.
Dans l'Eunuque (161 av. J.-C.), le soldat fanfaron Thrason offre à la courtisane Thaïs une jeune esclave, Pamphila. Chéréa, amoureux de Pamphila, se déguise en eunuque pour pénétrer chez Thaïs et viole la jeune esclave : on reconnaît en celle-ci la fille d'un Athénien et elle pourra épouser Chéréa. Très admirée par les spectateurs romains, la pièce témoigne d'une grande recherche psychologique dans l'étude des caractères : une courtisane pleine de délicatesse, un jeune homme, Chéréa, plein de fougue, son frère débauché et indécis.
Dans l'Heautontimoroumenos [le Bourreau de soi-même] (163 av. J.-C.), un vieillard s'inflige des travaux pénibles pour se punir d'avoir chassé son fils, qui voulait épouser une jeune fille sans dot : sur un fond d'intrigue traditionnel (courtisane qui se révèle une fille riche et de naissance libre, esclave rusé, vieillards partagés entre la morale et la cupidité), la peinture, dans une tonalité douce-amère, du conflit des générations et l'appel à une indulgente compréhension d'autrui résumée par la formule fameuse : « Je suis homme : rien de ce qui est humain ne m'est étranger » (I, 1, 25). Baudelaire a repris le titre de cette comédie dans les Fleurs du mal (poème LXXXIII de « Spleen et Idéal »).
Phormion, jouée aux Jeux romains de 161 av. J.-C., raconte comment, grâce aux ruses du parasite Phormion, deux jeunes cousins, Phédria et Antiphon, parviennent à tromper leurs pères respectifs : Antiphon peut ainsi épouser une jeune fille pauvre dont il est amoureux, et Phédria, acheter une jeune esclave musicienne qu'il aime. Prêt à toutes les inventions et à toutes les tromperies pour servir les amours de ses protecteurs, Phormion dirige à son gré l'action de la pièce et a inspiré en partie le Scapin de Molière.
Les Adelphes furent représentées en 160 av. J.-C. lors des jeux funèbres en l'honneur de Paul Émile. L'intrigue oppose deux systèmes d'éducation à travers les aventures amoureuses de deux frères, l'un élevé à la campagne par un paysan bourru, l'autre par un citadin bon vivant. La pièce a inspiré Molière dans l'École des maris.
Enfin l'Hécyre [Hecura ou la Belle-Mère] (160 av. J.-C.) est une comédie sans comique, où un mari se révèle coupable du viol de sa femme avant son mariage : un drame domestique dominé par le personnage d'une belle-mère qui, avec discrétion, se sacrifie pour le bonheur de sa famille.
Le théâtre de Térence reflète bien les goûts esthétiques des milieux intellectuels fréquentés par l'auteur et ses comédies traduisent bien l'évolution du genre depuis Plaute. Les nouvelles théories sont exposées par Térence dans les prologues de ses comédies, à la fois manifestes littéraires et réponses aux détracteurs qui accusaient le jeune affranchi de plagiat et de contamination. À la différence du théâtre de Plaute, les pièces de Térence comportent peu de péripéties dramatiques et les intrigues amoureuses, empruntées à la Nouvelle Comédie grecque (Ménandre, Apollodore de Caryste), manquent d'originalité. Cependant, la nouveauté du théâtre de Térence réside dans les prolongements psychologiques que l'auteur donne à ses sujets. C'est ainsi qu'il multiplie dans chaque pièce les types traditionnels et nuance leur caractère : deux vieillards dans les Adelphes, deux belles-mères dans l'Hécyre ou trois esclaves dans l'Andrienne présentent les différents aspects d'un même personnage. Ce procédé contribue à donner une plus grande humanité à ces types proches de la réalité familière. Et c'est à travers eux que l'auteur pose les données des problèmes psychologiques qui constituent le sujet essentiel de ses pièces : crise de conscience, rapports parents-enfants ou problème de la meilleure éducation. Ce sont en fait les questions débattues dans les milieux philosophiques que reprend Térence dans ses comédies et l'on comprend que ces dernières aient rencontré peu de succès auprès du public romain qui préférait la verve populaire de Plaute : Térence ne fait pas rire en dépit de la gaieté de quelques pièces ; il manque de couleurs et de pittoresque et perd en force ce qu'il gagne en pénétration : c'est de la comédie de mœurs, voire du drame bourgeois. La langue de Térence, modérée, peu variée, reproduit le ton des conversations de la bonne compagnie et annonce le classicisme latin du ier s.