Jonathan Swift

Jonathan Swift
Jonathan Swift

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Écrivain irlandais (Dublin 1667 – id. 1745).

Fils posthume, élevé dans la misère, humilié par la charité de ses oncles, il obtient ses diplômes « par grâce spéciale », fuit l'insurrection de 1688, entre au service de sir William Temple, parent éloigné de sa mère. Sa vie sera une longue attente déçue d'un népotisme incertain. Il regagne l'Irlande et se réfugie dans le clergé anglican (1695), mais l'hostilité du village est trop forte. Il retourne auprès de sir William Temple, dans le Surrey, où il demeure jusqu'à la mort de ce dernier en 1699. Il y écrit la Bataille des livres (1696-1704), qui épouse le parti des Anciens contre les Modernes. Virulent procès contre les dissensions de la Réforme, le Conte du tonneau (1704) plaide pour la réconciliation des Églises et confirme l'irritation contre les cloisons artificielles qui paralysent la charité. L'essentiel de l'attaque porte sur les dissidents et le prophétisme populaire. Devenu précepteur d'Esther Johnson, Swift l'épousera sans doute en secret, mais ne partagera pas sa vie. C'est à elle qu'il adresse les lettres du Journal à Stella, publié en 1766-1768. Vanessa (Esther Vanhomrigh, rencontrée en 1707), amante frustrée, meurt en 1723 ; sa mort inspirera à Swift Cadenus et Vanessa, hymne à une relation amoureuse impossible. Grâce à lord Berkeley, il devient titulaire de la paroisse de Laracor, dans le comté de Meath. Âpre parodie des homélies de Boyle, la Méditation sur un manche à balai (vers 1705 ?), Baucis et Philémon (1707) précèdent l'Argument contre l'abolition du christianisme (1708), première systématisation de l'inversion parodique. Déçu par ses protecteurs, il abandonne les Whigs et se rallie aux Tories, partageant le pseudonyme d'Isaac Bickerstaff avec Steele, multipliant les pamphlets (la Conduite des Alliés, 1711). Renégat par pureté ou par déception, il est nommé doyen de Saint-Patrick à Dublin (1713). Les Lettres de M. B. drapier (1724) vitupèrent une manipulation monétaire dont souffrira l'Irlande. En 1726 paraissent les Voyages de Gulliver. À première lecture, on est émerveillé par l'ingéniosité, l'allégresse et la transparence du propos soutenu par des images quasi mystiques : Gulliver enchaîné par la foule des nains sur la plage de Liliput, transformé en poupée par la jeune géante de Brobdingnag, ahuri par les vêtements géométriques des savants fous de Laputa, fuyant le désir des ignobles femelles Yahoos auprès de son maître cheval. La seconde lecture inquiète : il n'y a place que pour l'indignation et la honte. D'Irlande Swift répond à Defoe. Robinson (1719) bâtissait son indépendance, Gulliver rêve d'une indépendance « bonne ». Tout parle contre l'humanité et son intarissable prétention. « Capable de raison », l'Anglais se révèle « la race la plus exécrable que la terre ait portée ». Jubilation morose, animosité luthérienne surgissent derrière la philanthropie. Dans son quatrième voyage, Gulliver pleure de se voir refuser l'adoption par les Houyhnhnms, ces chevaux dotés de raison qui n'ont que mépris pour les Yahoos, ces bêtes brutes à forme humaine. C'est l'utopie grise d'une surhumanité sans instinct ni souillure : la révulsion est l'aune de la raison. Le désir de transparence et de rationalité débouche sur la haine des miroirs et de soi : l'homme n'est pas à l'image de Dieu. Après la mort de Stella (1728), la Modeste proposition pour que les enfants des pauvres d'Irlande ne soient plus un fardeau pour leurs parents ou leur pays et pour les rendre utiles au public (1729) suggère de manger les bébés pour résoudre le problème de la surpopulation en Irlande : sous la satire politique et l'humour noir, Swift se dresse contre la désacralisation du monde. Les Vers sur la mort du Dr. Swift (1731), la Rhapsodie sur la poésie (1733), les Instructions aux domestiques (1745) affectent le cynisme de la générosité contrariée. Passées les incertitudes du désir d'adoption, il sombre dans les douleurs de la rage. En trente ans, le vieil homme en colère est devenu l'idole des Irlandais. Frappé de désordres de l'oreille interne, piégé par la folie avant de parvenir « là où l'indignation féroce ne lui déchirera plus le cœur », il consacre sa fortune à la fondation d'un des premiers « asiles d'aliénés » d'Europe. De ce monstre de compassion, martyr de la dignité, on fera bien à tort un écrivain pour enfants en limitant Gulliver à son fantastique de surface.

          

LES ŒUVRES PRINCIPALES DE JONATHAN SWIFT
1692Ode to the Athenian Society.
1701A Discourse on the Contests and Dissensions between the Nobles and Commons in Athens and Rome....
1704A Tale of a Tub (écrit entre 1696 et 1699).
The Battle of the Books (écrit vers 1697-1698).
The Mechanical Operation of the Spirit.
1708The Predictions for the Year 1708... by Isaac Bickerstaff, Esq..
An Argument against abolishing Christianity in England.
The Sentiments of a Church of England Man...
1709A Project for the Advancement of Religion....
Hints towards an Essay on Conversation (publié en 1763).
1710A Meditation on a Broomstick.
Premières lettres du Journal to Stella (poursuivi jusqu'en 1713 et publié en 1784).
1711The Conduct of the Allies.
1712A Proposal for Correcting, improving and ascertaining the English Tongue.
1714The Public Spirit of the Whigs.
1724The Drapier's Letters.
1726Travels into Several Remote Nations of the World by Lemuel Gulliver, first a Surgeon, and then a Captain of Several Ships.
Cadenus and Vanessa (écrit en 1712).
1728A Short View of the State of Ireland.
1729A Modest Proposal....
1738Complete Collection of Genteel and Ingenious Conversation(commencé vers 1731).
1745Directions to Servants.
1758The History of the Four Last Years of the Queen.
1765Thoughts on Religion.

 

Jonathan Swift
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Jonathan Swift, les Voyages de Gulliver
Jonathan Swift, les Voyages de Gulliver