August Strindberg
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».
Écrivain suédois (Stockholm 1849 – id. 1912).
Surtout connu comme dramaturge (mais sa production est bien autrement vaste et diverse), l'écriture fut son salut : elle lui permit, à partir d'images obsédantes dont il faudrait établir le catalogue, de réaliser toutes les audaces, métamorphoses, dédoublements ; elle seule fut capable d'abolir la démarcation, pour lui arbitraire, entre rêve et vie réelle, et c'est par elle qu'il parvint à communiquer ce « feu » dont, il l'a avoué une fois, il fut littéralement possédé.
La première phase de sa vie (1849-1867) est dominée par une inacceptation fondamentale : entre le petit commerçant médiocre que fut son père et qu'il méprisait, et la « servante » d'auberge, sa mère, pour laquelle il éprouva une passion justiciable de la psychanalyse, on le sent désaccordé dès l'enfance. Et c'est naturellement qu'il nourrira sa jeunesse des grands « révoltés » romantiques : Almquist, Schiller, Byron, puis, Brandes, Kierkegaard et tous les radicalistes scandinaves.
Divers métiers d'étudiant pauvre émaillent une jeunesse contestataire (1867-1877), dont l'insatisfaction va s'exprimer essentiellement par le drame Maître Olof (Trois versions : en prose 1872 et 1874 ; en vers 1876), où s'affirment l'intransigeance de la vocation, la rage d'absolu et le déchirement des êtres d'exception. Ouvrage capital qui fait admettre d'emblée le théâtre comme la projection sur scène de l'univers intérieur de l'auteur. S'imposent dès lors un thème selon lequel la vie n'est pas, ne peut pas être ce que nous en attendons, et un ton qui va stigmatiser tout et tous, État, Église officielle, société, Dieu et, la Femme, à laquelle il ne sera jamais pardonné de n'être pas à la hauteur des rêves de perfection, d'idéal et d'absolu d'amour qu'on voudrait mettre en Elle.
C'est d'ailleurs, logiquement, la Femme irréductible qui va marquer la période 1877-1883, où il épouse l'actrice Siri von Essen (pour divorcer plus tard), exhalant sa haine dans un roman, le Cabinet rouge (1879), fustigeant l'ange-madone, esprit pur, démon-vampire dans la Femme de sire Bengt (1882). Des pamphlets polémiques anarchistes (le Nouveau Royaume, 1882) ameutent tant d'ennemis qu'il doit fuir (France, Suisse, Allemagne), se débattant en outre avec sa propre maladie : paranoïa, manie de la persécution, situation qui ne permet plus que quelques échappées poétiques (Poèmes en vers et en prose, 1883).
En France, il découvre le naturalisme qui va dominer ses années 1884 à 1891, mais ne lui servira jamais que de prétexte. Il y apprécie la dénonciation des tares congénitales du monde moderne qui va lui inspirer son « autobiographie » : Dans la chambre rouge (1886-1909) qu'il doublera du Plaidoyer d'un fou (1887-1888), écrit directement en français (1892). Le recueil de nouvelles Mariés (1884-1886), par sa misogynie exacerbée lui vaudra une assignation en justice, puis l'acquittement. L'implacable roman les Habitants de Hemsö (1887), qui montre l'ascension puis l'écrasement d'un parvenu, révèle ce qu'étaient les capacités de l'écrivain dans ce genre qu'à cette époque justement il va délaisser. Il décide de se confier au théâtre, mieux adapté, selon lui, pour crier comment les hommes et le destin se conjuguent pour écraser, dissoudre, annihiler une personnalité. Les esprits supérieurs sont incompris de la masse, la vie n'est qu'une lutte sans merci pour écraser tout ce qui sort du commun. C'est la période des pièces dites « naturalistes », qui restent la partie la plus connue de son œuvre immense. Le Père (1887), Camarades (1888), Créanciers (1889), une tragi-comédie en 3 tableaux, mettent au jour les grands thèmes strindbergiens (doute sur la paternité, combat des sexes vu sous l'angle de la « lutte des cerveaux », « meurtre psychique » par suggestion et hypnotisme, misogynie) qui éclatent avec une intensité et une cruauté qu'expliquent les tourments personnels analysés dans le Plaidoyer d'un fou. Mademoiselle Julie (1888) marque les théories naturalistes d'une empreinte très personnelle : guerre des sexes, lutte des classes, la pièce raconte la destruction d'une jeune comtesse qui s'est donnée à son valet de chambre, une nuit de la Saint-Jean, et tombe ainsi sous le pouvoir d'une âme servile. Un fait divers destiné, dans l'esprit de Strindberg, à illustrer la théorie de Darwin sur la survie du plus fort et du plus apte : en réalité, une expérience de physiologiste qui révèle la sourde puissance des instincts élémentaires. Un remariage avec l'Autrichienne Frida Uhl (divorce en 1897) et un retour en Suède marqué par la découverte de Swedenborg orientent la recherche vers l'occultisme et l'alchimie, visibles dans l'étrange roman Axel Borg (1890).
La dernière partie de sa vie (1892-1912) ne met un terme ni aux errances, ni à la frénétique application à disséquer « les fantômes du moi » dans d'impitoyables pièces (le Lien, 1892 ; Amour maternel, 1893). L'alchimie inspire de bizarres essais, mi-scientifiques, mi-illuminés (Antibarbarus, 1894). Le monde est fait d'appels, de signes, de correspondances entre réalité misérable et univers céleste ; un jour, les doubles séparés seront réunis ; en attendant, il faut souffrir, par la Femme notamment. La tension est telle qu'il n'y résiste pas : c'est la crise d'Inferno (1897, en français), dont il ne se délivrera qu'en écrivant après s'être enfin fixé définitivement à Stockholm, en 1899. Ce seront ses pièces dites « expressionnistes », les plus belles peut-être, le Chemin de Damas (1898-1904) et les « mystères » (Pâques, 1901) ou Crime et crime (1899). L'Histoire lui servira de prétexte : Erik XIV (1899), Charles XII (1903), le Songe (1902, représenté en 1907), spectacle onirique qui illustre le mal de vivre et les souffrances de l'humanité. L'auteur y mêle improvisations et expériences vécues, et, pressentant les théories freudiennes, multiplie les personnages qui sont autant de doubles du rêveur.
Un nouveau mariage en 1901, avec l'actrice norvégienne Harriet Bosse, suivi d'un nouveau divorce en 1904, confirme que le seul refuge est décidément dans la création littéraire. Il s'est créé une tribune, le Théâtre intime, où il fait jouer des chefs-d'œuvre, la Sonate des spectres : représentée en 1908, où la haine, le viol, et le mensonge font de l'existence humaine un fantôme de vie, et de la mort la seule réalité.
L'influence qu'il a exercée, en Scandinavie et ailleurs, reste incalculable. À plus d'un demi-siècle de distance, cette œuvre, avec ses flagrantes faiblesses et ses énormités, voire ses naïvetés, reste exemplaire d'une quête éperdue de vérité. Il est peu d'exemples de pèlerins de l'absolu qui aient mené aussi loin – jusqu'aux frontières du silence – une entreprise exactement ontologique.
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