Samuel Taylor Coleridge
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».
Poète et philosophe anglais (Ottery Saint Mary, Devonshire, 1772 – Londres 1834).
Treizième et dernier enfant d'un pasteur, marqué par l'absence maternelle et la rivalité fraternelle, il s'enthousiasme pour la Révolution française, dont il intériorise l'échec. Son projet de communauté utopique (la « pantisocratie ») ayant avorté, il s'engage dans les dragons, est renvoyé pour folie, épouse sans l'aimer la belle-sœur du poète Southey. Il tente une percée théâtrale (la Chute de Robespierre, 1794), puis journalistique (le Guetteur, 1796) et découvre son « vrai frère » en Wordsworth. Surveillés par la police dans la région des Lacs, tous deux pansent par la poésie leurs blessures : Poèmes (1797), Ode à la France (1797). Christabel, narration « gothique » inachevée, et Kubla Khan, prétendue transcription d'un rêve sous l'effet de l'opium, où s'accumulent toutes les métaphores romantiques de la création, ne seront publiés qu'en 1816. Avec Wordsworth, il publie en 1798 un recueil de Ballades lyriques, qui s'ouvre sur le Dit du vieux marin, imitation de ballade populaire, voyage spirituel et surnaturel au bout de l'angoisse. Coleridge dit son désespoir de survivant, partagé entre Vie dans la Mort et Mort dans la Vie, et le mystère des culpabilités sans faute, des expiations sans fin : c'est l'âme qui est « étrangère » dans la « civilisation ». À cette période heureuse de confiance dans son génie succèdent le désespoir et la paralysie spirituelle des âmes sans vouloir (Désespoir, 1802). Déçu dans son mariage, froissé par le conformisme croissant de Wordsworth, il veut, contre l'opium, prendre sa vie en main. Secrétaire du gouverneur de Malte (1804), journaliste (The Friend, 1809), traducteur de Schiller et de Kant, il prêche de ville en ville la naissance d'une raison organique qui ne soit plus l'intellect desséché des Lumières. Évitant à peine l'internement, il maintiendra jusqu'à sa mort une réputation méritée d'oracle. Littérature, Église, État, nation, tout peut se rénover si naît une vision qui guérira l'humanité blessée : l'inconscient, le symbole, la croissance sont commandés par l'image d'une totalité absente qui les informe. Contre l'utilitarisme « réaliste » (la civilisation), il faut construire la culture, dont les institutions seront le reflet. Le salut collectif passe donc, comme chez Blake, par l'imagination vraie, où l'âme entre tout entière (à ne pas confondre avec le simple jeu de l'imaginaire, fancy). L'imagination seule assure l'individuation des consciences : c'est en modifiant les images de son désir que l'humanité invente son destin. Newman, Jaspers, Emerson, Melville reprendront cette exigence d'unité : l'angoisse, le désir d'être aimé, le refus des règles au profit des lois du vivant établissent le pont entre le subjectif et le collectif. C'est l'avenir qui travaille les choses. Biographia Literaria (1817), Aides à la réflexion (1825), Constitution de l'Église et de l'État (1830), les Lettres (posthume, 1956-1968) et les Carnets (1957) appliquent à tout ce qui vit, dans le gel et le morcellement, l'aspiration à l'unité dont Coleridge fut – dans l'imagination fantastique, la confidence lyrique ou la réflexion théorique – le plus malheureux et le plus tenace des témoins.