Sławomir Mrozek

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Écrivain polonais (Borzecin 1930-Nice 2013).

Il est journaliste débutant à Cracovie lorsqu'il publie son premier recueil de nouvelles (les Demi-Cuirasses pratiques, 1953), chronique féroce des premières années de l'après-guerre en Pologne. La publication de l'Éléphant (1957) lui assure une place définitive dans les cercles littéraires polonais. Il s'installe à Varsovie où il édite Noce à Fouilly-l'Atome (1959), une satire de la société socialiste des années 1950. Il campe un monde qui sombre dans la schizophrénie. On ne peut y échapper que par le rire, mais non sans angoisse.

Dans le Progressiste (1960), la Pluie (1962), Mrożek montre une marionnette humaine empêtrée dans les rôles qu'elle s'attribue. La démarche intellectuelle de ses personnages, dont ils ne semblent pas avoir conscience de la logique, les mène à leur perte. Ils ne comprennent le monde dans lequel ils vivent qu'en se référant à des schémas (langage, idéologies, coutumes) qui les emprisonnent dans une situation à l'issue toujours désastreuse. À l'exception des protagonistes de la Police (1958), tous les héros subissent un échec. Le spectateur ne ressent ni compassion ni crainte à la vue de leur souffrance ; il est gagné par le rire et la pitié tant leurs motivations sont misérables (protection d'un confort étriqué, désir d'éviter tout effort, besoin de plaisir à bas prix). L'espace est fermé, la scène devient prison, le lieu et le temps de l'action sont impossibles à replacer dans le réel, et pourtant la présence du monde réel est manifeste.

Mrożek utilise deux formes dramatiques. Il excelle dans la pièce en un acte (Strip-tease, 1961 ; les Émigrés, 1974, la Chasse au renard, 1977). La conclusion est connue dès le début (les émigrés ne rentreront pas chez eux). Ce sont l'attente de la catastrophe et les joutes de personnages que tout oppose qui font l'intérêt du spectacle. Tango (1964), qui est au commencement de la renommée mondiale de Mrożek, est la meilleure de ses pièces en plusieurs actes. Il y présente des événements qui, a priori, semblent relever d'une histoire privée, familiale (la place de l'enfant). D'acte en acte, le spectateur s'aperçoit pourtant qu'une histoire plus générale émerge : la crise de l'idée de progrès dans la société. Il lui est dès lors impossible d'entendre littéralement ce qui se passe sur scène. Sous le grotesque des personnages et l'incohérence apparente des dialogues, ressortant le tragique et la dignité d'hommes étrangers à eux-mêmes et au monde, qui cherchent désespérément un sens à leur existence (Heureux Événements, 1973) sans qu'il puisse en découler pour autant dans un monde qui n'est pourtant pas absurde. Dans les pièces écrites après 1975, les personnages sont eux aussi gagnés par une ambiguïté croissante (le Pic du bossu, 1975, le Tailleur, 1978 ; l'Ambassadeur, 1981 ; le Résident, 1986).

L'extraordinaire capacité de mimétisme du langage mise en œuvre par Mrożek tire des effets comiques du jargon emphatique de l'émulation socialiste, du mélange dans un même récit du sabir pseudo-scientifique de la science-fiction et du parler faussement paysan, des interpénétrations de niveaux de langue et des quiproquos qui en résultent. Elle contribue au succès sans pareil de Mrożek en Pologne (même au cours des décennies où, officiellement, il est mis à l'index), comme à l'étranger.

En 1963, il part vivre en Italie. En 1968, à Paris, il proteste contre la répression du Printemps de Prague. Son passeport polonais lui est retiré et il se voit contraint à l'exil, en France d'abord où il obtient la nationalité française en 1978, puis au Mexique. Il regagne la Pologne après la chute du communisme et vit à Cracovie. Sa célébrité de dramaturge éclipse l'auteur de nouvelles et de satires (Moniza Clavier, Petites Lettres, Dénonciations) qui brillent par leur causticité magnifiquement servie par un style lapidaire.