Adolfo Bioy Casares

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Écrivain argentin (Buenos Aires 1914 – id. 1999).

Influencé par son ami Borges avec lequel il collabora souvent, il conçoit un fantastique qui s'attache à retrouver, de façon logique, les thèmes de l'étrange et de l'absurde pour en tirer un effet maximal, mais toujours calculé, de déréalisation. Avec sa femme, Silvina Ocampo, il compose ainsi une nouvelle policière (Ceux qui aiment haïssent, 1946), mais son récit le plus célèbre reste l'Invention de Morel (1940) : il y reprend les données de l'Île du docteur Moreau de H. G. Wells pour en récuser les conventions. Le narrateur, prisonnier évadé, s'est réfugié sur une île qu'il croit déserte. Il ne tarde guère à découvrir la présence énigmatique, renouvelée à intervalles réguliers, d'un groupe d'individus qui ne semblent pas le remarquer. Parmi eux se trouvent une femme, Faustine, dont le narrateur deviendra amoureux, et un homme étrange, Morel, inventeur d'une machine fantastique mise en marche par les grandes marées. Le héros découvrira peu à peu que la fonction de celle-ci est de restituer physiquement des personnages qu'elle a photographiés dans le passé : les intrus qu'il rencontre dans l'île ne sont que des fantômes qui vivent dans un temps différent du sien. Pour rejoindre Faustine, il trouvera le moyen de s'intégrer, grâce à la machine, mais au prix de sa vie, aux scènes du passé où apparaît son aimée, sans être dupe de l'illusion qu'il se crée ainsi. Écrite selon les meilleurs ressorts de la science-fiction, cette fable est une douloureuse métaphore sur la solitude de l'homme, sur l'incommunicabilité et sur l'échec de l'amour. Les Nouvelles fantastiques (1945), Plan d'évasion (1945) et Dormir au soleil (1973) renouvellent la question : dans ce dernier récit, sous une fiction psychiatrique et dans le jeu d'un échange d'âmes, assimilé à une cure médicale, l'auteur ruine le principe d'identité du moi. Le changement du personnage est proprement fantastique (il a reçu par une opération chirurgicale l'esprit d'une autre personne) et cependant rigoureusement mécanique (le moi n'est pas la possession d'un sujet, il est substituable). Ces transferts, comme le cinéma de l'Invention de Morel, supposent une pensée capable de les concevoir : telle est la dimension fantastique de la pensée qu'elle est tous les objets, même immatériels, à la fois, et que les objets du monde ne sont que ses réalisations ponctuelles. On doit encore à Bioy Casares une « adaptation » de l'Ulysse de Joyce (le Songe des héros, 1954) et le Journal de la guerre au cochon (1969), récit d'une semaine pendant laquelle les jeunes gens de Buenos Aires traquent les quinquagénaires.