Éthiopie
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».
C'est au cours de la seconde moitié du ier millénaire av. J.-C. que des émigrants d'Arabie du Sud, installés sur la côte et sur les hauts plateaux de l'Éthiopie septentrionale parmi les populations indigènes Agaw et Bedja, jetèrent les bases d'une culture originale qui devait trouver son épanouissement au ier s. apr. J.-C. dans le royaume d'Aksoum.
La période ancienne
Les Sud-Arabiques avaient apporté avec eux leur écriture, qui devait donner naissance à l'écriture éthiopienne, en même temps que se forgeait la langue guèze. Les rois d'Aksoum élargirent l'horizon en portant leurs armes jusqu'à Méroé et au Yémen et en nouant d'étroites relations avec l'Égypte ptolémaïque. L'Éthiopie s'ouvrait ainsi à la civilisation hellénistique et le grec devenait la principale langue des échanges. C'est aussi d'Égypte que vint le christianisme : l'Église éthiopienne resta désormais liée au siège de saint Marc et à la doctrine monophysite du patriarcat d'Alexandrie. Et c'est du grec que furent traduites les œuvres de la littérature chrétienne, en premier lieu la Bible.
On ne connaît ni la date, ni les auteurs, ni le modèle de ces traductions. Dans l'absence complète de documents contemporains (les manuscrits les plus anciens datent du xiiie ou du xive s.), on en est réduit aux hypothèses. L'opinion la plus généralement admise est que la Bible a été traduite du grec, pour l'essentiel entre la fin du ive et la fin du ve s. : le Nouveau Testament sur l'original grec, dans la version syro-occidentale plutôt que dans celle d'Alexandrie, et l'Ancien Testament sur le texte des Septante. Avec l'arrivée des moines syriens, principaux artisans de l'évangélisation de l'Éthiopie aux ve et vie s., des traductions syriaques ont dû être utilisées en complément des textes grecs et l'on a pu consulter aussi sur certains points, où l'hébreu se reflète dans la version éthiopienne, des Juifs sans doute immigrés d'Arabie du Sud, mais non pas des Falachas, car ceux-ci ignoraient l'hébreu. Comme les traductions ont été ensuite révisées plusieurs fois, notamment à partir du xive s., sur les versions arabes, les éditions plus récentes reflètent la complexité des sources. Outre les livres canoniques, la Bible éthiopienne contient les textes d'apocryphes, qui ne sont parfois connus que par la version éthiopienne. On date de la même période la traduction d'œuvres intéressant l'institution monastique (Vie de saint Antoine, Vie de saint Paul ermite, Règle de saint Pacôme), d'un ouvrage de patristique (le Qêrillos) composé d'écrits et de fragments favorables à l'interprétation monophysite, ainsi que du Physiologus, recueil grec de notices sur les animaux, les plantes et les minéraux. Toutes ces traductions servirent de modèle aux écrits postérieurs.
Il devait y avoir aussi une littérature orale dont on peut soupçonner l'existence parce que la tradition s'en est maintenue chez les Amhara, les Tigréens ou les Agaw : récits historiques et mythiques, contes, fables, chants guerriers et lyriques, prières, psalmodies, proverbes rimés. Mais l'on n'en a aucun témoignage direct.
Le royaume d'Aksoum disparaît, vers le xe s., sous l'effet conjugué du blocus imposé par l'expansion musulmane, des invasions bedja et du soulèvement des populations non sémitisées, notamment agaw. C'est au milieu de l'une d'entre elles, les Agaw du Lasta, qu'apparaît au cours du xiie s. une dynastie chrétienne, celle des Zâgwê, qui rétablit les liens avec Alexandrie et Jérusalem et à qui on attribue les premières constructions d'églises monolithes. En 1270, le dernier roi zâgwê doit céder la place à un prétendant d'origine amhara, qui se réclame de la descendance de Salomon et de la reine de Saba. On ne connaît rien de l'activité littéraire pendant ces siècles troublés. Mais un brillant renouveau accompagne l'essor de la nouvelle dynastie.
La grande époque (xive -xve s.)
L'expansion de la domination amhara s'accompagne de la diffusion du christianisme et les monastères se développent aux avant-postes de la colonisation. La littérature est l'œuvre des moines ; elle est principalement ordonnée à des fins religieuses ou à l'exaltation de la monarchie. Profane ou sacrée, elle est tout imprégnée de culture chrétienne et nourrie de citations pieuses. Bien que l'amharique soit devenu la langue parlée, et officiellement imposée aux populations conquises, elle reste écrite en guèze, langue savante et liturgique.
L'Église éthiopienne étant liée au patriarcat d'Alexandrie, la littérature éthiopienne bénéficie alors de l'essor littéraire de l'Église copte et s'enrichit de la traduction de nouvelles œuvres provenant d'Égypte. Ces traductions sont désormais toutes faites d'après la version arabe, quelle que soit la langue originale. Les plus anciennes sont la Légende du prophète Habacuc (datée sur le manuscrit de 1293), le Sênodos, recueil des canons de l'Église copte, et l'Histoire universelle de Georges ibn-al Amid, à la fin du xiiie ou au début du xive s., l'Histoire des Juifs de Joseph Ben Gourion et le Roman d'Alexandre du pseudo-Callisthène, au début du xive s. On peut attribuer aussi à cette période les premières révisions des Écritures sur des textes arabes et la traduction de divers livres liturgiques.
Une seconde vague de traductions fut entreprise sous l'impulsion du métropolite Salama (1348-1388) : afin de lutter contre les tendances hérétiques ou dissidentes qui se faisaient jour dans les controverses théologiques, il voulait renforcer les relations avec l'Église d'Égypte et faire connaître en Éthiopie toute la richesse spirituelle de l'Église copte. Ainsi furent traduites les œuvres égyptiennes qui devaient connaître un grand succès et servir de modèle à l'hagiographie indigène : Vies des martyrs, Vies des apôtres, et surtout le Synaxaire, recueil de notices hagiographiques classées selon le calendrier liturgique ; aux saints orientaux et égyptiens furent ajoutés, par la suite, des saints éthiopiens, donc des notices originales.
Du xive s. datent aussi les premières grandes œuvres de la littérature éthiopienne : la Gloire des rois, rédigée, entre 1314 et 1332, pour affirmer la légitimité de la dynastie salomonide et qui amalgame des éléments de la tradition orale avec des passages traduits ou résumés de l'arabe ; l'Histoire des guerres d'Amda Seyon, qui est la première grande chronique royale ; le Livre des mystères du Ciel et de la Terre, ouvrage ésotérique réservé explicitement aux initiés, qui comprend une interprétation de la Genèse dans le sens d'un symbolisme chrétien, une explication de l'Apocalypse de saint Jean et des mystères de la Divinité et des Nombres ; le Roman chrétien d'Alexandre, amplification du roman du pseudo-Callisthène et dans lequel Alexandre devient un héros chrétien. On fait remonter également à cette époque les débuts de la poésie sacrée : hymnes dialoguées relatant la Passion ou la vie des martyrs, interprétées à l'office quotidien.
Le courant de traductions se ralentit au xve s. et ne joue plus le même rôle de stimulant de la création littéraire. Le domaine de l'hagiographie s'enrichit cependant de deux opuscules d'origine grecque, grossis d'additions égyptiennes, traduits en 1487-1488 (les Actes et les Miracles de saint Georges), de l'adaptation, avant 1425, de la Vie de saint Alexis (qui transpose la vie de ce saint de Rome à Byzance) et des hagiographies de saints arméniens, témoignages des relations étroites entre l'Éthiopie et l'Arménie, qu'illustre aussi l'histoire de saint Êwostâtêwos. Deux ouvrages ont été appelés à une notoriété durable : le Livre des moines, réunion de trois traités d'origine syriaque sur l'ascèse et la vie monastique, et surtout le Livre des miracles de Marie, traduit de l'arabe dans la première moitié du xve s., mais qui est une collection d'origine occidentale et notamment française, enrichie de récits originaux dans les différentes chrétientés d'Orient. Il y eut même alors des contacts directs avec les littératures européennes, puisque les Actes de saint Sébastien et le Symbole de saint Athanase ont été traduits du latin et que l'ouvrage original de Georges de Sagla, le Livre des mystères (1424), a été composé pour défendre la foi monophysite à la suite de discussions avec un Vénitien parvenu en Éthiopie.
Cependant, la littérature originale est devenue très abondante. Le genre le plus en vogue est l'hagiographie qui glorifie, désormais, principalement les saints éthiopiens. On peut y distinguer plusieurs cycles importants : les actes des saints moines qui ont lutté, au péril de leur vie, pour ramener les rois du xive s. dans le chemin de la morale et de la religion (comme Filpos, Anorewos) ; les actes des saints fondateurs des deux grands couvents rivaux de saint Étienne de Hayq et Dabra Libanos du Choa : Iyasus Mo'a et Takla Hâymânot ; les vies des derniers rois zâgwê, plus proches de l'hagiographie que de l'histoire ; les vies des neuf saints légendaires venus de Syrie au vie s., rédigées dans les couvents du Tigré qui s'en réclamaient, ainsi que celle de saint Êwostâtêwos, fondateur du principal ordre monastique de l'Éthiopie du Nord. D'autres encore, dont certaines liées à des controverses théologiques comme la vie d'Abakerazun et l'hagiographie des moines stéphanites.
Deux courants, déjà bien ancrés, se perpétuent : les livres d'inspiration apocalyptique et eschatologique (comme le Fekkârê Iyasus), et les œuvres célébrant le culte marial, qui fournit un thème inépuisable de prières, d'hymnes et de cantiques. La poésie religieuse de langue guèze s'enrichit d'un nouveau genre : les qenyê, courtes pièces rimées de quelques vers, chantées au cours du service divin et qui jouent de l'allégorie et du double sens. Des antiphonaires ou recueils d'hymnes pour toute l'année religieuse (deggwâ) sont réalisés dès le xve s. ; ils seront révisés aux xvie et xviie s. pour constituer une collection type en usage dans toutes les Églises.
La littérature profane est constituée principalement par les chroniques royales – la plus riche étant celle des empereurs Zar'a Ya'qob (1434-1468) et Ba-eda Mâryâm (1468-1478) – et par la poésie guerrière dont on a le témoignage dans les chants épiques en l'honneur du roi Yshaq (1414-1429). Cependant, l'auteur le plus fécond du XVe s. est l'empereur Zar'a Ya'qob lui-même. Souverain d'une Éthiopie en pleine expansion, mais traversée par de multiples dissensions et hérésies, il écrit ou fait écrire plusieurs ouvrages apologétiques et polémiques, réfutant les thèses des hérétiques et exhortant les populations à renoncer à leurs pratiques traditionnelles entachées de paganisme pour s'attacher au trône et à la religion officielle. Ses deux œuvres les plus importantes sont le Livre de la lumière (Mashafa Berhan) et le Livre de la naissance (Mashafa Milad).
Conflits et controverses (xvie -xviiie s.)
Les xvie et xviie s. sont marqués par des événements dramatiques qui bouleversent profondément la société éthiopienne : l'invasion musulmane, qui submerge aux trois quarts le royaume chrétien pendant les guerres de Gragne (1529-1543), sème la dévastation et désagrège le pouvoir ; l'invasion des Oromo (ou Galla), pasteurs païens venus de l'extrême sud qui s'installent dans l'Éthiopie centrale aux dépens des musulmans comme des chrétiens et constituent désormais une menace permanente pour le royaume ; enfin, la venue des Portugais et la tentative des missionnaires jésuites, particulièrement pendant le premier tiers du xviie s., pour convertir l'Éthiopie au catholicisme, ce qui touche aux racines mêmes de la foi et de la culture.
L'écho des guerres de Gragne se fait entendre dans les Chroniques royales (notamment celle de Galâwdêwos) et même dans l'hagiographie (Actes de Takla Alfâ) et, du côté musulman, dans l'Histoire de la conquête de l'Abyssinie, écrite en arabe par un lettré harari formé au Yémen, Chihab al-Din dit 'Arab-faqih. Quant à l'invasion oromo, elle trouva son historiographe dans le moine Bahrey (Histoire des Galla), qui témoigne d'un souci original de compréhension du passé et des institutions du peuple oromo.
La polémique religieuse entre chrétiens et musulmans, les conversions et les apostasies entraînent par ailleurs la multiplication des œuvres d'apologétique. Du côté chrétien, la plus célèbre est la Porte de la foi, apologie de la religion chrétienne fondée sur des passages du Coran : elle est l'œuvre d'un renégat musulman devenu le chef du monachisme éthiopien, l'abbé Embâqom, qui fut aussi à l'origine de nombreuses traductions (notamment du roman de Barlaam et Josaphat). Du côté musulman naît toute une littérature en harari, qui fut alors écrit pour la première fois avec des caractères arabes.
L'âpre controverse qui opposa le clergé éthiopien aux missionnaires jésuites, jusqu'à leur expulsion en 1632, eut des effets littéraires plus profonds. À la propagande catholique répondirent des ouvrages composés pour réaffirmer solennellement la foi monophysite comme la Confession de Claude, écrite par le roi lui-même (1540-1559), l'Interprétation de la Divinité, œuvre des hérétiques michaélites, le Trésor de la foi, la Foi des Pères, recueil de morceaux choisis des Pères grecs et latins, pour illustrer les thèses monophysites. La principale nouveauté de cette période est l'emploi de l'amharique, par les deux partis, pour faire sortir la polémique du cercle étroit des ecclésiastiques. On traduit ainsi divers ouvrages dans la langue vulgaire et l'on compose des œuvres originales destinées à l'enseignement ou à l'édification des fidèles (catéchismes, commentaires des Psaumes, louanges de Marie, etc.). Après le départ des jésuites, on revint naturellement au guèze. Mais le mouvement littéraire se ralentit alors quelque peu. On traduit encore quelques ouvrages arabes au xviie s., comme l'Histoire du monde de Jean de Nikiou, l'Histoire des premiers conciles de Sévère ibn al-Muqaffa et le Fetha Nagast (Législation des rois), code égyptien du xiiie s. s'inspirant du droit byzantin, qui fut adopté en Éthiopie comme la source fondamentale du droit civil et du droit canon, non sans quelques obscurités ou fausses interprétations.
Le genre littéraire le plus vivace reste l'historiographie : les Chroniques royales officielles couvrent tout le xviie et le xviiie s. et se prolongent même jusqu'à l'extrême fin de la monarchie de Gondar, au milieu du xixe. Et c'est au début du xviiie s. qu'est élaborée cette compilation, s'alimentant à d'autres sources que les chroniques officielles, qu'on désigne sous le nom de Chronique abrégée. L'hagiographie s'enrichit de quelques nouvelles vies de saints, comme les Actes de Walatta Pêtros (1673-1674), récit de la vie d'une sainte, morte en 1644, qui avait été étroitement mêlée à la controverse anticatholique, ou les Miracles de Zar'a Buruk, moine du Godjam mort en 1705. La poésie religieuse, encadrée par les normes strictes qui prévalent dans les écoles, atteint pendant cette période un haut degré de développement : Hymnes, Qenyê et Portraits (malk'ê) où chaque strophe est consacrée à l'éloge d'une partie du corps ou d'une qualité d'un saint.
La littérature moderne et contemporaine
Une nouvelle littérature naît dans la seconde moitié du xixe s. avec l'emploi de l'amharique à la place du guèze et le développement de l'influence occidentale. Littérature profane, pour l'essentiel, qui se met au service de la politique de modernisation voulue par les empereurs, Ménélik et Hâyla Sellâsê, et garde ainsi le ton didactique et moraliste traditionnel en l'adaptant à de nouveaux objets. L'introduction de l'imprimerie (dès la fin du xixe s. en Érythrée par les missionnaires, dans les années 1920 à Addis-Abeba) permet la multiplication et la diffusion des livres, cependant que la presse et la radio contribuent à populariser les idées nouvelles.
Les plus anciens ouvrages en amharique sont les trois chroniques du règne de Théodore (l'une écrite par le dabtarâ Zannab, l'autre par l'alaqâ Walda Mâryâm, la troisième étant anonyme) et la très belle collection de lettres écrites par le dabtarâ Assagâkhagn au savant français Antoine d'Abbadie (1864-1874). La chronique de l'empereur Ménélik II par l'alaqâ Gabra Sellâsê apparaît comme la dernière des grandes annales royales.
La littérature imprimée apparaît au début du xxe s. avec la publication, à Rome, des premières œuvres d'Afâ Warq : un roman, le premier du genre, Histoire imaginaire et une Vie de Ménélik II. Elle se développe surtout sous Hâyla Sellâsê, qui établit une imprimerie au palais et favorise la publication de journaux (Aemero [le Savoir] en 1924, et Berhân-enna Salâm [Lumière et Paix ] en 1925). Les principaux auteurs sont alors : le blatta Heruy Walda Sellâsê, qui écrit une multitude d'ouvrages divers (roman, essais, reportage, histoire, poésie) et publie une belle collection de poésies guèzes ; son émule Makbeb Dastâ, auteur d'un seul livre mêlant un peu tous les genres ; l'alaqâ Tâyya, auteur d'une petite Histoire du peuple éthiopien qui a connu un grand succès. En 1930, Yoftâhê Negusê inaugure, pour les fêtes du couronnement, un nouveau genre appelé à une grande faveur : le théâtre.
Après la guerre, les contacts avec l'Occident (principalement les États-Unis) se multiplient et la littérature va refléter les transformations, et bientôt les contradictions, qui agitent la société éthiopienne, notamment en milieu urbain. Les jeunes gens, qui ont été formés, de plus en plus nombreux, dans les universités étrangères, puis à l'université d'Addis-Abeba, constituent une intelligentsia, coupée du milieu traditionnel, où fermentent les recherches littéraires et les controverses idéologiques. Les genres le plus en faveur sont : le roman (ou la nouvelle), souvent moralisateur et encombré de dissertations, mais où se fait place la description de la réalité quotidienne, et, chez les jeunes auteurs, une certaine vivacité de sentiments ; le théâtre, tragédie en vers ou comédie réaliste, aux ressorts un peu sommaires mais qui connaît un vif succès ; et l'essai sous toutes ses formes (histoire, notamment histoire récente de la guerre et de l'occupation, biographies, politique, religion). La poésie est plus négligée, car les modèles occidentaux s'acclimatent mal. Les livres techniques, les manuels scolaires, les ouvrages didactiques se multiplient et les traductions (de l'anglais, du français, de l'italien, du russe) sont innombrables. Les écrivains marquants sont Kabbada Mikâêl, l'auteur le plus fécond depuis Heruy, poète, historien, essayiste et dramaturge ; Makonnen Endâlkâtchaw, auteur de romans historiques et de pièces de théâtre ; Germâtchaw Takla Hawâryât ; Berhânu Denqê, historien et dramaturge ; le bâlâmbârâs Mâhtama Sellâsê, qui, après une monumentale étude sur les institutions du temps de Ménélik II, s'est intéressé au folklore et à la poésie ; le blatta Marsê Hâzan, auteur d'une grammaire moderne et d'une histoire du Choa, également traducteur d'Hérodote ; l'historien Takla Sâdeq Makwuryâ, et l'abba Jérôme Gabra Musê (compagnon de Michel Leiris à Gondar), dont l'œuvre est à peu près inédite.
Dans la génération suivante, citons le romancier et essayiste Mangestu Gadâmu, le poète et auteur dramatique Mangestu Lammâ, les poètes Salomon Dêrêssâ et Sayfu Mattâfaryâ, les romanciers Haddis Alamâyyahu, Abbê Gubagnâ et Dâgnâtchaw Warqu, dont les œuvres donnent un tableau très critique de la société éthiopienne à la fin du règne de Hâyla Sellâsê.
La révolution de février 1974 a entraîné une brutale libération de la parole et de l'écrit : pendant quelques mois, il y eut une explosion de liberté dans les médias et sur les places publiques et un déferlement de publications de toute nature et de toutes formes manifestant une grande capacité d'invention et de réflexion. Mais ce mouvement fut noyé par les purges « révolutionnaires » de l'année suivante et la plus grande partie de l'intelligentsia fut exilée ou massacrée. Une nouvelle production est apparue depuis, souvent pesamment idéologique. Mais la langue s'est enrichie de nombreux néologismes, nécessaires pour exprimer les concepts marxistes, qu'il a fallu expliciter dans un Vocabulaire progressiste qui a connu plusieurs éditions depuis son élaboration par des professeurs de l'université en 1974.
Autres littératures
En dehors des littératures orales, qui sont très riches et florissantes chez toutes les populations d'Éthiopie (y compris en pays amhara), il y a eu quelques tentatives, récentes, pour écrire d'autres langues que le guèze et l'amharique, suscitant ainsi de nouvelles littératures écrites.
C'est surtout le cas du tigrigna – langue de l'Éthiopie du Nord et de l'Érythrée, héritière directe du guèze –, qui a été écrit avec l'alphabet éthiopien par les missionnaires protestants et catholiques. (Ceux-ci, en effet, disposaient d'imprimeries dès la fin du xixe s. et ont pu ainsi publier et diffuser largement en tigrigna des manuels scolaires et des ouvrages religieux.) Il y eut aussi la collecte et l'édition de textes de la tradition orale par des savants européens. Après la fin de l'occupation italienne en 1941, pendant la période d'intense activité politique et intellectuelle qui précéda l'incorporation à l'Éthiopie, parurent plusieurs journaux où se fortifia la prose écrite. Quelques dizaines d'ouvrages furent alors publiés. Depuis 1962 et les débuts de la guérilla, les fronts de libération (notamment le F.P.L.E.) ont publié des opuscules politiques et historiques fortement teintés d'idéologie qui ressortissent à la littérature militante.
L'oromo (ou galla) est la plus importante, numériquement et historiquement, des langues couchitiques d'Éthiopie. Mais comme toutes les autres langues, en dehors de l'amharique, elle a été maintenue dans un statut subalterne et n'a jamais été écrite (sauf, occasionnellement, par les missionnaires et quelques savants européens). Depuis 1974, on l'a reconnue comme langue de l'administration et de l'enseignement en pays oromo, et un journal en oromo (Barisaa) a été fondé en 1975.