Bach
Dynastie de musiciens originaires de Thuringe.
J.-S. Bach et l'Europe
Jean-Sébastien Bach est, au milieu du xviiie s., l'Européen par excellence…, mais un Européen qui n'a pas voyagé et qui, par d'autres voies que les déplacements, a su découvrir toutes les merveilles du monde musical pour les assimiler et en faire surgir un message neuf. Il naît au centre de l'Europe, dans une Europe qui n'a pas encore trouvé sa stabilité, puisqu'elle oscille constamment entre la puissance des trois grands : le Saint Empire romain germanique, qui vient d'être attaqué par les Ottomans ; Sa Majesté le roi d'Espagne, dont les territoires sont loin d'être unis ; Sa Majesté le roi de France, qui cherche à parfaire l'unité territoriale d'une parcelle européenne baignée par trois mers, et qui sera le phare de la civilisation classique, bientôt attaquée en sa grandeur par un monde anglo-saxon auquel la maîtrise des mers doit un jour assurer la suprématie. Jean-Sébastien Bach sera le témoin de ces mutations, de ces luttes entre les souverains, et il verra même bouger, sinon déjà s'épanouir, à l'est, un domaine slave dont il va subir indirectement l'influence. Mais Bach se tient au centre de cet échiquier international, comme il réside au centre d'un Saint Empire romain germanique qui va vers le déclin, au centre d'une Saxe dont l'étoile monte, au centre d'une Thuringe dont les routes permettent des liaisons utiles entre l'ouest et l'est d'une part, entre le sud et le nord de l'autre. Voilà qui explique que Bach ne méconnaîtra rien de ce qui touche le monde occidental français, le monde méridional italien ; en un mot, le monde latin.
Cette situation « géographique » de Bach explique en grande partie les directions où s'alimentera son extraordinaire génie. Mais elle explique peut-être aussi la place qu'il tient dans la musique, notamment dans l'histoire du mouvement polyphonique, dont il symbolise le terme ultime. Préparée dès le Moyen Âge, stimulée par le xvie s. anglais, flamand, français, allemand, espagnol et italien, cette polyphonie, qui monte en flèche au xviie s., s'annexant certains pôles d'ordre instrumental, connaît avec Jean-Sébastien Bach un sommet que tous les musiciens à venir, les juges les plus sévères auront à gravir pour y découvrir les lois immuables qui régissent la tonalité et assurent au classicisme, comme au romantisme, leur base.
Bach et ses précurseurs
Il n'est pas un isolé. Il fait partie d'une dynastie qui compte de nombreux musiciens, depuis le début du xvie s. Ils sont tous organistes, clavecinistes, violonistes, musiciens de cour, de ville ou d'église. Tous ces maîtres évoluent sur un territoire fort restreint : on les trouve à Wechmar, Erfurt, Eisenach, Magdebourg, Arnstadt, Weimar, Prettin, Iéna, Gehren, Schweinfurt, Ohrdruf. Ces artistes n'ont guère voyagé : ils se contentent des paysages boisés de Thuringe, de la Saxe, des petites villes blotties autour d'une église, d'un château, d'un collège, d'une université.
On peut distinguer quatre branches de Bach : celles de Meiningen, d'Erfurt, de Franconie, d'Arnstadt, Jean-Sébastien est issu de la troisième. L'ancêtre commun, Hans, habitait Wechmar. Son fils Veit y naquit en 1550 et y mourut vers 1619. Meunier qui jouait de la cithare, il se réfugia un temps en Hongrie. L'un des fils de Veit, Johannes, disparut vers 1626 (c'est l'arrière-grand-père de Jean-Sébastien), non sans avoir laissé trois fils qui serviront, par leurs œuvres, de permanent exemple au futur organiste de Weimar et cantor de Leipzig : Johannes, Christoph et Heinrich.
Johannes (Wechmar 1604-Erfurt 1673) exercera le métier d'organiste à Erfurt. Ses enfants et petits-enfants en feront de même à Eisenach, Magdebourg, Erfurt, jusqu'à un arrière-petit-fils, Johann Ernst (1722-1777), qui étudiera avec son cousin Jean-Sébastien.
Christoph (Wechmar 1613-Arnstadt 1661), qui sera grand-père de ce dernier, exercera comme musicien de cour et de ville à Weimar, Prettin, Erfurt.
Heinrich (Wechmar 1615-Arnstadt 1692) semble avoir opté pour l'orgue à Arnstadt, donnant à son fils Johann Christoph (1642-1703) un goût évident pour cet instrument, dont il enrichit la littérature de nombreux chorals ; Johann Michael (1648-1694), frère de ce dernier, touchait l'instrument de Gehren et donna sa fille Maria Barbara à Jean-Sébastien.
Et voici le dernier des Bach que Jean-Sébastien put prendre pour modèle : il s'agit de son propre père, Johann Ambrosius (1645-1695). Frère jumeau d'un violoniste- tous deux fils de Christoph, déjà nommé-, Johann Ambrosius joue de l'alto et du violon. À ce titre, il sera musicien de la cour et de la ville d'Eisenach.
A-t-on remarqué que plusieurs de ces Bach meurent fort jeunes ? Ils n'ont pas le temps de faire toujours fructifier ce que la tradition leur a transmis. Sans aisance, mais non sans talent, ils se donnent à la musique avec amour et conviction, et se réunissent souvent pour chanter quodlibets et chorals.
Bach et sa vie professionnelle
On voit donc que Jean-Sébastien naît à Eisenach dans un milieu favorisé des Muses (21 mars 1685). Dernier de huit enfants, il perd sa mère, Élisabeth Lämmerhirt, en 1694, et son père l'année suivante. Il trouve asile à Ohrdruf auprès de son frère aîné, Johann Christoph, qui est un élève de Pachelbel.
Sa formation se continue à la Lateinschule. À l'âge de quinze ans, le cantor Herder, qui connaît sa belle voix de soprano, l'adresse, ainsi que son ami Erdmann, à la Michaelischule de Lüneburg. La bibliothèque de cette école est une des plus riches qui soit en œuvres des xvie s. et xviie s. ; il en profite grandement, élargit ses connaissances en musique, écoute les deux organistes Johann Jakob Löwe- ancien disciple de Schütz- et Georg Böhm, attaché depuis 1698 à l'église Saint-Jean. Poussé par ce dernier, le jeune Bach accomplit un premier voyage à Hambourg, pour y entendre le célèbre Jan Adams Reinken, qui est le chef incontesté de tous les organistes de l'Allemagne du Nord. Maître à danser et violoniste de la chapelle française de la cour de Celle (la princesse Éléonore d'Olbreuse est une Poitevine), Thomas de La Selle l'introduit auprès des artistes qui, après la révocation de l'édit de Nantes, sont venus trouver refuge à Lüneburg. Bach copie le Livre d'orgue de Nicolas de Grigny, l'organiste de la cathédrale rémoise du sacre, qui vient de disparaître. Comme violoniste, Jean-Sébastien entre en 1703 au service du duc Johann Ernst de Weimar, et il entend Westhoff, le célèbre virtuose du violon. Nommé en août organiste de la Bonifaziuskirche d'Arnstadt, il écrit là sa première cantate, peut-être ses premières œuvres d'orgue. Attiré surtout par les maîtres du Nord, la musique de Reinken, Buxtehude, il fait à pied le voyage de Lübeck, à vingt ans, pour prendre contact avec le bouillant et romantique organiste de la Marienkirche, Dietrich Buxtehude (octobre 1705). Il ne sera de retour qu'à la fin de janvier 1706, et s'excuse d'une trop longue absence qui va lui causer de sérieuses difficultés de la part de ses supérieurs. On lui reproche d'improviser des préludes de choral en rendant méconnaissable le thème du cantique. On lui reproche d'accueillir à sa tribune une jeune fille- Maria Barbara Bach, sa cousine-, qui deviendra sa femme en 1707. En cette même année, il accepte la succession de Johann Georg Ahle, à l'orgue de Sankt Blasius de Mühlhausen. Il conseillera le facteur chargé de restaurer et d'agrandir son instrument. En 1708, il imprime la seule cantate qu'il éditera de son vivant. En juin 1708, il est appelé par le duc Wilhelm Ernst de Saxe-Weimar comme musicien de chambre (violoniste et altiste), mais surtout comme organiste de la Cour. Il se liera là d'amitié avec l'organiste de la ville, Johann Gottfried Walther, apprendra à découvrir la musique italienne, que lui révèlent quantité d'artistes de passage, virtuoses, compositeurs, aussi bien que des recueils de musique, manuscrits, imprimés, qui arrivent de Venise, Rome ou Amsterdam. Ayant refusé, en 1714, la succession de Friedrich Wilhelm Zachow comme organiste de Halle, Bach est nommé Konzertmeister du prince de Weimar. À ce titre, il dirige sa chapelle. Plusieurs voyages le mettent en contact avec la vie musicale d'autres cours princières, comme celle de Kassel (où il éblouit le futur Frédéric Ier de Suède), de Weissenfels et de Dresde.
Bach, qui a formé à Weimar ses premiers disciples (Schubart, Vogler, Johann Ludwig Krebs, Johann Bernhard Bach), qui a vu naître ses premiers enfants (Wilhelm Friedemann, Carl Philipp Emanuel), se décide pourtant, devant les difficultés qui s'accumulent avec son prince, à quitter Weimar pour accepter à Köthen le poste de directeur de la musique du prince Leopold d'Anhalt. Il dirige l'orchestre de ce dernier, se tourne vers la musique instrumentale profane, la musique pour clavier, orchestre, instruments solistes. Ce qui ne l'empêche pas de tenir parfois le petit orgue de l'Agnuskirche. À la demande du margrave de Brandebourg, il écrit ses six Concerts pour divers instruments (1721). Ayant perdu sa femme durant l'été de 1720, il se remarie, l'année suivante, avec Anna Magdalena Wülcken (ou Wilcken), fille d'un trompette de la Cour, et cantatrice. Mère de six fils et sept filles, elle continuera, malgré sa très lourde tâche, à aider son mari en copiant nombre de ses partitions. Quant à Jean-Sébastien, il accomplit encore un voyage auprès de Reinken à Hambourg et improvise devant le virtuose émerveillé une série de variations sur le choral An Wasserflüssen Babylon. Peu après son second mariage, Bach voit le prince de Köthen épouser F. H. von Anhalt-Bernburg, une « amusa » qui éloignera son mari de la musique. Bach a décidé de quitter Köthen.
La mort de J. Kuhnau, cantor de Sankt Thomas, ouvre une succession difficile à Leipzig. Le poste a été offert à Telemann et Johann Christoph Graupner : ils refusent l'un et l'autre. Après avoir donné deux fois, à Sankt Thomas, notamment par l'audition de la Passion selon saint Jean, des preuves de son talent de compositeur et de chef, Jean-Sébastien Bach est nommé, au printemps 1723. À la Thomasschule, il est chargé de l'enseignement musical, ainsi que de cours de latin. Quelques élèves musiciens lui permettront de former un orchestre et une chorale, car il lui faut assurer le service liturgique à Sankt Thomas et à Sankt Nikolai, de même qu'il organise parfois des cérémonies à l'université. Mais il doit lutter autant avec le conseil de la ville qu'avec le recteur de l'école. Les litiges se multiplient, à l'heure où la Thomasschule traverse une crise qu'expliquent l'indiscipline des élèves et la mauvaise administration. Ces luttes sont telles qu'il faudra parfois en appeler à l'Électeur lui-même.
Bach trouve heureusement, en dehors de l'école, des activités stimulantes. De 1729 à 1740, il dirige le Collegium Musicum qu'avait créé Telemann en 1702, et donne un concert par semaine. L'essentiel, pour lui, est également de se concentrer sur une œuvre qui, de semaine en semaine, s'enrichit de cantates nouvelles.
Entre 1733 et 1736, il sollicite le titre de compositeur de la cour de Saxe, titre que lui vaut l'envoi du « Kyrie » et du « Gloria » de la Messe en « si » mineur. Toujours en relation avec organistes et cantors de la Saxe et de la Thuringe, il voyage, se fait entendre en concert, inaugure des orgues, visite ses enfants ou place ses élèves. En 1731, il joue à Dresde des orgues de Silbermann ; il expertise les premiers pianoforte de ce facteur. Il entretient des relations avec Hasse, Benda, et tente, en vain, de rencontrer Händel.
En 1747, il accomplit un voyage à Potsdam auprès de Carl Philipp Emanuel et du roi de Prusse, devant lequel il improvise sur un thème que le souverain lui a transmis. Il continue à former un grand nombre d'élèves, parmi lesquels J. N. Gerber, J. Schneider, J. F. Agricola, J. F. Doles, G. A. Homilius, J. Ph. Kirnberger, C. F. Schemelli, J. Goldberg, J. C. Altnikol, J. C. Kittel.
Agréé dans la société Mizler, où l'on cultive les mathématiques autant que le contrepoint, il écrit à cette occasion, et à titre de preuves, des Variations canoniques sur un thème de Noël. Devenu aveugle en 1749, il est opéré en 1750 par le chirurgien Taylor. Il ne peut pas terminer son Art de la fugue et met au point dix-huit chorals d'orgue, dont il dicte les trois derniers à son gendre Altnikol.
Il meurt le 28 juillet 1750 et est enterré le long du mur de la Johanniskirche de Leipzig.
L'homme nous apparaît comme un magnifique travailleur et un chrétien. Les deuils ne l'ont pas épargné, et la vie de famille n'est pas toujours propice à l'éclosion des chefs-d'œuvre. Toujours poussé par les circonstances, Bach a composé vite. « J'ai travaillé avec application », dira-t-il. « Quiconque s'appliquera aussi bien que moi en fera autant. » Touchante modestie ! Celle-ci ne se peut comprendre que si l'on saisit le point d'aboutissement : soli Deo gloria, telle est sa devise. En lui, le fervent admirateur des Écritures, le protestant qui tend vers le piétisme, le croyant se double d'un mystique hanté par l'idée de la mort, dans laquelle il voit la libération suprême. Homme de devoir doué d'une sensibilité et d'un raffinement que voilent sans doute des apparences un peu rudes, professeur, théoricien, virtuose, chef de chœur ou d'orchestre, dans tous les domaines on trouve un architecte qui se double d'un poète. À défaut de Mémoires ou de correspondances, son œuvre dévoile sa vie intérieure : œuvre instrumentale, œuvre vocale qui projettent une égale lumière sur le « siècle des lumières ».
Bach, le violon et le clavecin
Dans son atelier, il possède plusieurs clavecins à un ou deux claviers, de même qu'il joue du clavecin à pédalier. Non loin de ces grands instruments, se trouvent des épinettes et un clavicorde. Il est difficile de faire le départ entre ce qu'il destine à l'un ou l'autre de ces instruments à claviers. Cette œuvre dense peut se subdiviser en deux parties : d'une part les petites ou grandes pièces séparées, d'autre part celles qui sont groupées en recueils.
Du simple point de vue de la chronologie, il semble qu'il ait écrit pour le clavecin autant à Weimar, à Köthen qu'à Leipzig. Les pièces séparées relèveraient plutôt de l'époque de Weimar. On y trouve quelques danses, peut-être destinées aux petites mains de ses enfants, des préludes et fugues, des fantaisies, le Caprice sur le départ du frère bien-aimé, des toccatas, partitas, toutes pièces qui lui permettent, comme à ses élèves, de se faire la main sur le clavier.
Les différents recueils constituent, en revanche, une somme d'une extraordinaire richesse, dont le propos obéit parfois à un point de vue didactique. Sous le titre de sonate, il a groupé des préludes ou petites ouvertures, des allégros fugués, des largos lyriques et des danses. Il a donné le titre d'Inventions (à 2 voix) et de Symphonies (à 3 voix) à des exercices de style destinés aux petites mains, et qui constituent un extraordinaire catalogue de ses recherches d'écriture. Non loin, et découlant de ces recherches, voici trois grands recueils qui sont des gerbes de danses stylisées, et qui se présentent à nous sous forme de suites ou de partitas : six suites françaises, six suites anglaises, six partitas, à quoi il faut ajouter une grande ouverture dans le style français, suivie de danses en si mineur.
Dans ces recueils, le prélude s'affirme de plus en plus éloquent, complexe, écrit sur un ou deux thèmes ; l'allemande relève du monde contrapuntique, la sarabande se fige dans un rythme ternaire aux ornementations précieuses et aux harmonies subtiles. Puis se succèdent les danses d'origine française, qui aboutissent à des gigues de style fugué. Le prélude peut même changer de titre : preambulum, toccata, sinfonia, ouverture, etc.
À ces fresques, il faut assimiler un recueil de pièces de concert auxquelles il donne le titre de toccata (ut majeur, ut mineur, fa dièse mineur), et qu'il conçoit comme une série alternée de mouvements vifs et lents, où le récitatif et la fugue ont une place éminente. On aperçoit à quel point il tient à cette dualité « prélude et fugue ». Il le prouvera en deux recueils intitulés le Clavecin bien tempéré, par lesquels en suivant l'ordre chromatique de la gamme, il tient à prouver que le tempérament égal permet de composer dans tous les tons. Il y a, dans ces quarante-huit diptyques, des leçons de composition, d'écriture, de style qui lui permettent d'insister auprès de ses élèves sur l'utilité du développement, le bien-fondé d'un programme tonal rigoureux, l'écriture fuguée à deux, trois ou quatre voix, avec tout son arsenal de canons, de strettes et de renversements.
Allant plus loin dans le sens pédagogique, Bach a donné une somme de son enseignement clavecinistique dans les célèbres variations qu'il a écrites pour son élève Goldberg, dans lesquelles il travaille trente fois un thème de sarabande sur basse ostinato dont il avait enrichi, jeune, le petit livre dédié à sa femme Anna Magdalena. Enfin, quelques épisodes fugués de l'Art de la fugue paraissent destinés au clavecin.
Si la ligne de maints thèmes imposés au clavecin paraît relever de l'esthétique violonistique, c'est que Bach, jouant fort bien du violon, cherche à faire profiter l'instrument à clavier de virtualités dont bénéficie l'instrument aux quatre cordes frottées. La littérature dont il dote ce dernier est d'ailleurs aussi riche que celle du clavecin. Ce sont des partitas, ou suites, et des sonates pour violon seul qui accumulent, pour l'interprète, toutes les difficultés possibles et qui doivent le conduire sans défaillance jusqu'à une exécution polyphonique sur cet instrument monodique. La chaconne de la partita en ré mineur demeure le sommet de son œuvre violonistique : un sommet qui s'explique autant par la virtuosité exigée de l'interprète que par son tempérament sensible, lyrique, et par ses dons d'endurance. En marge de ces exercices, uniques dans l'histoire de la musique, Bach a conçu trois types de sonates : la sonate à trois, qui répète le système italien des deux dessus et de la basse chiffrée, la sonate pour violon seul et basse chiffrée, la sonate pour clavecin obligé et violon. Ces différentes sonates comportent en général quatre mouvements alternés lents et vifs, et exploitent un style qui va du récitatif arioso jusqu'à la fugue. Le recueil des six sonates pour clavecin obligé et violon témoigne et de la souplesse de l'écriture polyphonique et de la puissance du souffle (chaconne initiale de la sonate en fa mineur). Mais le violon dépassait, chez Bach, le domaine de la sonate. Il en fournit la preuve dans deux concertos à un violon et deux concertos à deux violons de style vivaldien, en trois parties, dans lesquels l'écriture de style concertant entre le tutti et les solistes va de pair avec une utilisation rationnelle de la forme de l'allégro, du lied, du rondeau. Le largo du concerto en ré mineur pour deux violons dépasse ici les plus belles promesses. C'est sans doute par l'intermédiaire du concerto que Bach assimile au mieux l'esprit italien, et ce claveciniste-violoniste a même poussé le paradoxe jusqu'à transcrire pour un, deux, trois ou quatre claviers avec orchestre les concertos de violon italiens ou allemands, ce qui l'a poussé à une expérience unique dans son œuvre : un Concert dans le goût italien pour clavecin seul, qui est une réplique, au clavier, des tentatives vivaldiennes, même si l'aria ornée du milieu a du mal à chanter avec l'ardeur qu'autorise l'archet du Vénitien. Non loin de cette œuvre très classique, le clavecin prendra sa revanche chez Bach avec une Fantaisie chromatique et fugue d'une liberté et d'une audace de langage harmonique, d'une virtuosité qui dépasse tout ce qu'il avait écrit.
Certaines des sonates de violon ont-elles pu être exécutées par un soliste comme la flûte ? C'est possible, bien qu'ici encore Bach nous apporte le résultat d'efforts non négligeables. S'il semble n'utiliser la flûte à bec que dans les œuvres religieuses de jeunesse, c'est à la flûte traversière qu'il consacre le meilleur de son message. Le répertoire est encore vaste ici : d'une part une sonate pour flûte seule sous forme de suite en quatre mouvements chorégraphiques ; d'autre part des sonates pour flûte et basse chiffrée qui lui permettent de jouer tantôt du caractère élégiaque, tantôt du caractère puissant de ce grêle instrument ; enfin un certain nombre de sonates pour clavecin obligé et flûte (mi bémol, si mineur), qui vont encore plus loin dans le domaine de l'indépendance entre la flûte et le clavecin, ou au contraire du regroupement contrapuntique à obtenir des deux instruments qui s'opposent. Dans le même ordre d'idées, Bach a écrit trois sonates pour viole de gambe et clavecin, dont la troisième n'est peut-être autre qu'une transcription de concerto (sol mineur).
Au clavecin, au violon et à la flûte, qu'il réunit parfois, il faut aussi ajouter trompette, cor, hautbois, basson, ce qui permet à Bach de partir à la découverte d'un monde symphonique. Il cherche ici sa voie entre deux programmes : le concert à la française, qui débute par une ouverture et se poursuit par des danses, et le concerto tripartie à l'italienne. Il donne d'ailleurs le nom d'ouverture à ses quatre suites d'orchestre (ut majeur, si mineur, ré majeur, ré majeur), qui mettent côte à côte une grande ouverture lullyste à deux ou trois panneaux et les danses stylisées ou populaires qui obéissent à l'instrumentation choisie dès le départ. Musique de danse ou musique pure : il oscille constamment entre ces deux possibilités, et il affirme sa préférence pour un rythme un peu lourd, continu, et qui n'accepte pas la fantaisie des Français. Cette fantaisie, il l'a plutôt réservée aux six Concerts pour divers instruments, qu'il écrivait pour l'orchestre du margrave de Brandebourg (d'où leur faux titre de « Concertos brandebourgeois »), et qui obéissent aux lois suivantes : soit une opposition, dans l'esprit du rondeau, entre trois ou quatre instruments solistes (concertino) et un tutti de cordes ; soit un largo mélodique en forme de lied ou d'adagio de sonate qui vient marquer un temps de repos entre les deux allégros rythmés. Ici ou là, des prouesses sont exigées de deux flûtes, de trois hautbois, de deux cors, d'une trompette, d'un violon piccolo, de deux altos dialoguant en canon, d'un clavecin, qui se voit pour la première fois imposer une grande cadence de soliste dans le cinquième de ces concerts. Il est vrai que la même virtuosité a été demandée à la flûte dans la deuxième suite d'orchestre, qui, d'une manière très paradoxale, pourrait être tenue pour un concerto de flûte.
D'une certaine façon relèvent de l'œuvre profane, enfin, certaines pièces d'orgue : concertos qui sont bien souvent des transcriptions de triptyques similaires donnés généralement au violon par des Italiens ou des Allemands, sonates en trio écrites à l'intention de Wilhelm Friedemann Bach, et que celui-ci pouvait aussi bien exécuter sur le clavecin-pédalier, enfin grands préludes et fugues, ou toccatas et fugues, qui permettent à Bach d'adapter à ce puissant instrument qu'est l'orgue un éloquent message à deux ou trois thèmes dans un style soit concertant, soit continuellement fugué : musique de concert qui, à l'exception d'un grand diptyque (triple prélude et fugue en mi bémol), pourrait se situer en marge de la liturgie aussi bien que dans le culte même, qu'elle pourrait ouvrir ou fermer. Nous touchons ici aux rives de la musique religieuse.
Bach et l'orgue
La musique religieuse de Bach comporte un message purement instrumental, aux côtés de grandes partitions chorales sur paroles latines ou paroles allemandes. Il faut voir dans les chorals pour orgue qu'il a intitulés préludes de chorals des commentaires des principaux cantiques spirituels chantés au culte. Les uns sont groupés en recueils, les autres font partie d'un grand reliquat où l'on trouve, un peu pêle-mêle, des œuvres de jeunesse, des pages qui seront remaniées plus tard, ou des œuvres isolées, définitives.
S'il est difficile de dater exactement tous ces chorals du reliquat, qui s'étendent probablement sur toute la vie, il est assez aisé de situer dans le temps les trois grands recueils que Bach a signés. Le premier, dit l'Orgelbüchlein remonte à l'époque de Weimar (vers 1708-1717) ; le deuxième – chorals du Dogme ou du catéchisme de Luther – appartient à la troisième partie de la Klavierübung (1739). Quant au troisième groupe de dix-huit chorals faussement appelés « chorals de Leipzig », il semble offrir une sélection des œuvres les plus développées de Bach à l'orgue : commentaires probablement destinés à la communion, dont les premiers, témoignant d'une certaine maladresse, remontent à l'époque d'Arnstadt, et dont le dernier (Devant ton trône, je vais comparaître) a été dicté par Bach sur son lit de mort à son gendre et élève Altnikol. Autant Bach, dans le premier de ces recueils, se plaît à une concision parfaite, autant cette brièveté reparaît dans les petites versions sans pédale des chorals du Dogme, autant ailleurs Bach, qui ne semble pas pris par le temps, développe à son aise les cinq ou six épisodes d'un cantique, le choral pouvant être soit figuré, soit fugué, ou orné, ou simplement contrapuntique. Il lui arrivera même d'écrire des partitas ou variations sur un thème de choral. Certains de ces commentaires, qui recherchent la symétrie parfaite, l'équilibre souverain, relèvent de l'esthétique de Pachelbel. D'autres reflètent une écriture proche de celle des maîtres du Nord, de Reinken à Buxtehude. La version ornée évoque la prière de Bach (Ô homme, pleure tes grands péchés), et elle s'impose à la communion comme une sorte de grand poème lyrique qui emprunte à la mélodie française ses tremblements, ses pincés, ses trilles, quitte à soutenir cette mélodie d'une harmonie où la dissonance et le chromatisme, ainsi que le retard, viennent à chaque instant jouer leur rôle expressif. En utilisant certains textes d'origine grégorienne, Bach nous a donné des exemples achevés de la paraphrase lyrique.
Bach et l'art vocal
Parmi les œuvres religieuses écrites sur paroles latines, distinguons le Magnificat et la Messe en « si ». Le Magnificat, probablement composé en 1723, au moment où Bach se présentait à Sankt Thomas de Leipzig, et destiné aux vêpres de Noël, est conçu comme une grande cantate italienne sans récitatif. Et si l'on ajoute que le choral n'a pas ici sa place et que Bach a supprimé, dans sa version définitive, certaines arias qui n'avaient rien à voir avec le texte du cantique de la Vierge, l'on admettra que cette partition unique en son genre doit autant à la France et à l'Allemagne qu'à l'Italie. À la France, elle emprunte ses chœurs et son orchestre à cinq voix ; à l'Italie, la qualité de ses ariosi ; à l'Allemagne, la rigueur de certains éléments fugués. L'évocation du Magnificat grégorien dans un verset, les jubilations alléluiatiques du Gloria Patri viennent compenser la raideur de certaines fugues. Et comme les Italiens, Bach se plaît parfois à peindre d'un geste sonore des mots qui font image (Quia respexit humilitatem, Omnes generationes, Dispersit superbos, Et misericordia, Esurientes).
La Messe en « si » mineur, dont l'unité est encore discutée, groupe avant tout un premier recueil réunissant le Kyrie et le Gloria (adressés en 1733 au Grand Électeur pour recevoir le titre de compositeur de la Cour), ainsi que des morceaux isolés comme le Credo, le Sanctus et l'Agnus Dei. Si Bach fait ici ou là des emprunts à ses cantates (Gratias agimus, Agnus Dei), il écrit en général des chœurs à cinq voix, bien que la partition s'enrichisse d'un chœur à six voix (Sanctus) et d'un double chœur (Osanna in excelsis, huit voix). Ces chœurs relèvent soit d'une conception polyphonique pure, en ce sens qu'ils doivent encore à Palestrina et à la fugue, soit d'une esthétique concertante (Gloria in excelsis, Cum Sancto Spiritu). S'il y en a qui, sur une basse ostinato, cultivent encore le système du cantus firmus grégorien (Credo I), Bach, se faisant plus dramatique, cherche à peindre dans un ensemble absolument unique la confession, la crucifixion et la résurrection. Les plus sublimes combinaisons vocales ou instrumentales pour solistes alternent avec ces grandes masses chorales, et l'œuvre se développe comme une vaste fresque dont on doute qu'elle ait été écrite pour être interprétée en son intégralité au culte.
La tâche principale de Bach n'était point d'écrire des fragments de messes sur paroles latines, mais bien des cantates qui devaient être chantées tous les dimanches au culte sous forme de commentaires à l'Évangile du jour. Il est trois sortes de cantates en lesquelles il excella toute sa vie, et dont la forme dépendait souvent des circonstances dans lesquelles il se trouvait et des éléments dont il disposait. Les unes ont été écrites pour voix seule avec accompagnement concertant toujours fondé sur l'orgue et le clavecin. L'œuvre se déroule alors comme un vaste poème vocal en lequel alternent récitatifs, ariosi et airs, souvent da capo (Ich habe genug). La voix peut dialoguer avec un instrument à cordes ou à vent. Visiblement, Bach a utilisé ce procédé lorsqu'il était privé du concours de ses choristes. Les tient-il bien en main et peut-il les préparer à temps, il commente un texte de Salomon Franck ou de Picander, en mêlant avec habileté sinfonias, récitatifs, chœurs, arias, chorals. La cantate comporte alors deux parties encadrant la récitation de l'Évangile. Elle donne matière à de vastes développements parfois, notamment dans le chœur initial, et une place assez grande peut être faite au concert des instruments solistes, qui dialoguent avec les voix. Certaines de ces cantates se terminent par l'harmonisation du choral, ou par un choral concertant avec l'orchestre.
Un autre type de cantate correspond à une série de variations écrites sur le choral. Il faut y voir une sorte de partita vocale où le thème de choral est traité de manière fuguée, ou en cantus firmus archaïque, donnant vie soit à des duos, des trios, soit à de simples harmonisations. Bien souvent, Bach s'est fait le propre librettiste de ses cantates et, dans tous les cas, ces textes visaient à emprunter plusieurs versets aux Écritures saintes et à les paraphraser en utilisant d'autres versets d'esprit piétiste, souvent remplis de symboles ou d'images d'un caractère littéraire bien discutable. On ignore le chiffre exact des cantates qu'il a écrites le long de sa vie. Il en reste aujourd'hui cent quatre-vingt-seize, destinées aux cinquante et un dimanches de l'année liturgique.
S'il vient à agrandir le champ de ses recherches dans le domaine de la cantate, Bach aboutit à une manière d'oratorio qui peut conter soit la résurrection du Christ, soit sa Passion. Il emprunte son texte à saint Jean ou à saint Matthieu, et demande à des poètes contemporains d'enrichir les évangélistes de versets qui porteront à méditation. Deux de ces Passions demeurent : celle selon saint Jean (1723) et celle selon saint Matthieu (1729), qui comportent des caractères communs, mais qui ont chacune leur individualité. Dans la première, par exemple, la voix du Christ est soutenue par l'orgue, dans la seconde, par le quatuor à cordes. Bach distribue l'histoire de la Passion avec ses différents commentaires poétiques et douloureux entre des grands chœurs de quatre à huit voix, un récitatif permanent qui narre l'histoire et qui est confié au ténor, à des ariosi qui évoquent certaines images du texte, à des airs à l'italienne qui interrompent l'action et engendrent la réflexion du chrétien, à des chorals qui soutiennent sa prière. Il y a plus de chœurs descriptifs et déchirants, plus de douleur humaine dans saint Jean, plus d'austère grandeur dans saint Matthieu. Dans ses cantates comme dans ses Passions, Bach demeure le grand spécialiste du chœur fugué et il excelle à marier ces puissantes vagues chorales à l'instrument orchestral dont il dispose et que colorent, dans les cantates, flûtes, hautbois, cors et trompettes, dans les Passions, flûtes et hautbois, viole de gambe, luth.
Il est bon d'ajouter ici que Bach a écrit plusieurs cantates profanes, les unes pour voix seule (Cantate nuptiale), les autres pour chœur (Cantate d'Éole, Cantate de Phébus et Pan). Ici et là, le compositeur sait avec art mélanger l'esthétique italienne à l'esthétique allemande.
Parmi les cantates les plus célèbres signées de J.-S. Bach, citons l'Actus tragicus, la Cantate pour tous les temps, la Cantate de Pâques, la Cantate de la Réformation C'est un rempart que notre Dieu, la Cantate des vierges folles et des vierges sages, ces deux dernières cantates étant des cantates-chorals, avec variations.
L'esthétique de Bach
En présence d'une telle œuvre, on est en droit de se demander quelle est la part du génie personnel, quelle est celle des sources qui ont été à même d'alimenter ce dernier. Dès son très jeune âge, Bach a entendu chanter, jouer des instruments et parler de musique : ce fut là sa nourriture quotidienne. Il écrira dans un style fugué, comme il respire. Certes, dans ce mécanisme, il faut un entraînement, et l'on devine celui-ci quand on passe des symphonies à trois voix aux grands chœurs fugués ou au ricercar à six voix de l'Offrande musicale, sans parler de l'Art de la fugue. Ce contrepoint, il est bien l'expression suprême du génie germanique tel que Bach l'a surpris chez Schütz, Froberger, Pachelbel et Buxtehude. Et lorsqu'à ce contrepoint se mêle l'esprit du choral, ou plutôt lorsque le choral vient susciter le contrepoint, on assiste à une synthèse parfaite entre l'exploitation du cantique spirituel et celle des lignes polyphoniques qui en seront le commentaire. Ici, Bach n'a pas à apprendre : il ne fait que continuer l'élan donné par ses prédécesseurs, stimulé qu'il est par l'approche quotidienne de l'instrument polyphonique par excellence, l'orgue.
Mais Bach est aussi violoniste, ce qui explique son attirance pour la mélodie, ce qui explique sa curiosité d'esprit à l'égard de l'Italie, pays du violon. Le surprenant, c'est qu'il a peut-être découvert l'Italie grâce à l'orgue, quand il a recopié en son intégralité le recueil des Fiori musicali de Frescobaldi. De là, et sans avoir jamais voyagé en Italie- contrairement à Schütz-, il a, par la simple lecture des partitions ou par l'audition des artistes de passage, découvert une littérature ultramontaine double : celle qui était suivie par le violon de Corelli, de Vivaldi, par les œuvres violonistiques d'Albinoni, de Marcello, celle également qui avait pour auteur Alessandro Scarlatti, l'un des plus illustres compositeurs à utiliser le da capo. Dès lors, Bach pénètre le secret de l'esthétique italienne, la couleur du chromatisme, l'équilibre qu'impliquent de constants éléments de symétrie dans le langage, la très heureuse architecture de la sonate à trois, la portée d'un récitatif descriptif, le monde du concerto grosso, etc. Et de cet apport, il s'enivre de telle façon qu'il en vient à assimiler de nombreuses pages italiennes conçues pour le violon, en les transcrivant pour l'instrument d'harmonie comme le clavecin ou l'orgue ; dans ses propres œuvres, il absorbe quantité d'éléments qui relèvent du vocabulaire ultramontain et qui viennent enrichir son texte.
Mais il est à croire que le seul voisinage de l'Italie ne suffit pas à expliquer Bach : sans la France, son message serait incomplet. Les écoles de Versailles et de Paris lui fournissent en effet deux ou trois constantes auxquelles il va rester toute sa vie attaché. Car s'il a exploité l'ouverture à l'italienne, il semble avoir constaté que l'ouverture à la française lui est supérieure, avec ses graves pointés et ses fugatos. On la trouve aussi bien dans l'œuvre de clavecin, l'œuvre d'orgue, les grands chœurs ou les suites d'orchestre.
S'il a exploité le concerto grosso ou le concerto pour soliste à l'italienne, il a subi fortement l'influence du concert à la française. En effet- comme tous les musiciens allemands nés au xviie s.-, Bach ne peut passer indifférent à côté de la suite de danses. Il y sera fidèle toute sa vie, et on en trouve des traces tant dans sa musique de clavecin que dans sa musique de violon ou de flûte. On peut même se demander si les confessions les plus intimes de Bach ne sont pas celles qui empruntent à la sarabande pour clavier son cadre officiel. Enfin, Bach, qui a pratiqué certains clavecinistes français, qui a recopié tout le Livre d'orgue de Nicolas de Grigny au début de son existence, semble avoir accepté toutes les lois de l'ornementation française et avoir par là transmis à la musique allemande tout un monde d'abord éphémère et improvisé, puis fixé par des règles intangibles, tout un monde qui doit habiller la mélodie ou la dissoudre sous une parure fantaisiste et lui permettre toujours de contraster avec une basse continue de système italien.
Le secret de Bach est d'avoir su assimiler tendance italienne et tendance française, et de les avoir adaptées avec un extraordinaire à-propos et un réalisme efficace au monde structuré et contrapuntique dont il était le grand mage.
Bach après Bach
On assure que Bach était, au moment de sa mort, moins connu que son fils Carl Philipp Emanuel. Il semble en effet que, durant toute la seconde moitié du xviiie s., l'œuvre de Bach ait été peu jouée. C'est pourtant Carl Philipp Emanuel qui prend la peine de regrouper en un recueil les quatre cents chorals des cantates qui proviennent des manuscrits paternels. C'est le célèbre baron Gottfried Van Swieten qui part à la découverte des originaux de Jean-Sébastien : il les met sous les yeux de Mozart en 1781, et ce geste entraînera une transformation dans l'esthétique pratiquée par Mozart, dont le génie est stimulé par la lecture des fugues du Cantor. Les premières éditions du Clavecin bien tempéré paraissent simultanément en Angleterre et en Allemagne au début du xixe s. Le pianiste Beethoven en fait son pain quotidien, et ces volumes auront désormais leur place sur les pupitres des virtuoses du clavier (Chopin, Schumann, Mendelssohn, Liszt). Beethoven, qui avait envisagé d'écrire une grande ouverture sur le nom de Bach, a été conquis, les dernières années de sa vie, par l'écriture fuguée du maître de Leipzig, et son admiration ne fait que croître à la lecture des manuscrits qui lui sont révélés. Un musicographe suisse a démontré récemment que les six derniers quatuors sont redevables de l'exploitation du thème musical formé par B.A.C.H. à l'état direct ou à l'état renversé. Il est bien évident que, lorsque Beethoven introduit le prélude et la fugue dans ses dernières sonates, il n'ignore aucunement sa dette envers Jean-Sébastien.
Grâce à Mendelssohn, le monde romantique se trouve en présence d'une partition dont on va fêter le centenaire (1829), la Passion selon saint Matthieu et qui a été mise sous les yeux du jeune israélite converti au protestantisme par le vieux maître de chapelle K.F. Zelter. Désormais, Mendelssohn s'enflamme pour tout ce qui concerne Bach, et sait entraîner dans son sillon son fidèle ami Schumann. Ces deux musiciens n'auront de cesse de créer une grande société qui doit prendre à charge l'édition de l'œuvre du Cantor ; cette Bachgesellschaft publiera, de 1851 à 1900, un total de quarante-six volumes, qui vont forcer le monde musical à prendre conscience de l'extraordinaire message de cet Allemand du xviiie s. À l'imitation de Bach, Chopin écrira un cycle de préludes, pour piano, sans toutefois garder à la lettre le plan exact du Clavecin bien tempéré. Schumann insère dans son œuvre de clavier, sans qu'il soit très habile d'ailleurs à développer des fugues, de courts épisodes contrapuntiques qui sont autant d'hommages rendus au maître du contrapunctum. Liszt ne se contentera pas d'écrire un prélude et fugue sur le nom de Bach ; il reprend le thème de la cantate Weinen, klagen et en fait le soutien d'une série de variations étonnantes pour piano ou pour orgue. Comme Schumann, il incorpore le choral à sa musique de piano, et comme Beethoven, il recherche la synthèse entre le choral et l'esprit fugué dans la grande variation. Cette influence du choral, qui grandit, chez les romantiques, à la lecture des préludes de choral classiques de Bach, on la retrouve chez Franck, Brahms et Bruckner. La découverte de l'œuvre d'orgue de Bach assure, dans le dernier tiers du xixe s., la résurrection de l'orgue d'église et de concert grâce à Max Reger et Charles Marie Widor. Enfin, il ne faut pas oublier la place que tient le choral de Bach, son esprit, son écriture, dans toute l'œuvre de Wagner.
La « résurrection de J.-S. Bach »
Il est bien certain que la première moitié du xxe s. a vécu sous l'égide de Bach. « Retour à Bach », a-t-on dit. Mieux aurait valu dire : « découverte de Bach ». En effet, si les musicologues, depuis une cinquantaine d'années, avaient commencé à écrire certaines études sur le Cantor, c'est par le concert que, dès le début du xxe s., se fit une large diffusion de son œuvre, partant, de sa pensée.
Fondée par Gustave Bret en 1904, la société Bach se donnait pour tâche de révéler au temple de l'Étoile les Passions ainsi que certaines cantates, la Messe en « si » et le Magnificat. Une société Bach analogue se fondait en Allemagne et en Angleterre. A. Cortot, comme chef d'orchestre, faisait, dans ses auditions, une large place aux Concertos brandebourgeois. Alexandre Guilmant et Charles Marie Widor, dans les récitals d'orgue qui attiraient la foule au palais du Trocadéro, lui révélaient les grands préludes et fugues, et certains chorals.
Après la Première Guerre mondiale, Marcel Dupré exécutait de mémoire toute l'œuvre d'orgue de Bach au Conservatoire, et il en faisait, comme Guilmant et Eugène Gigout, la base de son enseignement à la classe d'orgue.
Au clavecin, Wanda Landowska inscrivait à ses programmes aussi bien le Clavecin bien tempéré, le Concerto italien ou les partitas. La découverte de toute cette œuvre ne fit que s'accélérer entre les deux guerres.
Les malheurs qu'attira sur la France l'invasion allemande au moment de la Seconde Guerre mondiale, et qui frustrèrent le public de tout divertissement, provoquèrent ce contrecoup auquel personne ne s'attendait : la montée en flèche de l'œuvre de Bach et de la personnalité du Cantor, considéré comme un maître de haute spiritualité, un architecte souverain. Dès lors, et par le truchement des Jeunesses musicales de France, Bach remplit peu à peu les salles, que ce soit le Bach de l'orgue, le Bach du clavecin, le Bach des cantates ou le Bach de la musique de chambre. La Radiodiffusion-Télévision française prend le relais, et plusieurs émissions sont consacrées exclusivement soit à l'effort vocal, soit à l'effort instrumental du Cantor. À l'écoute des multiples cantates de Bach, l'auditeur prend conscience de l'extraordinaire puissance et de la diversité du compositeur.
Le deux centième anniversaire de la mort de Bach en 1950 affirme sa position, en France et dans le monde. On peut dire qu'à partir de cette date toute l'œuvre sera jouée et qu'il ne reste plus une ombre, plus un terrain ignoré dans cette immense production. Ajoutons que la résurrection du clavecin, en Europe et en Amérique, contribue également à la découverte objective des œuvres que Bach lui a consacrées. Les orgues classiques ou baroques, reconstituées d'après les principes de la facture d'orgues du xviiie s., ne peuvent que promouvoir une meilleure écoute des préludes et fugues, des sonates et des chorals.
Enfin, l'extraordinaire révolution du microsillon va mettre à la disposition de tous une œuvre qui doit former l'essentiel des discothèques à venir.
Depuis vingt-cinq ans, dans tous les pays du monde, se sont constitués des orchestres de chambre, des chorales ou des sociétés qui s'honorent du patronage de Jean-Sébastien Bach.
Bach et la musicologie
On a coutume de dire que Jean-Sébastien Bach est resté ignoré du grand public pendant cent ans après sa mort. C'est oublier les efforts des personnalités qui, dès le dernier tiers du xviiie s., tant comme historiens que comme musiciens, se sont intéressées au cas Bach. Sans reparler de l'intérêt que Carl Philipp Emanuel Bach portait aux manuscrits de son père, qu'il a signalés et transmis au diplomate G. Van Swieten, c'est un musicologue et compositeur allemand, Johann Nikolaus Forkel, qui regroupe en un petit volume, paru en 1802, tout ce qu'il a pu glaner concernant la vie de Bach et son art. Quelques préludes et fugues du Clavecin bien tempéré sont publiés en même temps en Angleterre et dans les pays germaniques. Muzio Clementi en annexe à ses méthodes de piano, et, sans même citer Bach, Giambattista Martini, dans sa méthode d'orgue dédiée à l'impératrice Joséphine, transcrit le choral De profundis. On aimerait savoir quelles sont les éditions que Beethoven a connues de Bach. C'est à l'amitié de Schumann et de Mendelssohn que l'on doit la fondation de la « Bachgesellschaft » à Leipzig- ainsi qu'on l'a dit-, qui assurera le grand départ de la diffusion même de l'œuvre de Bach. Et si une société Bach est fondée à Leipzig en 1874, c'est l'un de ses fondateurs, Philipp Spitta, qui publie de 1873 à 1880 la première biographie critique du cantor de Leipzig, ouvrage documenté qui servira de source première à tous ceux qui écriront sur Bach. Parmi les Allemands qui ont travaillé sur la vie ou l'œuvre, citons les travaux de H. Kretzschmar, H. Riemann, W. Dahms, H. Besseler, H. J. Moser, J. M. Müller-Blattau, W. Gurlitt. Parmi les Français, les livres d'Ernest David, d'A. Schweitzer, A. Pirro, T. Gérold, R. Pitrou. Parmi les Anglais, les études nombreuses de C. S. Terry, C. H. H. Parry, H. Grace.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, les biographies de Jean-Sébastien Bach se sont multipliées, de même que les travaux d'érudition sur telle partie ou tel aspect de son œuvre (cantate, musique d'orgue).
Le mystère de J.-S. Bach
En dépit de tous ces ouvrages, toutes ces éditions, il faut avouer qu'il reste encore beaucoup d'inconnu sur Bach, sur l'œuvre comme sur l'homme. On découvre des partitions ignorées ; on identifie des manuscrits anonymes en rendant à Bach ce qui était à lui ou en rendant à d'autres ce qui avait été, par erreur, attribué au Cantor. On en vient même à discuter de l'authenticité de certaines pages écrites par Bach en sa jeunesse, notamment de la musique de clavier. On cherche à reconstituer les Passions selon saint Marc et selon saint Luc, et l'on croit savoir que certaines cantates pouvaient être jumelées, comme celles de l'Oratorio de Noël, pour être présentées à titre d'histoires sacrées, dans le propos de commenter certaines fêtes de l'année liturgique. On discute encore de l'authenticité de certains concertos de clavecin, dont plusieurs étaient originellement dus à des Italiens ou des Allemands, mais dont quelques-uns lui appartiennent peut-être en propre. Les musicologues se penchent encore sur l'Art de la fugue pour savoir si un tel corpus était destiné ou non à des instruments, pour savoir également si la dernière fugue relève de l'ensemble même de l'ouvrage didactique. De même qu'on épiloguera longtemps encore sur la registration de Bach à l'orgue, puisque, hormis trois ou quatre pages pour lesquelles il a indiqué organum plenum ou in organo pleno, nous ne savons rien des procédés personnels de coloration utilisés par Bach à l'orgue. Rien des tempos qu'il prenait. Rien, ou presque, des phrasers qu'il avait fait siens. Il est clair que nous ne pouvons pas utiliser à l'orchestre les instruments à vent dont il a exploité les timbres si colorés (cornet, zinc, petite trompette). Il est enfin difficile de se prononcer sur le jeu polyphonique qu'exigeait Bach de l'étudiant auquel il soumettait ses trois grandes sonates pour violon seul : tout dépendait, ici, de la forme de l'archet employé par le professeur. Ainsi, de multiples questions se présentent à l'esprit concernant les instruments utilisés par Bach et son interprétation personnelle sur ces instruments.
LES FILS DE J.-S. BACH
Introduction
Quatre des vingt enfants de J.-S. Bach furent de grands maîtres de la musique. Mieux : les différences sont très sensibles, entre ces quatre créateurs. Dans la position charnière où ils se situent, entre l'apogée du baroque et les premiers éclats beethovéniens, ils semblent présager chacun une portion différente de l'avenir de la musique.
Wilhelm Friedemann Bach
Wilhelm Friedemann Bach (Weimar 1710-Berlin 1784) est le premier enfant, aîné des garçons, dont les études humanistes se situent à Köthen et à Leipzig, et pour l'éducation musicale de qui Jean-Sébastien composa l'Orgelbüchlein (1708-1717), le Klavierbüchlein (1720-1721), le Clavecin bien tempéré (en tous les cas la première partie) et les six sonates en trio pour orgue, ce qui révèle les dons exceptionnels de Friedemann et leur développement rapide. En 1733, il obtient le poste d'organiste de Sainte-Sophie à Dresde ; dans la capitale saxonne, il donne des leçons particulières et participe activement à la vie musicale ; parmi ses élèves, il faut citer Johann Gottlieb Goldberg. En 1746, il quitte Dresde pour devenir cantor de l'église Notre-Dame à Halle (aujourd'hui Marktkirche) avec le titre de director musices, sorte d'adjoint ou de conseiller municipal responsable de la musique. Il avait rendu visite à Händel en 1733 ; en 1747, il accompagne son père à Berlin à la cour de Frédéric II. C'est en 1750, à l'occasion d'une absence prolongée- il avait conduit chez Carl Philipp Emanuel son plus jeune frère, Johann Christian, après la mort de son père- que commencent les difficultés de Friedemann avec les autorités ; elles se termineront par la rupture et la démission en 1764. Des démarches pour obtenir un poste à Zittau puis à Darmstadt n'ayant pas abouti, l'existence indépendante à Halle se révélant impossible, Friedemann cherche à s'établir à Brunswick, puis à Wolfenbüttel. Ni le succès des concerts, ni l'amitié de J.N. Forkel, ni les leçons particulières ne s'avèrent susceptibles d'assurer sa subsistance. En 1774, Friedemann se rend à Berlin, où ses premiers récitals d'orgue font sensation ; Frédéric II évoque à son propos le « grand Bach ». Pourtant, le musicien disparaît dans l'obscurité et la pauvreté pendant ses dernières années ; on sait seulement qu'il forma Sara Lévi-Itzig, musicienne d'envergure et grand-tante de Mendelssohn.
La vie et la carrière de W.F. Bach ne résistèrent pas à la tentative prématurée de mener une existence de créateur et d'interprète indépendant ; nous savons que les récits sur une vie déréglée et ivrogne ne correspondent pas à la réalité. Interprète exceptionnel au clavier et peut-être même au violon, il fut l'un des très rares à être capable d'interpréter les œuvres de son père dans la seconde moitié du siècle ; les témoignages abondent sur les qualités exceptionnelles de ses improvisations. Nous sommes loin, malheureusement, de posséder l'ensemble de son œuvre ; une grande partie n'a sans doute pas été notée par le compositeur, une autre est perdue ; ce qui reste suffit à faire voir dans l'aîné des fils un génie comparable à son père et apprécié d'ailleurs comme tel par Jean-Sébastien.
L'enfant avait déjà une personnalité très affirmée, comme on peut le voir par les pièces mécaniques de Köthen ; les investigations récentes tendent à démontrer que la fantaisie chromatique et fugue BWV 903 serait en réalité une composition de Friedemann arrangée par son père. Nous lui devons en tous les cas la mise au point de la forme sonate et du concerto pour piano moderne. Mais il a surtout élaboré un style polyphonique expressif allant, par-delà Mozart (qui l'a connu et imité) et Schumann, vers les tendances postromantiques de la musique ; telle de ses pages contient une anticipation saisissante de Beethoven et de Debussy.
Parmi ses compositions, il faut citer une vingtaine de cantates, 1 messe, 1 motet, 9 symphonies, 1 suite pour orchestre, 12 compositions de musique de chambre et un très grand nombre de compositions pour clavier (orgue, clavecin et piano) : 12 sonates, 11 fantaisies, 11 fugues, 7 chorals, 5 menuets, 42 polonaises et une quinzaine de pièces diverses dont une suite en sol mineur ; 7 de ses concertos pour clavier sont parvenus jusqu'à nous.
Carl Philipp Emanuel Bach
Formé par son père, Carl Philipp Emanuel Bach (Weimar 1714-Hambourg 1788) évolue rapidement vers un style plus homophone et sensible qui se manifeste dès ses œuvres de 1734. En 1738, il entre dans l'orchestre du prince héritier de Prusse, qu'il suit de Ruppin à Potsdam lorsqu'il devient Frédéric II ; il y porte le titre de « claveciniste de la Cour ». Après de vaines candidatures à Brunswick et Zittau, Philipp Emanuel obtient le poste de director musices de Hambourg, où il succède ainsi à son parrain G. Ph. Telemann. Il y déploie une activité intense non seulement comme compositeur, mais aussi comme animateur, faisant connaître les chefs-d'œuvre de Händel, de Haydn, de Jommelli et de son père, pourtant passé de mode.
Dans son abondante production, largement répandue de son vivant, les oratorios pèsent moins lourd que certaines mélodies annonçant le lied romantique. Ses dernières symphonies révèlent un tempérament haydénien. Dans la musique de chambre, il évolue vers les formes et le langage du classicisme viennois. Son imposante production pour clavier a exercé une influence en profondeur sur Haydn et Beethoven ; il faut en connaître les sonates prussiennes et wurtembourgeoises, et plus encore les six recueils de sonates, rondos et fantaisies destinées « aux amateurs » (1779-1787). Son Essai sur la véritable manière de toucher le clavier (1753-1762) pèse plus dans la balance de la postérité que la cinquantaine de concertos, essentiellement galants ; avec les traités parallèles de Johann Joachim Quantz et Leopold Mozart, il résume l'esthétique musicale du xviiie s. La partie la plus originale de son œuvre est celle où il se laisse aller à des improvisations sensibles, comparables aux Rêveries d'un promeneur solitaire de J.-J. Rousseau.
Johann Christoph Friedrich Bach
Formé par son père et étudiant comme ses frères aînés le droit à Leipzig, Johann Christoph Friedrich Bach (Leipzig 1732-Bückeburg 1795) est le seul des enfants du Cantor à avoir trouvé immédiatement sa voie : à 18 ans, il entre au service de la cour de Schaumburg-Lippe et y demeure jusqu'à sa mort. Il y possède l'un des meilleurs orchestres d'Allemagne et jouit de l'amitié du poète Herder. Il fait un seul voyage en 1778 pour aller voir son jeune frère à Londres. Musicien classique, J. Chr. Fr. Bach annonce l'époque Biedermeier et le règne de cette bourgeoisie cultivée qui sera l'âme de l'Allemagne romantique. C'est le Schubert de la famille Bach, un compositeur dont la musique est familière et populaire au meilleur sens du terme.
Il faut citer l'oratorio intitulé l'Enfance du Christ (1773), les cantates Cassandra, Ino et Die Amerikanerin, et ses cantiques spirituels. Ses 14 symphonies dominent la moyenne du temps, et la dernière, en si bémol (1794), est un chef-d'œuvre se situant entre Haydn et Schubert. Ses nombreux concertos appartiennent au classicisme ; le concerto grosso pour piano et orchestre (1792) se situe au niveau des chefs-d'œuvre mozartiens. Toute sa musique a un charme pénétrant et une perfection formelle très surprenants en cette ère de transition.
Johann Christian Bach
Formé par un professeur choisi parmi les élèves de J.-S. Bach et par ses deux demi-frères aînés, Johann Christian Bach (Leipzig 1735-Londres 1782) passe quelques années à Berlin avant de partir pour l'Italie (1756), où il travaille avec le Père Martini, se convertit au catholicisme et devient organiste en second de la cathédrale de Milan. Après le succès de ses premiers opéras en Italie, il va en Angleterre (1762), où il organise une des premières sociétés de concerts par abonnement avec Karl Friedrich Abel, autre élève de son père. Plusieurs de ses opéras ont été écrits pour Mannheim, ce qui lui permit de connaître la capitale musicale du Palatinat et la « forteresse progressiste » des compositions nouvelles de l'époque.
Malgré l'admiration de Mozart, qui le considérait comme le « grand Bach », le dernier fils du Cantor demeure méconnu parce qu'on ignore ses grandes compositions pour l'église, tel le Requiem pour soli, double chœur et orchestre (1757), et des symphonies comme celle en sol mineur, opus 6, № 6 (qui présage le monde de résignation douloureuse de Pamina dans la Flûte enchantée, mais aussi le monde de Beethoven), ou celle en ré, opus 18, № 4, par exemple, chef-d'œuvre de perfection classique. Sa sonate en ut mineur pour piano montre l'évolution préromantique de Mozart à Beethoven ; son imposante quantité de musique de chambre compte parmi les pages les plus caractéristiques de la « musique heureuse » du xviiie s. à son apogée. Un des aspects les plus importants et les plus originaux, sa musique lyrique très abondante, est curieusement délaissé. On y rencontre pourtant des arias, notamment avec instruments concertants, susceptibles d'être comparées aux plus belles pages lyriques de Mozart. Des contemporains nous certifient que ses improvisations ne pouvaient se comparer, par leur force et leur originalité, qu'à celles de Mozart lui-même. D'ailleurs, plusieurs de ses concertos pour clavier (ceux en ut mineur, fa mineur et sol mineur par exemple) peuvent également se situer à côté de ceux du maître de Salzbourg.