la Grande Bouffe
La grande abbuffata
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des films ».
Comédie dramatique de Marco Ferreri, avec Marcello Mastroianni (Marcello), Ugo Tognazzi (Ugo), Michel Piccoli (Michel), Philippe Noiret (Philippe), Andrea Ferreol (Andréa), Monique Chaumette (Madeleine), Florence Giorgetti (Anne).
- Scénario : Marco Ferreri, Rafael Azcona
- Dialogues : Francis Blanche
- Photographie : Mario Vulpiani
- Musique : Philippe Sarde
- Montage : C. Merlin, A. Salfa
- Production : Mara Capitolina
- Pays : Italie et France
- Date de sortie : 1973
- Son : couleurs
- Durée : 2 h 05
Résumé
Quatre amis décident, toutes affaires cessantes, de se suicider « à la bouffe » dans une maison 1900 du 16e arrondissement de Paris. Il s'agit de Marcello, pilote de ligne, Ugo, restaurateur, Michel, réalisateur à la télévision et Philippe, juge. Au début Marcello insiste pour que des prostituées leur tiennent compagnie, mais celles-ci prennent peur et s'éclipsent très vite. Seule, une institutrice s'attache au quatuor de bourgeois hédonistes et les accompagne dans leur suicide collectif. Marcello est le premier à mourir, sous la neige, au volant de la Bugatti dans laquelle il avait pensé prendre la fuite. C'est ensuite le tour de Michel qui succombe à une terrible crise d'aérophagie, puis d'Ugo qui meurt dans un dernier orgasme. Et enfin Philippe, diabétique, à qui Andréa apporte le dernier plat fatal : un dessert en forme de seins.
Commentaire
Une fable sociologique
La Grande Bouffe est le film qui rendit enfin célèbre Marco Ferreri, cinéaste qui depuis une dizaine d'années avait poursuivi (en Espagne, puis en Italie) une œuvre mineure, mais très cohérente, d'entomologiste passionné par les perversions et les rites de la vie bourgeoise. Représentant la France au festival de Cannes, le film fait scandale et propulse Ferreri au nombre des meilleurs observateurs de son temps. Intervenant au tout début de la « crise » des pays riches, cette fable à base de héros trop nourris choque et fait prendre conscience au public de cinéma qu'il est entré dans une ère de digestion et de recyclage.
Le film n'aurait jamais été possible sans la vieille complicité unissant les acteurs et leur confiance dans ce réalisateur qui leur a déjà donné des rôles de vieux enfants têtus et pervers. Le style de Ferreri, inimitable dans sa simplicité, est peut-être ce qui dérange le plus le public de l'époque. Loin de jouer les provocateurs ou les esthètes, celui-ci adopte une façon de filmer affectueuse et distanciée, et raffine son propre système qui consiste à multiplier les angles de prise de vue afin de créer, à la longue, un sentiment d'étrangeté né d'une fausse familiarité. La nourriture a beau être le « sujet » du film, elle n'est jamais l'objet-fétiche de la caméra, Ferreri concentrant toute son attention sur la façon dont chacun de ses personnages accepte de se laisser mourir, non par frustration, mais par trop-plein de matière. Ferreri développera cette approche dans ses films postérieurs, particulièrement la Dernière Femme. En ce sens, il est un des grands « témoins » des années 1970.