l'Atalante
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des films ».
Comédie dramatique de Jean Vigo, avec Michel Simon (le père Jules), Jean Dasté (Jean), Dita Parlo (Juliette), Gilles Margaritis (le camelot), Louis Lefebvre (le mousse), Raphaël Diligent, Fanny Clar, Gen-Paul, Charles Goldblatt.
- Scénario : Jean Vigo, Albert Riera, d'après une idée de Jean Guinée
- Photographie : Boris Kaufman
- Musique : Maurice Jaubert
- Production : Jacques-Louis Nounez
- Pays : France
- Date de sortie : 1934
- Son : noir et blanc
- Durée : 1 h 29 (version intégrale)
Résumé
Une noce campagnarde. Jean, un marinier, épouse Juliette, fille de paysans. À peine la cérémonie terminée, le couple s'embarque à bord de « L'Atalante », une péniche à moteur appartenant à la Compagnie de Navigation. L'équipage se limite à un vieux loup de mer ayant roulé sa bosse sur tous les océans, le père Jules, et à un moussaillon. La jeune femme se fait mal à cette existence itinérante et à la promiscuité de la vie à bord : elle est à la fois effarouchée et fascinée par les excentricités du père Jules, et rêve de Paris, la ville magique. Un jour, elle s'enfuit, laissant son mari désemparé. Il néglige son travail et se fait menacer de renvoi par son employeur. Le père Jules décide de prendre l'affaire en main : il va chercher « la patronne » et la ramène de force à son foyer flottant. Puis « L'Atalante » reprend sa route, dans un sillage d'argent…
Commentaire
Un romantisme incrusté dans le quotidien
Ce film est l'unique long métrage réalisé par Jean Vigo, jeune auteur marqué par une enfance difficile (il est le fils de l'anarchiste Almereyda), à la santé délicate, au lyrisme d'écorché vif. Trois petits films pleins de verve l'avaient fait connaître : À propos de Nice, Taris et Zéro de conduite. Ce dernier, une évocation sans fard de la routine d'un lycée-caserne, riche de notations autobiographiques, avait été interdit par la censure. Le producteur conservera sa confiance à Vigo pour la réalisation de l'Atalante. Sur une trame assez lâche, le cinéaste broda des variations très personnelles, à base de digressions picaresques (le personnage du père Jules, qu'on croirait sorti d'un roman de Céline ou de Cendrars), de suggestions réalistes (la dure condition des mariniers, le spectre du chômage), de féerie incrustée dans le quotidien (la scène de la guinguette, le vol du sac à main, les facéties du camelot-poète). Il en résulte un équilibre rare de tous les éléments du drame visuel, bien défini par l'historien d'art Élie Faure dans un texte de 1934, qui admire l'esprit d'un film « tourmenté, fiévreux, regorgeant d'idées et de fantaisie truculente, d'un romantisme virulent, bien que constamment humain ».
Vigo n'aura pas l'occasion d'apprécier l'impact de son œuvre sur plusieurs générations de cinéphiles (l'Atalante était l'un des films préférés de François Truffaut). Ce Rimbaud de l'écran mourut, à vingt-neuf ans, d'une septicémie, quelques jours après la sortie de son film, dans une version mutilée et affligée d'une mélodie incongrue chantée par Lys Gauty, le Chaland qui passe. Il fallut attendre 1950 pour que ce joyau du cinéma français soit enfin restauré dans sa splendeur originelle.