Providence
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des films ».
Comédie dramatique d'Alain Resnais, avec Dirk Bogarde (Claud), sir Arthur John Gielgud (Clive), Ellen Burstyn (Sonia), David Warner (Kevin), Elaine Stritch.
- Scénario : David Mercer
- Photographie : Ricardo Aronovitch
- Décor : Jacques Saulnier
- Musique : Miklos Rozsa
- Montage : Albert Jurgenson
- Production : Action Films, SFP, FR3, Citel Films
- Pays : France
- Date de sortie : 1977
- Son : couleurs
- Durée : 1 h 50
- Prix : César du meilleur film 1977
Résumé
Tout repose sur l'affabulation d'un écrivain âgé et malade qui, pendant une nuit d'ivresse solitaire, entremêle des fantasmes de vieillard à des situations, réelles ou imaginaires, mettant en scène les membres de sa famille et leur entourage. Ce jeu créatif est d'abord relativement clair : il y a le souvenir du suicide de sa femme, un procès qui oppose ses deux fils, Claud et Kevin, des gens parqués dans un stade, des exécutions sommaires par des miliciens, la hantise de la décrépitude et de la mort… Puis la mécanique se détraque, en même temps que la nuit avance : ne subsiste plus alors qu'une mosaïque incertaine de lieux et de visages. Au matin, les principaux protagonistes se retrouvent pour un repas d'anniversaire dans le jardin de la villa de l'écrivain.
Commentaire
Un jeu avec la mort
Providence est un film gigogne, caractéristique de la démarche d'Alain Resnais. Le titre par lui-même est équivoque : il désigne à la fois la résidence du narrateur, un écrivain en quête de personnages, et sans doute le titre de son dernier roman, mais aussi un nom de ville, celle où vécut H.P. Lovecraft, auteur fantastique très prisé du cinéaste (quelques plans du film y ont été tournés) ; on peut penser enfin au concept chrétien de prédestination ou, en extrapolant, à la notion de création artistique, dont nous est exposé ici le processus, aléatoire et douloureux. Un film se fait et se défait sous nos yeux, les acteurs ne sont que des pantins dont un magicien sarcastique tire les ficelles, la crédibilité, l'identification, l'émotion sont sans cesse déjouées ; certains décors sont en trompe l'œil, les scènes s'emboîtent mal, les actions se chevauchent dans l'esprit embué d'un démiurge facétieux, tel personnage (celui du footballeur perdu, par exemple) semble sorti du théâtre de l'absurde.
N'y a-t-il donc là qu'une « comédie macabre » (comme le suggère Resnais lui-même), un puzzle dérisoire ? Peut-être, mais doublés d'une amère réflexion sur la mort, les dédales de la création, la confusion des sentiments. Ce jeu poignant rejoint ceux de l'Année dernière à Marienbad, l'Amour à mort et Mélo, notamment. Comme toujours chez Resnais, c'est la forme du film qui lui donne sa cohérence. Le cinéaste joue en virtuose sur l'énigme des lieux, le sortilège des objets, les végétations insolites. La caméra sculpte des ombres, les images sont trempées dans un bain de surréalisme. La musique de Miklos Rozsa, spécialiste des superproductions, confère à cette fable intimiste des accents d'oratorio funèbre. Et l'interprétation, étrangère à quatre-vingt-dix pour cent, ajoute au dépaysement (les acteurs anglais ont été doublés dans la VF par François Périer, Claude Dauphin, Gérard Depardieu, Suzanne Flon). « Tout cela donne beaucoup à rêver. Tout cela est profond et beau » (Claude Mauriac). Providence n'en fut pas moins un rude échec commercial.