Folies de femmes

Foolish Wives

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des films ».

Drame d'Erich von Stroheim, avec Erich von Stroheim (comte Serge Karamzin), Maud George (princesse Olga Petznikoff), Mae Busch (Vera), Rudolph Christians (l'ambassadeur), Dale Fuller (la servante), Cesare Gravina, Malvina Polo.

  • Scénario : Erich von Stroheim
  • Décor : E. von Stroheim
  • Montage : E. von Stroheim
  • Photographie : Ben Reynolds, William Daniels
  • Production : Carl Laemmle (Universal)
  • Pays : États-Unis
  • Date de sortie : 1922
  • Durée : 6 300 m, réduits à 4 200 m pour l'exploitation (environ 2 h 40)

Résumé

Le comte Karamzin est un chevalier d'industrie cynique et corrompu, vivant sur un grand pied à Monte-Carlo en compagnie de deux aventurières, le trio se faisant passer pour des aristocrates russes émigrés. Il séduit l'épouse d'un ambassadeur, escroque une femme de chambre qu'il a mise enceinte et s'enfuit à temps pour échapper à la police. Mais le châtiment l'attend : alors qu'il s'apprête à violer une simple d'esprit, le père de celle-ci le met hors d'état de nuire et jette son cadavre dans un égout.

Commentaire

Un monument de démesure baroque

Il y a plus d'un point commun entre l'auteur de ce film, le grand Erich von Stroheim, et son héros – en dehors du fait qu'il l'incarne avec un brio consommé : la fausse identité (simple roturier émigré aux États-Unis, Stroheim entretint longtemps sa légende d'ex-officier de la garde impériale d'Autriche), la mégalomanie, le sens du panache, le satyriasis, qui sont des constantes de son caractère.

Pendant une courte période de dix ans, entre 1919 et 1929, il parvint à édifier une des œuvres les plus fortes – et les plus folles – du cinéma américain : de Maris aveugles à Queen Kelly, en passant par ce bloc de réalisme brut que sont les Rapaces, c'est la même volonté d'exorcisme sauvage dans la description des rapports humains, la même démesure baroque, la même charge visionnaire. Il y a du Zola et du Sade là-dessous. Mais les producteurs, lassés à la longue des foucades de « l'homme que vous aimerez haïr » (comme le présentait la publicité de l'époque), finirent par le rayer des cadres hollywoodiens. À partir de 1932, Stroheim fut réduit à la condition humiliante d'acteur et ne toucha plus jamais une caméra.

Folies de femmes est la satire impitoyable d'un monde corrompu, dominé par l'hypocrisie, le sexe et l'argent. Un miroir de la société américaine des années 1920 ? C'est un « grand fleuve noir » (selon la formule de Michel Ciment) qui prend sa source dans le luxe effréné des palaces et s'achève dans la nausée des égouts. Le tournage dura près d'un an, et le coût de production fut exorbitant : 1 million de dollars, affirme-t-on. Stroheim, dans son délire perfectionniste, exigea que le grand hôtel qu'il avait fait construire en studio fût entièrement équipé (ascenseurs en état de marche, circuits électriques complets, etc.). Des séquences jugées trop audacieuses (le comte en travesti batifolant avec ses maîtresses) ou d'un réalisme excessif (l'éclatement en gros plan d'un bouton plein de pus) furent coupées, et le métrage final réduit d'un tiers pour l'exploitation commerciale. Même ainsi mutilé, le film fut boycotté par les ligues de décence. Il en reste un monument à l'architecture flamboyante, traversé d'éclairs de génie.