al-Qaida
(en arabe « la base »)
Réseau terroriste islamiste créé en 1988 par l'homme d'affaires d'origine saoudienne Oussama Ben Laden.
1. Le noyau initial
1.1. Le djihad afghan contre l'occupation soviétique
Constituée à partir d'une base de données (d'où son nom, en arabe, d'« al-Qaida ») destinée à recenser les volontaires transitant dans les camps établis en Afghanistan et financés depuis le début des années 1980 par Oussama Ben Laden, l'organisation se fixe alors pour objectif initial l'acheminement de fonds et le recrutement de moudjahidin afin de soutenir la résistance afghane face à l'occupation soviétique. Dans cette entreprise, elle reçoit les soutiens logistique et financier de la CIA et de l'Arabie saoudite.
1.2. La rupture avec l'Arabie saoudite et les États-Unis
Après le départ des Soviétiques d'Afghanistan (février 1989), les principaux responsables d'al-Qaïda – le Palestinien Abdullah Azzam (1941-1989), le Saoudien Oussama Ben Laden (1957-2011), les Égyptiens Ayman al-Zawahiri (1951-2022) et Mohammed Atef (1944 ?-2001) – décident de poursuivre le djihad et déclarent vouloir unir tous les musulmans. Avec l'aide de groupes islamistes, ils veulent créer un « califat panislamique » en renversant les gouvernements des pays musulmans jugés « non islamiques » et en « purifiant » les territoires musulmans de l'influence occidentale. Al-Qaïda en vient alors à désigner des ennemis « proches » : les régimes locaux « apostats », accusés d’avoir rompu avec leur identité religieuse, et des ennemis « lointains » : les « protecteurs » occidentaux.
En août 1990, lorsque l'Iraq envahit le Koweït (→ guerre du Golfe), Ben Laden demande aux dirigeants saoudiens de lui confier le commandement militaire (de son armée afghane) afin d'empêcher les Irakiens de fouler le sol saoudien. Le rejet de son offre et l'acceptation par le roi Fadh d'une coalition d'une trentaine de nations conduite par les États-Unis entraînent la rupture de Ben Laden avec ses parrains saoudien et américain : ayant prononcé une fatwa à l'encontre des États-Unis, désormais présents sur le territoire des Lieux saints, le chef d'al-Qaida quitte son pays pour organiser la formation des moudjahidin dans des camps d'entraînement au Soudan, qui, depuis 1989 se trouve sous la férule du régime islamiste dirigé par le général al-Bachir alors allié à l’idéologue Hasan al-Tourabi. Finalement forcé de quitter ce refuge, il retourne en Afghanistan alors que les talibans sont sur le point de s’emparer de Kaboul (septembre 1996). Il peut alors compter sur la protection de ces derniers.
1.3. Les attentats du 11 septembre 2001
Soupçonnée d'être à l'origine des attentats contre les ambassades des États-Unis à Nairobi (Kenya) et à Dar es-Salaam (Tanzanie) en août 1998, de l'attentat suicide contre le destroyer américain USS Cole (Aden, 2000), al-Qaida revendique les attentats du 11 septembre 2001 perpétrés à New York, à Washington et en Pennsylvanie, dont le cerveau est le Pakistanais Khaled Cheikh Mohammed (vers 1964-), et les auteurs de jeunes arabes vivant en Occident, où ils ont fait leurs études et dont ils ont adopté peu ou prou les comportements, avant de se radicaliser politiquement dans la foulée de leur « retour » au religieux.
1.4. Le repli au Waziristan
Après l’intervention des États-Unis et de leurs alliés en Afghanistan et la chute du régime taliban (octobre 2001), reconstituant ses bases au Waziristan (à la frontière de l'Afghanistan et du Pakistan), l'organisation terroriste revendique plusieurs autres attentats (notamment ceux de Madrid [2004] et Londres [2005]), mais les liens directs entre les terroristes et l’organisation ne sont pas fermement établis par les enquêtes. Quoi qu’il en soit, al-Qaida inspire de nombreuses attaques commises par des groupes apparentés ou se revendiquant de son idéologie.
2. Une nébuleuse mondialisée
2.1. Des structures évolutives difficilement identifiables
Al-Qaïda se transforme en une nébuleuse constituée de dizaines d'entreprises dans de nombreux pays, de banques établies dans les États du Golfe et ayant des ramifications en Europe (notamment en Grande-Bretagne), de sociétés écran installées au Pakistan, dans les États du Golfe et dans des places offshore (Antilles néerlandaises, Bahamas, Curaçao, etc.). Elle dispose, outre de la fortune personnelle de Ben Laden, de ressources financières provenant d'une multitude d'organisations caritatives et humanitaires liées à l'islam, ainsi que de revenus issus des trafics d'armes et de drogue. Difficilement identifiables, ses filières privilégient la hawala (« confiance » en hindoustani), un système de transfert de fonds reposant sur la seule confiance et n'utilisant aucune trace écrite.
2.2. Un assemblage de réseaux plus ou moins connectés entre eux
La caractéristique majeure d'al-Qaida est sa mondialisation sous la forme de réseaux qui ne relèvent pas d'une organisation pyramidale structurée. Agissant de manière opportuniste, ceux-ci frappent à tout moment pour maintenir un climat de terreur et démontrer que toutes les interventions militaires, de l’Afghanistan à l’Iraq, sont inefficaces.
2.3. Un label pour des groupes autonomes
La référence à al-Qaida est le plus souvent un « label » pour des groupes locaux agissant de façon autonome, tant pour leur logistique et leur financement que pour l'organisation opérationnelle des attentats. Forte de quelques milliers d'extrémistes musulmans actifs en Égypte, en Arabie saoudite, au Soudan, au Yémen, en Éthiopie, en Somalie, au Pakistan, en Afghanistan, aux Philippines, al-Qaida apporte son soutien à des groupes terroristes qui ont déjà combattu dans les années 1990 en Algérie (Groupe islamique armé, GIA), en Érythrée, en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo ainsi qu'en Tchétchénie.
2.4. Les branches régionales officielles
L'intervention de la coalition internationale en Iraq (2003) permet à al-Qaida de consolider son emprise au cœur du monde arabe. Ainsi, en Iraq, le groupe Unification et Djihad, mené par le Jordanien Abu Musab al-Zarkawi (1966-2006), devient en octobre 2004 al-Qaida aux pays des Deux Fleuves ou al-Qaida en Iraq (AQI). Responsable de la mort de milliers de chiites irakiens, al-Qaida en Iraq revendique notamment l'attentat du 19 août 2003 contre le QG de l'ONU, au cours duquel le représentant des Nations unies en Iraq, Sérgio Vieira de Mello, trouve la mort ; ainsi que l'attentat du 19 août 2009 contre les ministères irakiens des Finances et des Affaires étrangères, au cœur la « zone verte » de Bagdad (95 morts, plus de 550 blessés).
En Algérie, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) d'Abdelmalek Droukdal, un vétéran du GIA, fait connaître, en septembre 2006, son allégeance à l'internationale djihadiste de Ben Laden et devient, à partir de janvier 2007, l'Organisation al-Qaida au pays du Maghreb islamique (AQMI). En adoptant le label al-Qaida, le nouveau franchisé importe également les techniques de la « base » – attentats-suicides et enlèvements d'Occidentaux, parmi lesquels les otages français Pierre Camatte (enlevé au Mali en novembre 2009, libéré en février 2010) et Michel Germaneau (exécuté le 25 juillet 2010 au Mali).
En janvier 2009, al-Qaida regroupe sous l'appellation Al-Qaida pour la péninsule arabique (AQPA) des djihadistes yéménites et des combattants saoudiens chassés d'Arabie saoudite. Les dirigeants d'AQPA – dont les objectifs sont le renversement de la dynastie saoudienne et celui du pouvoir yéménite allié aux États-Unis – mènent conjointement des opérations d'envergure internationale telles l'attentat manqué du vol Amsterdam-Detroit du 25 décembre 2009 – escomptant entraîner les Américains dans une aventure militaire au Yémen –, et, profitant d'un contexte local favorable (État faible et corrompu, fort ancrage tribal, pauvreté et ignorance), un djihad local d'une grande capacité de nuisance.
3. L’hydre al-Qaida après Oussama Ben Laden
3.1. Ayman al-Zawahiri
Oussama Ben Laden, finalement localisé à Abbottabad, au nord d'Islamabad, est tué lors d'un raid de l'US Navy le 2 mai 2011. Le numéro 2 du réseau et bras droit de Ben Laden sur lequel il exerçait une influence déterminante même s'il n'était pas du clan saoudo-yéménite, Ayman al-Zawahiri (1951-), médecin cairote et ex-chef du Djihad islamique égyptien ayant rejoint al-Qaida en 1998, est désigné peu après à la tête de l'organisation.
3.2. Al-Qaida et les « printemps arabes »
Avant même l’élimination de son chef, al-Qaida avait perdu une grande part de son influence et les « printemps arabes », éclos à partir de la révolution tunisienne de janvier 2011, prennent l’organisation de court. Si la mort de Ben Laden l’affaiblit de plus belle, ses filiales prospèrent, ralliant autour de leur cause divers groupes djihadistes. Mais outre la détermination de leurs principaux adversaires – les pouvoirs « impies » qu’elles restent incapables de renverser –, ses filiales doivent compter avec l’opposition de la grande majorité des islamistes, qu’ils soient modérés ou plus fondamentalistes, en première ligne dans les changements politiques en cours dans les pays arabo-musulmans.
Au Yémen, à la faveur de la contestation de janvier 2011-février 2012, AQPA – la branche la plus étroitement liée au groupe fondateur – parvient à s’implanter assez solidement dans les provinces yéménites du Sud ; en revanche, au Nord, elle rencontre l’hostilité de la population et de la plupart des islamistes du parti al-Islah, et subit de lourdes pertes face à l'action conjuguée de l’armée yéménite et des tirs ciblés de drones américains.
3.3. L'extension d'AQMI dans l'espace sahélo-saharien
Saisissant l’occasion de la nouvelle rébellion touareg au Mali en 2012 (→ Touareg), AQMI s’implante dans le nord du Mali jusqu’à l’intervention militaire de la France et de ses alliés africains en janvier 2013. Ses bataillons (katiba) – parmi lesquels celui d’Abou Zeid, tué lors de l’opération Serval (février 2013) – ont essaimé dans l’espace sahélo-saharien et sont à l’origine de plusieurs prises d’otages occidentaux et algériens, dont sept Français capturés sur le site d’Areva au Niger (septembre 2010) puis libérés. Le groupe semble cependant en proie aux dissensions et à une dérive crapuleuse, alors qu’à ses côtés sont apparus également au Mali le Mujao (Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest, issu d’une scission d’AQMI) et Ansar Dine, créé par un islamiste touareg.
3.4. Autres ralliements
D’autres mouvances proches d’al-Qaida (ou suspectées d’entretenir des liens plus ou moins directs avec l’organisation qaidiste), ont rejoint depuis 2010 la liste des organisations terroristes établie par le département d’État américain. Les chabab somaliens (al-Chabab), créés en 2006 et ayant revendiqué plusieurs attentats – contre l'Union africaine à Mogadiscio ; à Kampala [Ouganda] lors de la retransmission de la finale de la coupe du monde de football en juillet 2010, ainsi que l'attaque du centre commercial Westgate, à Nairobi, en septembre 2013 –, ont fait officiellement allégeance à al-Qaida en février 2012 (sans être à ce jour adoubés par al-Zawahiri).
Par ailleurs, les Talibans pakistanais (Tehrik-e-taliban Pakistan), les organisations nigérianes Boko Haram et Ansaru sont enregistrées en novembre 2013 dans la liste des organisations terroristes. En mars 2015, Boko Haram proclame sa bay'ah – l'allégeance de son groupe – au calife Abu Bakr Al-Baghdadi, chef de l'État islamique (EI).
3.5. Le conflit syrien et la rivalité des djihads
Au début de l'insurrection démocratique du printemps 2011, Bachar al-Asad, exploitant les divisions confessionnelles, libère des centaines de combattants salafistes jusque-là détenus dans ses prisons. Ceux-ci viennent grossir les rangs du Front al-Nosra (Jabhat al-Nosra, Front du soutien au peuple du Levant), fondé en janvier 2012 par des djihadistes venus d'Iraq et dirigé par Abu Mohammad al-Jouhani ; le Front al-Nosra s'impose rapidement comme l'une des plus redoutables forces rebelles en Syrie.
Al-Qaida en Iraq (devenu l’État islamique d’Iraq en 2006 et placé sous la conduite de l’« émir » iraquien Abu Bakr al-Baghdadi) est pour une grande part à l’origine d’une nouvelle vague d’attentats particulièrement meurtriers en 2013, alors que le pays connaît une insurrection massive des populations sunnites contre leur marginalisation par le pouvoir dominé par les chiites. La filiale étend ses actions à la Syrie, prenant le nom d’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL) et s’engageant dans la guerre civile (malgré le désaveu d’al-Zawahiri).
3.6. L’affirmation de l’« État islamique »
En avril 2013, Abu Bakr al-Baghdadi tente d'absorber le Front al-Nosra, mais cette mainmise est rejetée par son chef, al-Jouhani, qui annonce, dans la foulée, son allégeance à al-Qaida. Le chef de cette dernière, al-Zawahiri tranche en faveur de la séparation des branches irakienne et syrienne. Exclu d'al-Qaida le 2 février 2014, Abu Bakr al-Baghdadi lance, en juin, une série d’offensives couronnées de succès dans le nord-est de la Syrie puis dans le nord-ouest de l’Iraq, avant de proclamer, le 29 juin, l'instauration d'un « califat » dirigé par l'« État islamique » (EI, dont l'acronyme arabe est, pour ses opposants, Daech), lui-même s'attribuant le titre de « calife Ibrahim ». Enrichi par le pillage des banques et des arsenaux irakiens, par le racket, la contrebande de pétrole ou les rançons d'otages occidentaux, l'EI dispose d'une immense trésor de guerre et aimante, outre des milliers de volontaires de toutes nationalités, d'autres groupes djihadistes. Reléguant au second plan la lutte contre le régime de Bachar al-Asad ou contre celui de Bagdad, il entend concrétiser son projet de créer un État islamique sunnite, expurgé de toute minorité « impie » (chiites, chrétiens, yézidis…) à cheval sur le Liban, la Syrie et l'Iraq, qui redessinerait ainsi les frontières issues de l'accord Sykes-Picot de 1916.
Cette nouvelle mouvance se distingue à la fois par son utilisation très élaborée de la propagande via l’Internet, par ses exactions particulièrement brutales pour terroriser ses adversaires (décapitations, crucifixions…) et par un début d’administration des territoires conquis, notamment à Raqqa, sa « capitale » syrienne.
Malgré l’organisation par les États-Unis d’une coalition afin de contenir la progression de ses forces, les revers subis à la suite de frappes aériennes contre ses positions et sa condamnation par plusieurs autorités de l’islam sunnite dont le grand mufti d’Arabie saoudite, l’EI accroît son influence au sein de l’insurrection syrienne et de l’islamisme djihadiste.