sibylle
(latin sibylla, du grec sibulla)
Prophétesse inspirée spécialement par Apollon.
Dans l'Antiquité, le nom de Sibylle était donné à des femmes qui étaient réputées avoir reçu d'Apollon le don de prophétie. Il fut appliqué à plusieurs prophétesses en qui les Anciens reconnaissaient une inspiration divine et la vertu de rendre des oracles, mais qui, contrairement à la Pythie, qui était attachée au temple de Delphes, étaient indépendantes et vivaient une existence itinérante. Les Grecs installés en Grande Grèce, notamment, développèrent ce mode de divination ; la plus ancienne sibylle connue semble avoir été la sibylle d'Érythrée, en Ionie, mais les Grecs connurent également la sibylle de Marpessos, près de l'Ida, et leur nombre augmentant au fil des siècles, on connut aussi la sibylle d'Hellespont, la sibylle Phrygienne, la Persique, la Libyque, la Cimmérienne, etc.
Le recours à ce mode de divination se répandit par la suite chez les Romains, qui connurent à leur tour la sibylle de Tibur, et surtout la sibylle de Cumes, prêtresse d'Apollon, qui accompagna Énée aux Enfers après lui avoir demandé de cueillir un rameau d'or dans les bois sur les bords du lac Averne (Virgile, Énéide, 6, 10 ; Ovide, Métamorphoses, 14, 104) et qui devint l'oracle national de Rome.
Sous le nom de la sibylle de Cumes, les Romains conservaient en effet des prédictions fort obscures, les vers sibyllins. Selon la légende, neuf livres de ces vers prophétiques, censés contenir tout l'avenir de Rome, avaient été proposés par la sibylle de Cumes à Tarquin le Superbe, contre une très forte somme d'argent. Le roi, ayant refusé ces prétentions qu'il jugeait excessives, la sibylle brûla devant lui trois des livres et proposa de lui céder les six livres restants pour le même prix qu'elle avait demandé pour les neuf ; le roi ayant de nouveau refusé, la sibylle brûla encore trois livres, en maintenant toujours son prix pour les trois livres restants. Tarquin alors, après avoir consulté les augures, céda et acheta ces trois derniers livres au prix demandé, et les fit déposer dans le temple de Jupiter au Capitole ; à leur garde était préposé un collège spécial de prêtres, d'abord des duumviri, puis des decemviri, et enfin des quindecemviri (Cicéron, De natura deorum, 3, 5 et De divinatione, 1, 97).
Les prédictions des livres sibyllins, que les auteurs latins appellent fata sibyllina ou libri fatales, ne pouvaient être consultées que sur ordre du Sénat. On y avait recours dans les cas de prodiges ou de calamités publiques. Elles étaient vraisemblablement rédigées en grec, et leur introduction à Rome doit être antérieure à la prise de Cumes par les Samnites (423 av. notre ère) ; ces livres sibyllins disparurent dans l'incendie du temple de Jupiter Capitolin, en 83 av. notre ère, sous la dictature de Sylla. On n'en connaît que la citation que le chroniqueur Phlegon de Tralles, dans son Livre des merveilles (iie siècle apr. J.-C.) donne de l'oracle lu par les décemvirs en 125, à l'occasion de la naissance d'un hermaphrodite. Après l'incendie du temple de Jupiter, les Romains dépêchèrent plusieurs missions dans les pays supposés héberger des sibylles, afin de reconstituer les ouvrages perdus. Ces textes, contrôlés et expurgés par Auguste et Tibère, furent finalement détruits quelques siècles plus tard sous l'empereur Honorius (395-423).
Dès le iiie s. avant J.-C., circulèrent dans l'empire romain une série de livres connus sous le nom d'Oracles sibyllins, dont certains sont parvenus jusqu'à nous à travers des copies des xive et xvie siècles. Ces livres, au nombre de douze, comprennent des oracles antiques, mais aussi des oracles juifs et des écrits chrétiens. Se fondant sur certains passages de ces livres, notamment d'un passage du huitième livre, censé être un recueil de prophéties données par la Sibylle Érythrée, les écrivains paléochrétiens, tels Eusèbe de Césarée, Lactance et saint Augustin, puis ceux du Moyen Âge, crurent que les sibylles avaient annoncé la naissance de Jésus et l'avènement du christianisme ; d'où la fréquente représentation des sibylles dans l'iconographie chrétienne, aux portails ou sur les vitraux (Beauvais) des cathédrales. Mais, elles inspirèrent également de nombreuses œuvres de la Renaissance, telles les cinq figures colossales des sibylles Persique, Érythrée, Delphique, Libyque et de Cumes mêlées par Michel-Ange aux sept figures de prophètes sur ses fresques de la voûte de la chapelle Sixtine, ou les quatre figures des sibylles de Cumes, Persique, Phrygienne et Tiburtine peintes par Raphaël dans l'église Santa Maria della Pace à Rome (1514). Les canons du concile de Trente (1568), mirent fin à ces représentations héritées de l'Antiquité païenne.