art ottoman
(turc Osman, nom du fondateur de la dynastie)
L'art ottoman, où se mêlent des éléments d'Asie centrale, byzantins, iraniens et balkaniques, et dont l'originalité est déjà perceptible dès le milieu du xive s., connaît un brillant apogée sous le règne de Soliman le Magnifique (1520-1566). [Empire ottoman]
L'architecture
Des nombreuses innovations apparues dans l'architecture anatolienne aux xive et xve s., les plus originales sont sans doute l'élargissement de l'espace intérieur, au moyen de piliers moins nombreux et plus élevés, et l'emploi de plus en plus fréquent de la couverture en coupole posée sur des zones de transition (permettant de passer du plan carré au plan circulaire) très variées.
C'est surtout à Brousse (Bursa), capitale du jeune État ottoman, et à Edirne que se généralise dès la fin du xive s. une conception nouvelle de l'architecture, selon laquelle la mosquée n'est plus isolée, mais incluse dans un ensemble comprenant des bâtiments à fonction religieuse – medrese (école islamique), mausolée, lieu de réunion pour sectes mystiques – et d'autres, d'utilité publique – hôpital, bains, réfectoires pour indigents, bibliothèque –, réunis par des jardins.
Le plan le plus souvent utilisé pour les mosquées est alors celui en T renversé : portique en façade et salle de prière formée par la juxtaposition longitudinale de deux salles sous coupole, la première étant flanquée de salles latérales disposées symétriquement. C'est celui, par exemple, de la mosquée Verte à Brousse. Mais il existe aussi des plans différents, tel celui, toujours à Brousse, de la Grande Mosquée, à plusieurs travées couvertes par des coupoles sur piliers ; éclairée de nombreuses fenêtres et rafraîchie par une fenêtre centrale, elle présente un volume intérieur nouveau qui frappe par son ampleur.
Plusieurs de ces édifices sont ornés de somptueux revêtements de carreaux en céramique. Certains de ces revêtements, tout à fait extraordinaires comme dans la mosquée Verte (1415-1420) et le « türbe Vert » (mausolée de Mehmed Ier ; 1421) de Brousse, sont les œuvres d'artistes qui ont signé leurs œuvres.
À Constantinople, grande métropole impériale et religieuse, succède en 1453 Istanbul, capitale musulmane. Transformée en mosquée le jour même de la conquête de la ville par les Ottomans, Sainte-Sophie, la monumentale et fastueuse basilique de Justinien, constitue pour les architectes un modèle et un défi : les édifices élevés au cours du demi-siècle suivant la conquête témoigneront des solutions utilisées pour lier les recherches opérées à Brousse et à Edirne et la tradition architecturale de Sainte-Sophie, c'est-à-dire un plan centré et une grande coupole unique.
Les dimensions grandioses et la somptuosité des réalisations architecturales supposent la mise en œuvre de moyens considérables que seuls le sultan et quelques personnages de très haut rang pouvaient fournir. C'est à Edirne et surtout à Istanbul que s'érigent, dès la fin du xve s. et pendant tout le xvie s., une série d'ensembles monumentaux dominés par des mosquées à la silhouette à la fois massive et aérienne. La mosquée type est à cette époque un cube surmonté d'une coupole, précédé du côté nord d'une cour entourée de portiques qui sont couverts de petites coupoles. Le portail d'entrée de la salle de prière est dans l'axe du mihrab, niche indiquant la direction de La Mecque. Gagnant en hauteur et en ampleur, la salle de prière devient un immense espace unifié par la coupole centrale unique, contrebutée par un jeu savant d'arcs, de demi-coupoles et de petites coupoles. Des minarets fuselés accentuent l'élan aérien de cette monumentale architecture aux surfaces lisses. La lumière pénètre par une multitude de fenêtres à vitraux, qui transforment les murs en écrans ajourés.
L'âge classique ottoman connaît son apothéose avec les réalisations de l'architecte Sinan, qui œuvre pour Soliman le Magnifique, Selim II et Murad III. Tirant les leçons des créations byzantines, il supprime peu à peu tout ce qui paraît aléatoire, trouvant sans cesse des solutions nouvelles aux problèmes posés par la couverture en coupole. Ainsi, si celle de la mosquée Shehzade (1548) s'appuie sur quatre demi-coupoles, celle de la mosquée construite pour Mihrimah, fille de Soliman, repose directement sur les murs surmontés de tympans. À la Süleymaniye (1550-1557), rivale de Sainte-Sophie édifiée pour le sultan lui-même, la coupole repose sur deux grands arcs en ogive surbaissés et sur deux demi-coupoles, et les contreforts latéraux se trouvent incorporés aux galeries extérieures et aux tribunes intérieures correspondantes. La dernière grande mosquée de Sinan, la Selimiye (1569-1575), construite à Edirne pour Selim II, marque l'aboutissement de ses recherches. Très imposants d'allure ou au contraire de caractère intime, mais toujours élégants, ces édifices mettent en œuvre différentes techniques décoratives, telles les céramiques, fabriquées dans les ateliers d'Iznik, de la petite mosquée construite pour Rustem Paçha. Longtemps après la mort de leur créateur, les réalisations de Sinan inspireront les architectes ottomans.
Les ateliers impériaux
L'épanouissement de l'art va de pair avec celui de la situation économique, et, dans un système d'État centralisé, avec la personnalité des souverains. L'immensité de l'Empire ottoman, la maîtrise des routes terrestres et maritimes et le butin de guerre expliquent l'afflux de richesses à la cour du sultan : soie d'Iran, fourrures, ivoire de morse et ambre des pays slaves, fins lainages, velours et soieries d'Italie, argenterie et orfèvrerie d'Allemagne, des Balkans et de Venise, pierres précieuses d'Iran, de l'Inde, et même, en 1560, émeraudes de Colombie.
L'État commande des œuvres à des corps de métiers qui regroupent des artisans originaires des différentes régions de l'Empire : tailleurs de pierre, armuriers, cordonniers, tisserands, orfèvres. Chaque groupe est hiérarchisé, avec des maîtres et des apprentis, sous l'autorité d'un chef, un des hauts dignitaires du palais. Tous sont enregistrés et touchent un salaire. Quelques-uns de ces artisans peuvent, selon les besoins des travaux commandités par le sultan, être envoyés dans d'autres villes qu'Istanbul, où il existe des structures calquées sur celles de la capitale. Certains centres provinciaux sont réputés pour leurs productions spécialisées, exécutées sous le contrôle de l'État : soieries à Brousse, tapis à Ushak, céramiques à Iznik.
Le nakkashane, atelier des artistes chargés de réaliser les manuscrits commandités par la cour, joue un rôle de premier plan. Créé sous le règne de Bayezid II, il accueille, après la victoire de Selim Ier sur le chah séfévide (1514), des artistes ramenés de Tabriz. L'atelier, qui occupe un bâtiment à l'intérieur du palais, mais où ne logent pas tous les artistes, est dirigé par un grand peintre, tels Chah Qulu et Kara Memi. Ce sont ces peintres qui élaboreront les différents styles qui jalonnent l'évolution de l'art classique ottoman, celui du xvie s.
La céramique
Dès la fin du xve s., les potiers mettent au point une production originale. La pâte siliceuse, blanche, contient de la fritte plombeuse (c'est-à-dire de la glaçure pilée, matière vitreuse à base de silice) ; l'objet est recouvert d'une couche de même nature, mais plus fine et plus épurée, sur laquelle est peint le décor. Une glaçure plombeuse recouvre le tout. À la cuisson, la présence de silice et de plomb dans les trois couches superposées favorise une parfaite cohésion de l'ensemble et confère à ces objets un aspect très brillant. Iznik devient le centre spécialisé de cette production.
À côté des pièces de vaisselle, les carreaux de revêtement en place dans des édifices datés jouent un rôle important, car ils constituent des jalons chronologiques pour l'évolution du style. Les objets de la fin du xve et du début du xvie s. se caractérisent par des formes amples et un décor bleu et blanc, rumi et hatayi. À la porcelaine chinoise – très prisée des sultans, qui en rassemblent une grande collection – les potiers empruntent la forme des grands plats à marli chantourné et certains décors. Vers 1520-1530, des touches de bleu turquoise viennent rehausser la palette, qui, aux alentours de 1540, s'enrichit encore de couleurs douces où se combinent, en de délicates harmonies et dans de souples compositions florales de style saz, le bleu foncé, le bleu turquoise, le gris, le vert tilleul et le mauve. Vers 1555, enfin, apparaît le fameux « rouge d'Iznik », composé de quartz ferrugineux pulvérisé, associé à un vert vif. Les décors tendent à devenir moins souples, mais les motifs et les formes restent variés.
Si Iznik compte encore plus de trois cents ateliers au début du xviie s., elle n'en compte plus que neuf une cinquantaine d'années plus tard. À la fin du siècle, des ateliers sont installés à Tekfur Saray, dans la capitale, mais leur production n'atteindra pas la qualité de celle d'Iznik. Kütahya se spécialise au xviiie s. dans une vaisselle aux couleurs vives et gaies, souvent ornée de petits personnages, et dans des objets de caractère liturgique liés à la présence d'une importante communauté arménienne dans cette ville. À la fin du xviiie s. se développe à Çanakkale, sur la rive asiatique des Dardanelles, une production de caractère rustique et populaire.
Les textiles
La somptuosité de la cour ottomane va de pair avec la richesse des tapis, des tentures, des coussins et de la tenue vestimentaire, particulièrement luxueuse. Aux tissus ordinaires, les plus nombreux, s'ajoutent les tissus façonnés – soieries et velours alourdis de fils d'or et d'argent. Le centre de l'industrie textile, et particulièrement de la soie, est Brousse, où la culture des mûriers a été acclimatée. Normes de fabrication, salaires des artisans, prix des denrées font l'objet de décrets (firman). Les soieries sont destinées à la cour et à la population turque aisée, mais aussi à l'exportation vers l'Orient et l'Europe, où, par exemple, les productions italiennes reprendront des techniques et des motifs ottomans. Les couleurs préférées des tisserands turcs sont le rouge, l'or et l'argent, mais aussi le bleu, le vert, le jaune et le noir. Le décor, parfaitement mis en valeur par la coupe simple des caftans, marque une prédilection pour les tiges ondulantes et les réseaux de mandorles, schéma souvent employé aussi dans les revêtements de céramique. L'évolution des motifs suit la mode lancée par le nakkashane : les « quatre fleurs » et le style saz se rencontrent sur les productions du xvie s.
L'orfèvrerie et les gemmes
Les textes attestent le goût de la cour ottomane pour les métaux précieux : parmi les artisans payés par le palais à partir du xvie s. figurent des joailliers et des orfèvres. Les arts qu'ils pratiquent jouissent d'un prestige d'autant plus certain que les sultans Selim Ier et Soliman le Magnifique s'y adonnent eux-mêmes. Ils sont favorisés par l'importance des mines d'or et d'argent des Balkans, par l'influence des productions de villes célèbres pour leur orfèvrerie, comme Raguse (Dubrovnik), et par le rôle des artisans persans et arméniens. Ils sont régis par des lois strictes, et les productions doivent en théorie porter un poinçon.
Si plusieurs objets en argent frappent par leur aspect lisse et dépourvu d'ornements, esthétique rarement utilisée dans l'art islamique, la plupart cependant – coupes, pichets – s'ornent d'un fin décor gravé et repoussé. De nombreuses pièces s'enrichissent aussi d'incrustations de pierres précieuses. Cette même technique, appréciée en Iran et en Inde, s'applique également au jade, au cristal de roche, et même à la porcelaine chinoise. L'objet se trouve enserré dans un réseau coloré et brillant de fines tiges d'or reliant entre elles des fleurs à un cœur de rubis ou d'émeraude enchâssé dans une corolle également d'or.
L'art du livre
La peinture ottomane existe déjà au xve s., mais elle ne s'affirmera guère qu'après le début du xvie s. Elle présente un caractère spécifique qui résulte de la fusion d'influences très diverses et du désir du peintre ottoman d'être avant tout une sorte d'historien visuel. Le rôle de l'Iran n'est pas négligeable, des artistes persans occupant souvent de hautes fonctions dans les ateliers impériaux. Mais l'influence de l'Asie centrale et de la Chine se fait également sentir, de même que celle de Byzance, dont l'art peut être directement appréhendé par les artistes à travers des mosaïques et des manuscrits. Les liens étroits avec l'Europe, par l'intermédiaire de peintres européens travaillant à Istanbul et surtout des gravures qui circulent en nombre, ne seront pas sans agir sur le développement de cette école.
Ce qui frappe sans doute le plus dans la miniature turque de caractère officiel, c'est un sentiment de puissance et de vitalité, reflétant bien la force dynamique et disciplinée d'un empire très expansionniste. La société représentée est essentiellement virile : le sultan et sa cour, des armées calmes et résolues. Un autre trait important est le souci de réalisme, particulièrement évident dans les portraits des sultans. Ce même souci se retrouve dans les représentations de batailles et de fêtes, où il frise souvent la caricature. Par ailleurs, en raison de l'intense activité des militaires et des marchands, cartes et ouvrages géographiques mentionnant les plus récentes découvertes connaissent un développement jusqu'alors inégalé dans les pays d'islam.