grunge
(américain grunge, crasse)
Mouvement musical apparu aux États-Unis, à Seattle, en 1985 dans la jeunesse des milieux populaires blancs, baptisée génération X, qui se caractérise par des sons de guitare « très sales » et mélange l'énergie du heavy metal avec le désespoir du punk.
Venus du chaos
Au début des années 1980, un bouillonnement musical commence à pointer le bout de son nez à Olympia et à Seattle. L'État de Washington vit à cette époque au rythme du rock gothique anglais, lugubre et intellectuel. Une poignée de punks aux cheveux longs décide de lancer une contre-attaque. Des fanzines (Op, Atrophy, Desesperate Time …), des radios (KCMU ou KAOS), des groupes aussi violents qu'éphémères, des labels (C/Z Records ou K-Records) et des clubs chaotiques surgissent. Avec quelques dollars en poche, des centaines de groupes parviennent à monter des démos (bandes de démonstration) dans leur coin. Le mouvement prend forme peu à peu, quand, en 1987, Bruce Pavitt (journaliste) et Jonathan Poneman (promoteur de spectacles), s'associent pour fonder le label qui va mettre le feu aux poudres. Sub Pop – du nom du fanzine Subterranean Pop – sort immédiatement une compilation de groupes nationaux, Sub Pop 100 (avec notamment Sonic Youth), qui leur sert de rampe de lancement.
Sub Pop, inventeur du grunge
La structure se dote d'un studio, les Reciprocal Recordings – et d'un producteur, Jack Endino – , puis enchaîne avec le Screaming Live de Soundgarden et Dry As A Bone des Green River (composé des futurs membres de Mudhoney et de Pearl Jam). « J'avais besoin d'une accroche pour présenter le disque de Green River », déclare Pavitt en 1993 à Rock et Folk, « comme ils s'habillaient comme des clodos et que leur son de guitare était très sale, j'ai cherché un mot qui symbolise tout ça. Grunge sonnait juste… » C'est le Tacoma News Tribune qui s'intéresse le premier au développement artistique de Seattle catalysé par Sub Pop en 1988. Pavitt et Poneman ont le double mérite d'être de pertinents chefs d'entreprise et d'oser affronter les structures établies du show-business américain. Ils donnent une image artistique visuelle et attrayante à Sub Pop : stratégie commerciale en forme de « coups de poker », pochettes en noir et blanc, sombres et dures, production de collectors vinyle et compilations à édition limitée… Et pour encourager cet esprit de rébellion, ils font courir le mot « grunge » dans le circuit. Le single Love Buzz de Nirvana se vend étonnamment bien. Mais c'est la compilation Sub Pop 200 qui sera déterminante pour ceux qui y figurent (Screaming Trees, TAD, Nirvana). Dès 1989, la scène de Seattle commence à regarder plus loin.
Génération X
Grunge désigne, à l'origine, les mycoses entre les doigts de pied. Dégoûtant et drôle à la fois, tout en paradoxe. Comme son expression musicale, faite d'énergie et de désespoir. Les chansons de Nirvana, par exemple, expriment un refus global du matérialisme, des règles et des responsabilités ; la pochette de In Utero représente un bébé perverti par le monde du roi dollar. Kurt Cobain (son leader) et la génération X représentent une véritable contre-culture, déjà blasée. La jeunesse désillusionnée a trouvé en ce punk frêle et fêlé son porte-parole. Un glauque mélange de désenchantement, de pessimisme et de sauvagerie émane de la majorité des groupes de Seattle. Mais la génération X a réussi à engranger des millions de dollars. Ces musiciens, blancs, issus du « petit peuple » ont commencé dans le désintérêt général et doivent apprendre à vivre avec le succès. La musique grunge découle du même paradoxe. Entre metal et punk, puissance et apathie, agressivité et passivité, les sons rythment le vécu. Mais le grunge est moins rapide que le hard-core, à l'instar des Melvins, qui se sont fait remarquer en jouant aussi lentement que possible. Le grunge plonge aussi ses racines locales dans le rock garage années 1960 (des Standells au Velvet Underground) et dans l'âpreté de Neil Young, mentor incontestable et respecté. La proximité géographique des groupes de Seattle contribue à enrichir le style. Mais pour la majorité de ces groupes, Gluey Porch Treatments des Melvins est « la » référence en matière d'expérimentations sonores. On sonne le retour au rock abrasif, hargneux et garage. Le son est saturé au maximum, les musiciens inappliqués, et une ligne prédominante de basse accentue le côté languissant et paresseux de la musique grunge. Portées par le succès de Nirvana, d'autres formations ont pu s'affirmer et populariser ce son rudimentaire : Mudhoney et son single Touch Me I'm Sick (1987) font l'effet d'une bombe, TAD, Green River, Soundgarden, Supersuckers se lancent à leur tour.
Mode fulgurante mais éphémère
Le mouvement a très vite dépassé les frontières de l'État de Washington. Beaucoup de majors flairent la bonne affaire. Nirvana, qui avait vendu près de 300 000 albums avec Sub Pop, est signé chez Geffen, tout comme Mudhoney et, plus tard, Hole.