fantastique

(bas latin phantasticus, du grec phantastikos, qui concerne l'imagination)

François de Nomé, Architecture fantastique de nuit
François de Nomé, Architecture fantastique de nuit

Se dit d'une œuvre littéraire, artistique ou cinématographique qui transgresse le réel en se référant au rêve, au surnaturel, à la magie, à l'épouvante ou à la science-fiction.

BEAUX-ARTS

L'art fantastique est né, en tant que catégorie distincte, à une époque récente, après que le rationalisme eut établi une coupure entre un monde sensible et un univers suprasensible, confondus avant lui dans une essence de même nature. La variété de ses thèmes semble constamment ressortir du versant nocturne des choses, sous-jacent à la plupart de ses représentations. Souvent repris dans l'iconographie fantastique – et plus particulièrement au xvie s. par des peintres de culture germanique, comme Altdorfer, Cranach, Grünewald, Baldung Grien ou Dürer –, le thème de la forêt, où l'ombre l'emporte sur la lumière, l'inconnu sur le définissable, apparaît comme la métaphore qui exprime le mieux les terreurs inspirées par la réalité d'un lieu obscur résistant à la pénétration du jour et la hantise du gouffre nocturne.

Les monstres (dragons, licornes, chimères, etc.) naissent de la nuit, retournent à la nuit, et leur apparition terrorise parce qu'elle est une incarnation menaçante de la puissance des ténèbres. Si, de l'art des cultures anciennes aux bestiaires symboliques du Moyen Âge, l'art fantastique présente une quantité prodigieuse de créatures hybrides de toutes sortes (Saint Antoine et les Démons, de Niklaus Manuel Deutsch ; Saint Jacques le Majeur chez le magicien Hermogène, gravure de Cock d'après Bruegel ; le Triomphe de saint Georges, de Carpaccio), il ignore presque totalement le monstre solaire. En revanche, il n'a jamais négligé la figuration de monstres marins (la Chute des anges rebelles, de Pieter Bruegel). C'est que ceux-ci, quand ils ne relèvent pas purement et simplement d'espèces volantes peuplant une mer « céleste » où les barques elles-mêmes s'envolent (la Tentation de saint Antoine, triptyque de Jérôme Bosch), révèlent l'existence d'une autre nuit et traduisent d'autres menaces. La nuit, à laquelle les hommes cèdent quand ils dorment, se peuple elle aussi d'images insolites. Bien avant que Goya n'intitule l'une de ses gravures Le sommeil de la raison engendre les monstres (dans la série des Caprices), Léonard de Vinci, évoquant un rapace qui s'abat sur son berceau, pressentit à quel point une vision qui remonte aux temps où la raison sommeille peut se révéler contraignante.

Logique des rêves ou rencontres fortuites, il ne manque pas d'artistes, de Taddeo Zuccari (l'Allégorie des songes) à Salvador Dalí (Cauchemar des violoncelles mous) en passant par Johann Heinrich Füssli (le Cauchemar) et Gustave Doré, dont le nom soit lié à la représentation de scènes oniriques puissantes. Pour certains, comme Odilon Redon, Gustave Moreau, James Ensor ou Alfred Kubin, on peut admettre que l'onirisme est le fondement véritable de leurs œuvres. Il est à coup sûr l'une des clefs de la peinture de Giorgio De Chirico, de même qu'il joue un rôle capital dans celle de Paul Delvaux.

Non moins représentatifs du fantastique dans l'art, ces paysages troublants qui ne se départiront jamais de l'ombre : Prisons, de Piranèse, forêts et campagnes de Jacques Callot, châteaux d'encre dessinés par Victor Hugo. Hors du monde, mais comme silencieusement désireux de lumière, d'autres lieux semblent sur le point de s'arracher aux ombres : villes de François de Nomé, dit Monsu Desiderio, horizons d'Hercules Seghers, falaises et architectures d'Arnold Böcklin. Trop peuplés de monstres pour n'être pas entièrement voués à la nuit, les paysages gravés par Jacques de Gheyn II ou par Charles Nicolas Cochin indiquent assez qu'il existe aussi, avec diables et sorcières, une fête des ténèbres.

CINÉMA

Le pionnier du cinéma fantastique est assurément le prestidigitateur du théâtre Robert-Houdin, Georges Méliès, dont l'un des premiers sujets s'inscrit d'emblée dans le fantastique puisqu'il s'agit de l'Escamotage d'une dame (1896), truc classique du music-hall, mais auquel le cinéma apporte un pouvoir d'illusion beaucoup plus fort. Presque tous les films de Méliès peuvent ainsi être rattachés au genre, des Quatre Cents Farces du diable (1906) à la Conquête du pôle (1912).

Un fantastique européen et littéraire

Bien que Méliès ait été copieusement pillé par les réalisateurs de la firme Pathé, notamment par Ferdinand Zecca (Tempête dans une chambre à coucher, 1902), et par les Américains, c'est le cinéma scandinave qui pose un nouveau jalon dans l'histoire du fantastique avec la Sorcellerie à travers les âges, de Benjamin Christensen (1921), extraordinaire catalogue des situations sadomasochistes, inspiré par les tableaux de Bosch et de Bruegel.

La troisième source importante du cinéma fantastique est le courant expressionniste allemand, notamment avec les films qui mettent en scène des psychiatres fous (le Cabinet du docteur Caligari, de Robert Wiene, 1920), des criminels comme Mabuse, voire le personnage de la Mort elle-même (les Trois Lumières, de Fritz Lang, 1921) et toutes sortes de monstres, dans les films de Paul Leni (le Cabinet des figures de cire, 1924), de Paul Wegener (le Golem, 1920) ou de Murnau (Nosferatu le vampire, 1922).

Hollywood et ses monstres

Hollywood commença par s'inspirer des chefs-d'œuvre de la littérature fantastique pour en exploiter la poésie visuelle en adaptant, dès 1910, le Frankenstein de Mary Shelley, et, dès 1913, Docteur Jeckyll et Mr. Hyde, de Stevenson.

Cependant, le fantastique américain des années 1920 s'incarne essentiellement en un acteur, Lon Chaney, et en un réalisateur exceptionnel, Tod Browning. Le premier, « l'acteur aux mille visages », contorsionniste à l'origine, rencontre le second en 1921 ; ils réalisent ensemble l'Oiseau noir (1926), Londres après minuit (1927), l'Inconnu (1927), À l'ouest de Zanzibar (1928), films où des éléments mélodramatiques se mêlent aux thèmes du double, de l'amputation et du travestissement et où l'opposition des valeurs diurnes et nocturnes prend une ampleur exceptionnelle.

Paul Leni, arrivé aux États-Unis en 1927, signe notamment la Volonté du mort (1927), le Perroquet chinois (1927) et un surprenant Homme qui rit (1928). Puis le genre va connaître un essor considérable avec le parlant. En 1931, deux films marquent le début de deux cycles qui se révéleront productifs jusqu'à l'époque contemporaine à travers des séries de suites et de remakes : Dracula de Tod Browning et Frankenstein de James Whale.

Dès l'année suivante, et malgré les contraintes du code de la censure (Code Hays), les écrans américains voient déferler les réussites les plus audacieuses : les Masques de cire (1933) de Michael Curtiz, servi par l'usage du Technicolor, les très sadiennes Chasses du comte Zaroff (1933), d'E. B. Schoedsack, avec un Leslie Banks aussi raffiné que terrifiant, l'Île du docteur Moreau (1932) d'E. C. Kenton, et surtout l'extraordinaire Freaks ou la Monstrueuse Parade (1932), dans lequel Tod Browning dirige de véritables phénomènes de cirque, afin de démontrer qu'ils sont plus humains que la belle écuyère Cléopâtre (Olga Baclanova), qui séduit crapuleusement le nain Hans.

Le genre atteint son apogée avec l'aventure de King Kong (1933), de M. C. Cooper et E. B. Schoedsack, où le singe géant entreprend d'effeuiller la belle Fay Wray au sommet de l'Empire State Building et ne sera dompté que par une nuée d'avions.

Les années 1950 verront le mariage monstrueux du fantastique et du burlesque. Les comiques Abott et Costello rencontrent alors Frankenstein. Il faut attendre Roger Corman pour que le genre connaisse un nouveau souffle avec des adaptations des œuvres d'Edgar Poe, notamment l'Enterré vivant (1962) et le très original Masque de la mort rouge (1964).

La production britannique

C'est toutefois le cinéma britannique qui renouvellera le genre grâce à Terence Fisher, qui réalise des remakes assez personnels de Frankenstein (Frankenstein s'est échappé, 1957) et de Dracula (le Cauchemar de Dracula, 1958), avec deux acteurs anglais que ces rôles rendent célèbres : Peter Cushing et Christopher Lee. Michael Powell signe pour sa part l'un des films les plus pervers de l'histoire du cinéma, le Voyeur (Peeping Tom, 1960), histoire d'un opérateur qui filme l'agonie de ses victimes féminines, tuées par sa caméra.

La production italienne

Les Italiens, pour un temps, vont concurrencer le fantastique anglo-saxon. Mario Bava adaptant Gogol signe un Masque du démon (1960) à la plastique très soignée et le Corps et le Fouet (1963), d'inspiration sadomasochiste, pendant que Riccardo Freda et Antonio Margheriti retrouvent la veine gothique du genre : l'Effroyable Secret du docteur Hichcock (1962), la Vierge de Nuremberg (1964).

Visions de cauchemar et classiques du genre

Le cinéma fantastique va cependant évoluer de plus en plus nettement vers un suspense satanique (Rosemary's Baby, 1968, de Roman Polanski), et vers le cauchemar du film d'épouvante (Shining, 1980, de Stanley Kubrick). Par cette fissure béante s'échappent des créatures suscitées par des peurs archaïques (l'Exorciste, 1973, de William Friedkin) ou par les angoisses provoquées par le sentiment que les créations scientifiques et techniques commencent à s'affranchir de l'homme, leur initiateur imprudent (la Mouche, 1986, de David Cronenberg), quant ce n'est pas l'homme qui est asservi (Edward aux mains d'argent, 1990, de Tim Burton). Ces voies étant ouvertes, certains réalisateurs renouent avec les références premières du genre, de Dracula (1992), de Francis Ford Coppola, à Entretien avec un vampire (1994), de Neil Jordan et Vampires (1998), de John Carpenter.

LITTÉRATURE

Après le merveilleux médiéval, après les contes du xviie s., après les premiers livres « noirs » que de manière paradoxale suscite le siècle des Lumières, la littérature fantastique s'épanouit véritablement avec le romantisme et le conflit qu'il réactive entre le rêve et la raison.

Le fantastique peut se définir comme la laïcisation du merveilleux païen et chrétien, comme la transcription de l'intervention du surnaturel propre aux épopées antiques ou aux chansons de geste médiévales. À la fois mythification et mystification, il marque la double distance qui s'instaure dans l'univers moderne entre les parties raisonnable et irrationnelle d'un individu et entre les interprétations scientifiques et la permanence des représentations archaïques du monde.

Le roman gothique

En 1764, l'Anglais Horace Walpole inaugure le roman « gothique », ou « noir », avec le Château d'Otrante, dont le ressort principal est la terreur surnaturelle : le château devient le lieu d'apparitions spectrales au milieu desquelles le héros, Manfred, doit expier le crime de son aïeul, l'usurpateur criminel d'Otrante. Le roman – suivi en France par le Diable amoureux (1772), de Cazotte, et par Vathek (1786), de Beckford – a, en Angleterre, une influence considérable et annonce un genre dont la formule est précisée par Ann Radcliffe dans les Mystères d'Udolphe (1794) et par Monk Lewis avec le Moine (1796) ; le récit le plus saisissant et le plus populaire de ce roman, « La nonne sanglante », met en scène le spectre d'une religieuse condamnée à suivre son amant. Parmi les romanciers de l'école « noire », Charles Robert Maturin donne avec Melmoth ou l'Homme errant (1820) l'un des chefs-d'œuvre du genre « frénétique » : le héros, qui a signé un pacte avec le diable en échange de la prolongation de sa vie, cherche pour y échapper des êtres désireux de reprendre son contrat.

Les fantaisies romantiques

En Allemagne, le conte fantastique est représenté par les œuvres d'Achim von Arnim (Isabelle d'Égypte, 1811 ; les Héritiers du majorat, 1820) et, surtout, d'E.T.A. Hoffmann. Les spectres qu'il fait apparaître, remarque Heine, sont d'autant plus inquiétants qu'ils vont et viennent en plein jour, et se comportent comme tout un chacun. Ainsi, Hoffmann, dans la nouvelle « L'homme au sable » (Fantaisies dans la manière de Callot, 1814-1815), raconte une étrange histoire d'amour : Nathanaël s'éprend d'une poupée, Olympia, à laquelle un magicien a donné la parole et le mouvement, et finit par perdre la raison ; la nouvelle laisse affleurer un obscur sentiment d'angoisse, largement entretenu par la limpidité de l'écriture.

Les œuvres de Hoffmann comme celles de l'école « noire » anglaise exerceront une grande influence sur les écrivains français : Charles Nodier oriente ses nouvelles tantôt vers un fantastique du rêve (Trilby ou le Lutin d'Argail, 1822 ; la Fée aux miettes, 1832), tantôt vers un fantastique de l'horreur (Smarra ou les Démons de la nuit, 1821), dont se souvient Hugo dans son roman Han d'Islande (1823), tandis que Nerval fait intervenir le passé dans la vie présente, le rêve dans la réalité (les Filles du feu, 1854). Le fantastique sera renforcé par l'œuvre singulière d'Edgar Poe (Histoires extraordinaires, 1840 ; Nouvelles Histoires extraordinaires, 1845), et de nombreux écrivains feront des incursions dans le genre, de Gautier (le Roman de la momie, 1858) et Barbey d'Aurevilly (les Diaboliques, 1874) à Maupassant (le Horla, 1887), Villiers de L'Isle-Adam (Contes cruels, 1883 ; l'Ève future, 1886 ; Histoires insolites, 1888) ou Huysmans (Là-bas, 1891).

Les lois et les thèmes du genre

Si les variantes du fantastique sont illimitées, les catégories fondamentales se recoupent et restent peu nombreuses : le pacte avec le diable, scellé par le personnage archétypique de Faust ; la mort personnifiée présente parmi les hommes (« Le masque de la mort rouge », dans les Histoires extraordinaires, de Poe) ; les vampires, dont la tradition veut qu'ils s'assurent une perpétuelle jeunesse en suçant le sang des vivants — de Hoffmann et Sheridan Le Fanu à Bram Stoker (Dracula, 1897) ; l'animation lente de l'automate (Isabelle d'Égypte, d'Arnim) ; la recréation de la vie (Frankenstein ou le Prométhée moderne, 1818, de Mary Shelley) ; l'arrêt ou la répétition du temps (Manuscrit trouvé à Saragosse, 1804-1805, du Polonais Jan Potocki) ; l'interversion du temps et de l'espace ainsi que leurs multiples interférences avec les autres vies. Ce dernier domaine fournit la trame de nombreux récits contemporains : ainsi, le sujet de l'un des plus beaux contes de Julio Cortázar, « L'autre ciel », dans Tous les feux, le feu (1966), n'est autre que le parallélisme de deux séries temporelles nettement distinctes qui brise résolument la linéarité chronologique ainsi que la structure euclidienne de l'espace, de sorte que le personnage circule aisément entre le passage Güemes, à Buenos Aires, où il laisse sa fiancée à la fin de la Seconde Guerre mondiale, et la galerie Vivienne, à Paris, où il retrouve une prostituée à la fin de la guerre de 1870. Buenos Aires et Paris feront également partie des lieux magiques et labyrinthiques de Jorge Luis Borges (Fictions, 1944 ; le Livre de sable, 1975), qui, comme l'Italien Italo Calvino (Si par une nuit d'hiver un voyageur, 1979), fait souvent du livre lui-même le premier personnage livré aux tourments du fantastique.