désaveu de paternité
La filiation n'est pas seulement un état de fait découlant de la procréation et du comportement des parents, mais également un lien de droit, celui qui unit juridiquement un enfant à ses père et mère. C'est pourquoi le législateur a transformé un phénomène naturel en une institution juridique et l'a réglementé en fonction de l'organisation sociale en général.
Or en principe est légitime l'enfant issu du mariage ; la légitimité en question exprime ce rapport étroit qui existe entre la filiation et le mariage. Elle suppose réunies trois conditions : la maternité d'une femme mariée, la relation entre la date du mariage et celle de la conception de l'enfant, enfin la paternité du mari. Celle-ci n'avait d'ailleurs pas à être prouvée : jusqu'en 1972, en effet, cette paternité était présumée à partir de la maternité et du mariage. Le père est celui que le mariage désigne (Pater is est quem nuptiae demontrant) et l'enfant d'une femme mariée était presque toujours rattaché automatiquement au mari de sa mère.
À l'origine, ce système fut conçu dans le sillage du fait juridique que constituait le mariage, et la prééminence de la présomption Pater is est… apparaissait comme une « conséquence de la prééminence du mariage et de la famille légitime et s'intégrait dans une politique de défense des intérêts et de la cohésion de celle-ci ». L'évolution des mœurs et de la société mit en lumière le caractère artificiel et injuste d'une telle construction. Une réforme intervint, réalisée par une loi du 3 janvier 1972. Réforme fondamentale, par laquelle le législateur a tenté de remédier au caractère mensonger et inique du système, qui, au mépris de toute vérité, assurait la protection de l'institution matrimoniale au détriment profond de l'enfant naturel et de ses auteurs.
La loi de 1972, par souci de réalisme et d'équité, atténue donc la prééminence accordée au mariage et à la filiation qui en découle. Ce droit nouveau admet même l'établissement de liens adultérins, faculté dont elle garantit l'exercice effectif en excluant le rattachement systématique et définitif de l'enfant d'une femme mariée à son époux. La famille fondée sur le mariage perd partiellement son effet « magique » et obligatoire de créateur de légitimité. La filiation légitime n'est plus à rechercher à tout prix. Lorsqu'un doute sur la paternité existe, la loi écarte le jeu de la présomption Pater is est… et donc la légitimité. Le législateur a admis la possibilité pour l'enfant de n'avoir qu'une filiation maternelle établie, par exemple lorsqu'il est déclaré à l'état civil sous le nom de sa mère et n'a de possession d'état qu'à son égard.
On assiste donc, avec la loi de 1972, à un affaiblissement de la force de la présomption, et par voie de conséquence à l'élargissement des possibilités de contester la paternité.
Il convient d'examiner, au niveau des textes eux-mêmes, ce qu'il en est de la réforme en question. Le Code civil pose à nouveau le principe de l'existence d'une présomption de paternité qu'il énonce en ces termes dans l'article 312 : « L'enfant conçu pendant le mariage a pour père le mari », mais ajoute aussitôt que « Néanmoins, celui-ci pourra désavouer l'enfant en justice, s'il justifie de faits propres à démontrer qu'il ne peut pas en être le père ». L'article 314 du même code nous éclaire, d'autre part, sur ce qu'il faut entendre juridiquement par la prise en compte de l'enfant « conçu pendant le mariage ». Ce texte indique, en effet que « l'enfant né avant le cent-quatre-vingtième jour du mariage est légitime et réputé l'avoir été dès sa conception », et l'article 315 dispose que « la présomption de paternité n'est pas applicable à l'enfant né plus de trois cents jours après la dissolution du mariage… ». Autrement dit, ces textes posent des délais limites en deçà ou au-delà desquels la présomption de paternité ne peut jouer. Dans tous les autres cas, la présomption demeure applicable, quoique sa force soit amoindrie, car la nouvelle loi de 1972 ouvre beaucoup plus largement la possibilité de la combattre.
Le désaveu par le mari
Sous l'empire de la loi ancienne et sous réserve de certaines circonstances particulières rendant la filiation suspecte, le désaveu par le mari était soumis à des conditions très rigoureuses, et l'action en désaveu ne pouvait, en fait, être exercée que si le mari parvenait à rapporter la preuve de ce qu'il s'était trouvé éloigné de sa femme pendant la période légale de la conception, ou qu'il avait été atteint d'impuissance accidentelle. En outre, le délai pour entreprendre une action en désaveu était très bref, 1 ou 2 mois selon les cas, et de surcroît il constituait le monopole exclusif du mari.
1) Sur ce terrain aussi, la loi de 1972 a apporté des modifications. Ainsi, l'article 316 du Code civil dispose que « le mari doit former l'action en désaveu dans les 6 mois de la naissance lorsqu'il se trouve sur les lieux. S'il n'était pas sur les lieux, dans les 6 mois de son retour. Et dans les 6 mois qui suivent la découverte de la fraude si la naissance de l'enfant lui avait été cachée ». C'est dans ce cadre que peut s'exercer l'action en désaveu formée par le mari. Certains points doivent cependant être précisés : a) D'abord, l'action en désaveu suppose que la présomption de paternité est applicable. Cela résulte de la nature même du désaveu qui n'a d'autre objet que de détruire juridiquement la paternité que la loi attribue de plein droit au mari. b) Une question s'est posée en droit, qui a trait à une situation particulière, celle du mari qui a consenti à ce que son épouse donne le jour à un enfant qui n'est pas de lui. Ce consentement doit-il entraîner une renonciation tacite à toute action en désaveu ? L'article 311-9 du Code civil, en énonçant que « les actions relatives à la filiation ne peuvent faire l'objet de renonciation », répond par la négative à cette question. Ainsi par exemple, le mari qui consent à l'adultère de sa femme dans le désir d'avoir un héritier qu'il ne parvient pas lui-même à engendrer ne peut être considéré comme ayant renoncé à toute action éventuelle en désaveu. La question a d'ailleurs pris une actualité nouvelle avec le développement des techniques de procréation médicalement assistée : il devient fréquent actuellement que, confrontés à la stérilité du mari, les époux décident ensemble de recourir à une insémination artificielle de la femme par le sperme d'un donneur anonyme. Dans une telle hypothèse, le mari en principe ne désavouera pas l'enfant qu'il a lui-même souhaité. Mais il peut arriver qu'il en aille autrement si, par exemple, une séparation des époux survient à une époque proche de la naissance. Le mari peut alors se désintéresser de l'enfant dont il sait ne pas être le père, et vouloir détruire cette paternité apparente. Les tribunaux estiment en général, confrontés à cette question, que le consentement préalablement donné par le mari à l'usage d'une insémination artificielle ne peut faire obstacle à son droit à une action en désaveu. Cette solution s'impose encore, mais néanmoins une telle attitude du mari a pu apparaître choquante, et certains souhaitaient une intervention législative pour exclure le désaveu dans cette hypothèse. Tel est le sens de l'article 311-20 du Code civil issu de la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 qui dispose que : « Les époux ou les concubins qui, pour procréer, recourent à une assistance médicale nécessitant l'intervention d'un tiers donneur doivent préalablement donner, dans des conditions garantissant le secret, leur consentement au juge ou au notaire, qui les informe des conséquences de leur acte au regard de la filiation. Ce consentement donné à une procréation médicalement assistée interdit toute action en contestation de filiation ou en réclamation d'état, à moins qu'il ne soit soutenu que l'enfant n'est pas issu de la procréation médicalement assistée ou que le consentement a été privé d'effet… ». Autrement dit, l'alinéa 2 de l'article 311-20 pose le principe de l'irrecevabilité du désaveu en cas de PMA avec don de sperme.
2) Il convient d'examiner maintenant la situation de l'enfant né dans les 179 premiers jours à compter de la célébration du mariage, ce qui implique juridiquement qu'il a été conçu avant le mariage. Dans cette hypothèse, la loi applique cependant la présomption posée par l'article 614-1 du Code civil, l'idée qui sous-tend cette application étant que lorsqu'un homme épouse une femme enceinte, c'est en général parce qu'il sait qu'il est le père de l'enfant à venir. Cependant la présomption est alors beaucoup plus fragile, le mari pouvant désavouer l'enfant par simple dénégation (article 614-3).
3) Enfin l'article 316-1 du Code civil, selon lequel,« si le mari est mort avant d'avoir formé l'action mais étant encore dans le délai utile pour le faire, ses héritiers auront qualité pour contester la légitimité de l'enfant », donne aux héritiers le droit de contester en justice la paternité du mari, cela bien entendu, à condition que la mort du mari intervienne à un moment où il se trouvait encore dans le « délai utile » pour former son action. Le texte impose que « leur action néanmoins cessera d'être recevable lorsque 6 mois se seront écoulés à compter de l'époque… »
Contestation de paternité par la mère
On suppose qu'une femme mariée donne naissance à un enfant d'origine adultérine, et que, après divorce, elle se remarie avec le véritable père de l'enfant. Les époux nouveaux peuvent alors souhaiter légitimer leur enfant commun. Les articles 318 à 318-2 du Code civil ont donné possibilité à la mère, dans une telle hypothèse, de contester en justice la paternité de son premier mari. Ainsi, dit le texte, « même en l'absence de désaveu, la mère pourra contester la paternité du mari, mais seulement aux fins de légitimation, quand elle sera, après dissolution du mariage, remariée avec le véritable père de l'enfant ». On remarquera que la possibilité pour la mère d'engager une telle action est soumise au fait que celle-ci soit accompagnée dans le même temps et dans la même procédure, d'une demande de légitimation. Tel est le sens de l'article 318-1 dans sa rédaction issue de la loi n° 93-22 du 8 janvier 1993, selon lequel « à peine d'irrecevabilité, l'action dirigée contre le mari ou ses héritiers est jointe à une demande de légitimation formée devant le tribunal de grande instance […] introduite par la mère et son nouveau conjoint dans les 6 mois de leur mariage et avant que l'enfant n'ait atteint l'âge de sept ans ».