Assistance publique-Hôpitaux de Paris

À la fois établissement de soins, lieu d'enseignement et centre de recherche médicale, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) est un établissement public de santé dont le Conseil d'administration est présidé par le maire de Paris. Son directeur général est nommé en conseil des ministres.

L'évolution de cette grande institution médicale, sans équivalent dans le monde, est indissolublement liée, non seulement à l'histoire de Paris et de ses services sociaux, mais aussi à celle de la médecine hospitalière et, plus généralement, de notre société moderne. Tout en ayant contribué de manière active, depuis plus de cent cinquante ans, aux progrès de la médecine et de la santé publique, elle n'a jamais renoncé à sa vocation première : l'accueil et les soins aux plus démunis, à ceux qui vivent dans la précarité.

C'est la loi du 10 janvier 1849 qui créa l'Administration générale de l'assistance publique de Paris, institution qui demeure aujourd'hui encore une structure tout à fait originale. Elle a pour mission la gestion des deux grands services communaux d'assistance : les établissements hospitaliers (hospices et hôpitaux) et les secours à domicile. Cette structure nouvelle remplaçait le Conseil général des hospices, mis sur pied en 1801 et qui, faisant l'objet de nombreuses critiques, fut dissous le 26 février 1848, soit quelques jours après l'abdication de Louis-Philippe et la proclamation de la IIe République.

Le Conseil des hospices était dirigé par un collège de 17 membres auquel étaient reprochés la lenteur des prises de décision et le manque de clarté dans la répartition des responsabilités. La nouvelle structure est en revanche dirigée par une seule personne, pleinement responsable, le directeur. Ce fonctionnaire, à l'époque placé sous l'autorité du préfet de la Seine et du ministre de l'Intérieur, est assisté par un conseil de surveillance doté d'un rôle consultatif.

Par l'ampleur de son territoire, qui a vite largement débordé les limites de la ville de Paris, par le nombre et la taille des structures qu'elle gère, par les personnalités qui ont façonné son image, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a pris aujourd'hui les allures d'un empire. La loi qui a fondé l'institution est restée en vigueur pendant plus d'un siècle, puisqu'elle n'a été abrogée qu'en 1961. À cette date, il fut décrété que l'Assistance publique serait désormais dirigée par un conseil d'administration dont les décisions seraient mises en œuvre par un directeur général. Elle devint alors un établissement public investi d'une triple mission : soins, enseignement et recherche.

La renommée de cette institution reposait sur les deux principales missions qui la caractérisent : l'assistance aux indigents et les soins. Ces activités concernaient une part importante de la population parisienne, qui comptait à l'époque de sa création près de 1 million d'habitants dans ses 12 arrondissements. Quatre grandes catégories d'établissements existaient alors. Les hôpitaux généraux, comme l'Hôtel-Dieu et l'hôpital de la Charité – fondé en 1602 par Marie de Médicis pour les frères de la Charité –, se consacraient au traitement des maladies aiguës et des blessures. Des hôpitaux spéciaux traitaient des affections particulières, comme les maladies vénériennes à Lourcine ou les maladies de la peau à Saint-Louis. Les hospices accueillaient les indigents et les vieillards – les hommes à Bicêtre, les femmes à la Salpêtrière. Ces établissements se développèrent grâce à d'importants dons et legs, aussi nombre d'entre eux portent-ils le nom de donateurs. Dans ces établissements, les malades bénéficiaient de soins gratuits mais, pour être admis, leurs ressources ne devaient pas dépasser un certain plafond. Les capacités d'hébergement consistaient en d'immenses salles communes, où hommes et femmes étaient toutefois séparés, régies par une discipline très stricte et contraignante. Dans ces salles régnait une hygiène très sommaire et une promiscuité aujourd'hui inimaginable. Enfin, dans les bureaux de bienfaisance (un par arrondissement), des vivres, des combustibles, du linge, des médicaments, entre autres, étaient distribués aux plus nécessiteux.

En 1849, l'Assistance publique comportait déjà 27 structures hospitalières, parmi lesquelles 16 hôpitaux et 11 hospices, et gérait 12 bureaux de bienfaisance. Ces structures employaient un peu plus de 2 800 agents et totalisaient près de 18 000 lits. Par la loi du 10 janvier 1849, l'Assistance publique se vit chargée d'une nouvelle tâche : l'aide à l'enfance abandonnée. Le service des enfants assistés remplit trois missions : accueil, placement et instruction. Le fonctionnement de cette administration grandissante repose sur le principe d'autarcie, qui lui permet de subvenir par elle-même aux besoins quotidiens de l'ensemble du personnel et des bénéficiaires de ses soins et services. L'action des diverses unités centrales, la pharmacie, le magasin, la boulangerie, la boucherie, la cave, les blanchisseries et buanderies, le magasin, etc., est coordonnée par le chef-lieu au sein d'une structure pyramidale.

La méthode anatomo-clinique

Tout au long du xixe siècle, les activités de bienfaisance directement héritées d'une longue tradition de charité et d'hospitalité datant du Moyen Âge demeurèrent prévalentes, mais dans les établissements de soins se pratiquait déjà une médecine nouvelle, fondée sur l'observation clinique. Elle s'appuyait sur la méthode anatomo-clinique, dont les inventeurs sont Xavier Bichat (1771-1802) et René Laennec (1781-1826). Cette méthode, qui donna à la médecine parisienne une prééminence reconnue au niveau international, se fondait sur l'observation minutieuse du malade et l'étude anatomique par autopsie. Chirurgien et anatomiste, Bichat accordait une importance majeure à l'étude anatomique des cadavres. On lui doit le concept de tissus, dont la combinaison forme un organe, et la classification des différents types de tissus au sein de l'organisme.

Laennec est l'inventeur du stéthoscope et, au-delà de l'outil, d'une technique tout à fait originale pour l'époque, l'auscultation, qui consiste à écouter et à discerner les bruits du corps. L'observation, la palpation, la percussion et, désormais, l'auscultation formaient les bases de l'examen clinique et fondèrent la science des signes cliniques, ou sémiologie. Cette dernière pouvait prendre toute sa valeur lorsque l'examen clinique est constamment confronté aux connaissances apportées par l'examen anatomo-pathologique effectué lors des autopsies. C'est ce que souligna avec force cette célèbre déclaration de Bichat : « Ouvrez quelques cadavres : vous verrez aussitôt disparaître l'obscurité que la seule observation n'avait pas pu dissiper. » Il est vrai qu'à l'époque il n'était pas rare que l'autopsie suive de près l'examen clinique, tant la médecine était souvent impuissante à guérir les malades.

L'épidémie de choléra qui survint en France à l'automne 1848 atteignit Paris au printemps suivant. Elle offrit l'occasion d'appliquer à grande échelle la méthode anatomo-clinique, de faire de multiples observations, d'enrichir les connaissances sur cette maladie dont les causes et le mode de propagation demeuraient à l'époque énigmatiques. À défaut de pouvoir soigner les personnes atteintes, les médecins firent des comptes rendus détaillés de leurs observations et étudièrent la répartition géographique de la maladie dans la capitale. Le bilan révèle que l'épidémie avait touché à Paris 35 000 personnes et fauché la moitié des malades. Des personnalités médicales éminentes telles que Pinel, Tenon, Broussais, Bretonneau, Corvisart et Charcot, le fondateur de la neurologie, ont enrichi ce courant qui marqua de manière durable la médecine française. Avec l'anatomo-pathologie, l'hôpital devenait le lieu privilégié pour le développement et l'enseignement de la médecine clinique.

La naissance des spécialités

L'Assistance publique est passée en cent cinquante ans de l'action sociale légèrement teintée de médical à une véritable médecine doublée d'une action sociale. Elle est passée de la ville de Paris à l'Île-de-France, et d'un corps technique faible à un corps technique considérablement développé et très différencié. Elle a joué un rôle majeur dans la création d'un corps médical possédant un haut niveau de formation clinique, à Paris même et dans toute la moitié nord de la France. Dès 1802, à l'instigation de Chaptal, alors ministre de l'Intérieur, le conseil de surveillance vota l'institution de concours pour le recrutement de médecins et de chirurgiens. L'externat, puis l'internat fondèrent la hiérarchie médicale hospitalière, au sommet de laquelle régnaient sans partage médecins et chirurgiens « des hôpitaux », titre prestigieux. D'autres concours permirent par la suite de créer de nouveaux corps de spécialités : médecins aliénistes en 1879, accoucheurs des hôpitaux en 1881, stomatologistes en 1887, ophtalmologistes et oto-rhino-laryngologistes (ORL) en 1899, électro-radiologistes en 1908… L'effectif du personnel médical ne cessa d'augmenter et le recrutement par concours releva le niveau des compétences. En 1803, on comptait 1 médecin pour 148 lits, alors qu'en 1849 il y avait 1 médecin pour 72 lits.

Vers un hôpital ouvert

En 1893, l'assistance médicale gratuite entra dans la loi. Cette mesure inaugurait un nouveau droit, le droit aux soins, et eut pour effet d'élargir considérablement les catégories sociales admises dans les hôpitaux. Ces derniers, qui n'étaient plus désormais réservés aux indigents, devinrent un rouage majeur dans la politique de protection sociale. Le vote de la loi du 21 décembre 1941 marqua un nouveau tournant décisif, avec l'ouverture de l'hôpital public à l'ensemble de la population. Aux côtés des indigents et des bénéficiaires de l'aide sociale étaient désormais admis tous les malades sans aucune exclusive. Enfin, avec l'institution, en 1945, de la Sécurité sociale, l'hôpital, dont l'efficacité croissante était de plus en plus reconnue, devint progressivement la pièce maîtresse du système sanitaire.

La révolution pasteurienne et le concept d'asepsie, dont les procédés avaient été mis au point à l'hôpital Bichat par le chirurgien Louis Félix Terrier, modifièrent passablement la pratique des soins. Le mouvement de laïcisation amorcé en 1878 vida progressivement les hôpitaux de leurs religieuses qui, depuis des siècles, œuvraient bénévolement pour le service des pauvres. En janvier 1908, le départ des sœurs augustines de l'Hôtel-Dieu, où elles étaient présentes depuis le viie siècle, marqua le retrait définitif des congrégations religieuses de l'Assistance publique. Cette évolution irréversible posa le problème du recrutement d'un personnel qualifié et compétent qu'il fallait désormais payer. L'Assistance publique créa en 1907, à la Salpêtrière, la première école d'infirmières. La formation durait deux années à temps plein. Les 'petites bleues' entraient dans la carrière. Le diplôme d'État fut créé en 1942. Progressivement, des écoles diversifiées se mirent en place qui permirent de recruter du personnel soignant qualifié (infirmières spécialisées, kinésithérapeutes, assistantes sociales) et des cadres administratifs qui contribuèrent au développement de l'Assistance publique.

L'hôpital moderne

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, il devenait patent que les structures de l'enseignement médical et l'organisation hospitalière n'étaient plus adaptées aux progrès de la médecine, en particulier en matière de traitement. Les médecins venaient le matin à l'hôpital pour leur visite, effectuée dans des salles communes (d'une cinquantaine de lits) en compagnie d'une cohorte d'assistants, d'internes, d'externes, de stagiaires et d'infirmières. L'après-midi était consacré à la clientèle privée – en ville –, et les malades étaient confiés jusqu'au lendemain matin à quelques internes. Les facultés de médecine et les hôpitaux étaient totalement indépendants et la recherche dans les hôpitaux était quasi inexistante.

Face à cette situation véritablement archaïque, le gouvernement décida, le 18 septembre 1956, la constitution d'un comité interministériel pour la réforme des études médicales, présidé par le Pr Robert Debré. Longuement mûrie, cette réforme, qui constitua pour la médecine française une véritable révolution, prit corps à travers les ordonnances du 30 décembre 1958 signées par le général de Gaulle. Elle s'appuyait sur trois principes fondamentaux : le plein temps pour tous les médecins, de l'interne au chef de service ; la fusion totale des carrières universitaires et hospitalières, qui mettait sur le même pied les disciplines cliniques et fondamentales ; enfin, l'entrée de la recherche à l'hôpital : les centres hospitaliers universitaires (CHU) qui virent le jour, étant tout à la fois des établissements de soins, des lieux d'enseignement et des centres de recherche.

L'Assistance publique fonda l'Association Claude-Bernard, dont le but est d'encourager la création de centres de recherche en milieu hospitalier. En 1956, 6 centres de recherche virent le jour. Progressivement, le relais fut pris par les grands organismes de recherche et, aujourd'hui, l'Assistance publique compte en son sein 90 unités de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et 14 centres du Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

Depuis la réforme de 1958, les interactions croissantes entre les activités de soins et celles de recherche ont permis aux hôpitaux de l'Assistance publique de Paris de jouer un rôle majeur, voire pionnier, dans plusieurs domaines de la médecine. Citons, entre autres, l'hématologie à Saint-Louis avec des travaux pionniers sur les leucémies aiguës de l'enfant, la découverte de l'origine de la trisomie 21, la réanimation médicale à Claude-Bernard, l'immunologie avec la découverte des marqueurs du « soi » (le système HLA) et la grande aventure des greffes d'organe rendues possibles par les progrès combinés de la chirurgie, de l'immunologie et de la thérapeutique, la procréation médicalement assistée avec la naissance du premier bébé-éprouvette, en 1982…

Parallèlement, dans les années 1960, l'Assistance publique engagea un vaste programme de rénovation de ses hôpitaux, pour la plupart fort vétustes. L'humanisation des hôpitaux était en marche, grâce à des mesures prises pour améliorer l'accueil et le bien-être du malade à l'hôpital, mais aussi la disparition progressive des salles communes, transformées en chambres individuelles ou à deux lits. Les droits du patient ont été progressivement reconnus et font aujourd'hui l'objet d'une charte dont la première version vit le jour en 1974. La plus récente, publiée en mai 1995, prévoit que le patient puisse participer aux choix thérapeutiques le concernant.

L'AP-HP est actuellement le plus important établissement de soins en Europe. Elle regroupe 41 hôpitaux et groupes hospitaliers (25 470 lits au total) implantés à Paris, en Île-de-France et en province, couvrant l'ensemble des disciplines médicales, chirurgicales et obstétricales, mais aussi le moyen séjour (rééducation fonctionnelle) et le long séjour (prise en charge des personnes âgées). Elle participe aussi à l'aide médicale urgente (SAMU), ainsi qu'à de nombreuses actions de dépistage et de prévention (dépistage anonyme et gratuit du virus du sida, consultations de planification familiale et de protection maternelle et infantile…). Accueillant chaque année près d'un million de personnes en hospitalisation et 4,750 millions en consultations externes, elle emploie 88 000 personnes : 17 500 médecins, 49 800 membres du personnel hospitalier, parmi lesquels 26 500 infirmiers et infirmères diplômés d'État, 9 100 agents administratifs, 5 400 ouvriers et techniciens et 900 agents du secteur socio-éducatif. Plus de 150 métiers sont représentés. Depuis cent cinquante ans, l'évolution de l'hôpital et des pratiques médicales a profondément modifié les métiers, et si les épileurs et les ventouseurs, les étuvistes et autres tisaniers ont disparu, d'autres métiers ont vu le jour…

Avec des moyens humains et financiers importants (31 milliards de francs [4,84 milliards d'euros] en 1999), les hôpitaux parisiens sont devenus des lieux où se pratique une médecine de pointe qui fait appel à des techniques sophistiquées. Revers de la médaille : l'hôpital est aujourd'hui confronté au risque croissant des infections nosocomiales, c'est-à-dire acquises à l'hôpital. Enfin, signe des temps : depuis 1992, des cellules de précarité accueillent et soignent les malades ne bénéficiant d'aucune couverture sociale (SAMU social). L'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, telle est sa dénomination depuis 1991, renoue ainsi avec ses origines historiques et sa vocation première, l'accueil et les soins aux personnes les plus démunies.