Étrange saison, où la guerre des chiffres — qui se solde, c'est tout de même positif, par une confirmation de la remontée du taux de fréquentation des salles — éclipse souvent la compétition des talents. Et l'on n'oubliera pas la ridicule polémique qui oppose — sans que, semble-t-il, les réalisateurs concernés l'aient voulu — les tenants d'un film sans spectateurs, Une chambre en ville, à la vedette du film à succès, L'as des as. Ridicule, parce qu'il est évident qu'on ne force pas le public à aller là où il n'a pas envie d'aller. Et qu'il ne suffit pas de proclamer une œuvre « film de l'année » pour convaincre les spectateurs de s'y précipiter, surtout si ses qualités ne sont pas toujours évidentes. Mais, à la limite, salutaire, parce qu'elle a fait apparaître l'excès des matraquages publicitaires qui, désormais, lancent un titre comme une super-lessive.

Encore que la sagesse ne vienne pas en un jour, puisque, immédiatement après, ET a débarqué comme un envahisseur, investissant sans coup férir, et pour des semaines, les meilleures pages, les meilleures tranches horaires de tous les médias. Attention, danger ! Encore quelques bombardements de ce style et le public, lassé, se terrera dans son salon, devant son magnétoscope (enfin sorti de Poitiers !) qui, lui, lui offrira ce qu'il aura vraiment choisi. Car, derrière le formidable succès commercial de quelques films, cet automne, et malgré les campagnes tonitruantes, il n'est pas difficile de discerner la relative médiocrité d'une saison où les véritables chefs-d'œuvre sont rares.

France

Plus fort que Gérard Oury ? Gérard Oury. Son As des as, donc, mérite tout à fait son nom. Il a, il est vrai, quelques atouts. Belmondo, d'abord, un peu moins guignolo ici que dans ses films précédents. Une reconstitution soignée du Berlin des jeux Olympiques de 1936. Des gags sympathiques et sans vulgarité. Et, en prime, un message qui ne peut faire que l'unanimité, puisqu'il s'agit d'un (adorable) petit garçon juif à sauver des griffes d'Hitler.

Champion du cinéma de divertissement, Oury a donc parfaitement rempli son contrat. On ne peut pas en dire autant de Jean Yanne, malgré le succès là encore immédiat, énorme — démesuré — de sa première vraie superproduction, Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ. Cette poussive satire de nos défauts à travers un laborieux pastiche des péplums de naguère, avec, pour vedette, dans le rôle de César soi-même, un Michel Serrault condamné à jouer une énième fois la folle efféminée, ne fait même pas rire les lycéens. Mais il y a Coluche ; alors on y est allé quand même.

Le succès de La boum 2, en revanche, peut se rapprocher de celui de L'as des as. Même savoir-faire chez Claude Pinoteau que chez Gérard Oury. Même amour du travail bien fait — et du scénario fignolé, par la même professionnelle d'ailleurs, Danièle Thomson. Même recherche du divertissement sans lourdeur. Avec, chez Pinoteau, exploitant un succès récent (sa première Boum n'a que deux ans) une — relative — exigence : visant à atteindre la clientèle des adolescents, il a su les suivre dans leur — rapide — évolution. Et, si son héroïne, Sophie Marceau, la nouvelle coqueluche du grand écran, reste, à seize ans, finalement très sage, dans un environnement très rosé, elle parle et agit vrai, ce qui ne manque pas de charme.

Policiers

Derrière ces trois produits de grande consommation, dont deux sont plus qu'honnêtes, le cinéma français nous a d'abord offert toute une rafale de policiers. En tête, La balance, due à l'Américain d'origine Bob Swaim, et qui, sur une trame bien conventionnelle, a le mérite de nous faire entrer dans les coulisses des Brigades territoriales, et de nous faire découvrir, aux côtés d'un Philippe Léotard de plus en plus sympathique, une Nathalie Baye tout à fait insolite, une prostituée au cœur tendre et au parler franc. Mais aussi Tir groupé, premier film de Jean-Claude Missiaen, qui donne un rôle vedette à Gérard Lanvin, et Légitime violence, de Serge Leroy, où, aux côtés de Claude Brasseur, Véronique Genest, la Nana de naguère sur le petit écran, révèle un vrai tempérament de comédienne. Deux films bien faits qui, tous deux, jouent sur la corde, aujourd'hui très sensible, de l'autodéfense. Sans y adhérer, certes, mais sans non plus la condamner franchement.