La capacité de réponse des entreprises comme le redressement économique sont liés à l'assouplissement de certaines rigidités. Ainsi, Raymond Barre, comparant l'emploi et le chômage aux États-Unis et en Europe, constate que, pour 1 % de croissance du PIB en volume, l'emploi augmente de 0,8 % aux États-Unis et de 0,6 % en France. D'où, selon lui, la nécessité d'une flexibilité tempérée. Il préconise le partage du travail sous quatre conditions : pas d'application uniforme à toutes les entreprises ; partage simultané du revenu ; meilleure utilisation du capital productif ; intégration des mouvements saisonniers. À l'évidence, il n'est pas question, à ses yeux, de « tout chambouler ».

Cette modération se comprend d'autant plus que la volonté affichée par le gouvernement, fin 1985, de faire accepter un texte de loi relatif à l'aménagement du temps de travail (ATT) s'est heurtée à de vives résistances. Chacun s'accorde pour admettre que l'aménagement des horaires peut être un investissement rentable pour l'entreprise comme pour ses employés. Le mariage, longtemps considéré contre nature, entre la compétitivité et le libre choix des salariés peut réussir, notamment parce que le temps véritablement productif ne constitue le plus souvent qu'une fraction assez modeste de la journée de travail.

Mais l'obstacle majeur reste le Code du travail et ses rigidités. Son article 212-2 permet, certes, de déroger à certaines dispositions légales en matière d'ATT. Mais il n'autorise pas tous les débordements. Ainsi, les conventions passées entre syndicats et patronat (dans l'hôtellerie et les travaux publics, par exemple), visant à introduire discrètement une véritable flexibilité, ne peuvent entrer réellement en application. Faute de textes nouveaux, les dispositions relatives à la modulation du temps de travail sur l'année, aux heures supplémentaires, aux équipes de fin de semaine, au calcul de la durée du travail sur quatre jours restent illégales.

Le projet de loi, dont la publication a été régulièrement retardée en raison des oppositions syndicales (celles de la CGT et de FO tout particulièrement) tente d'élargir le champ d'application des dérogations en cas d'accords collectifs au niveau des branches professionnelles. Constatant que, d'un côté, les entreprises ont besoin de souplesse horaire pour faire davantage tourner les machines et, de l'autre, ont tendance à déroger aux dispositions du Code du travail, le ministre avait le désir de contrer « les graves dangers » d'une telle situation et de favoriser la souplesse tout en encadrant le mouvement. Telle était du moins l'orientation suggérée par M. Taddei. La volonté des appareils syndicaux de garder la maîtrise d'une évolution trop rapide à leurs yeux paraît mettre l'accent davantage sur l'encadrement que sur la souplesse. Après une ultime consultation des partenaires sociaux, le projet de loi prévoyait la modulation de la durée hebdomadaire du travail dans un cadre relativement large ; celle-ci pouvait atteindre 41, voire 44 heures. Dans ce dernier cas, pendant les périodes creuses, elle pouvait descendre jusqu'à 34 heures, voire en dessous, mais à la condition stricte que cela se traduise, pour les salariés, par une réduction de la durée hebdomadaire moyenne sur l'année inférieure à 37 h 30 (et à 38 heures pour le plafond de 41 heures). De plus, le contingent annuel d'heures supplémentaires que les entreprises peuvent utiliser sans autorisation de l'Inspection du Travail était ramené de 130 à 80 heures.

« Nous n'acceptons pas ce cadrage » déclarait Yvon Chotard. Les députés communistes, de leur côté, par leur obstruction systématique, rendaient nécessaire une convocation du Parlement en session extraordinaire, pour débattre d'un texte n'ayant plus le soutien que de la seule CFDT. L'écart entre les positions rigides des appareils syndicaux et politiques, et les attentes réelles de l'opinion publique, apparaissaient ainsi en pleine clarté.

Henri Tézenas Du Montcel