Ce bon volume d'émissions obligataires s'explique entre autres par l'attrait d'une fiscalité favorable, grâce au prélèvement libératoire de 25 % dont le maintien sera recommandé dans le rapport de la Commission pour le développement et la protection de l'épargne, présidée par David Dautresme.

Sans concurrence

Passé les opérations de window dressing ou d'habillage des bilans de fin d'année, la hausse reprend dans les premiers mois de 1982. Hausse de misère, dit-on en Bourse, en évoquant les précédents anglais ou italien. Mais hausse réelle puisque l'indice général de la Compagnie des agents de change, qui avait fléchi peu au-dessus de 77 en juin, se retrouve en février à 104,6 après une reprise de 35 %.

Les chiffres toutefois sont à manier avec prudence compte tenu du poids dans l'indice des valeurs nationalisables, dont les cours n'évoluent plus en fonction de l'offre et de la demande mais sont calés sur les valeurs d'indemnisation à percevoir. Lesquelles sont largement supérieures aux cours de l'été précédent. Il n'empêche. L'ambiance est sinon euphorique, du moins relativement optimiste. Exagérément même. Et la Bourse, qui a toujours besoin de justifier ses comportements, trouve argument à sa fermeté dans l'abondance des liquidités qui ne sont plus soumises aux charmes de la concurrence : les placements liquides ont été rendus plus difficiles, du moins pour les sommes moyennes ; l'or, dont le commerce n'est plus anonyme, a perdu grande partie de son attrait devant la fantastique chevauchée d'un dollar largement rémunéré ; et l'immobilier ne fait plus recette, ne serait-ce qu'en raison de l'institution de l'impôt sur la fortune.

Présenté comme ne devant toucher que 200 000 personnes, soit moins de 1 % des foyers fiscaux, et procurer 5 milliards de F de recettes, il fait couler beaucoup d'encre et se résume pour la Bourse à une question essentielle : qu'adviendra-t-il du patrimoine mobilier considéré comme outil de travail ? Les dirigeants d'entreprise encore largement propriétaires de leur affaire seront-ils condamnés à vendre une partie de leurs titres pour payer l'impôt, au risque de peser sur les cours ?

Batailles

Cette hausse des premiers mois de 1982 est nourrie par un certain nombre d'opérations d'envergure. Le rachat par Bouygues des sociétés d'assurances du groupe Drouot n'est pas la moindre. L'opération est faite avec les dirigeants effectifs du groupe Drouot, ceux qui le managent, non avec les propriétaires réels qui, s'ils sont minoritaires, n'en ont pas moins le contrôle du groupe par le biais d'une cascade de holdings. Ils auront d'ailleurs gain de cause devant les tribunaux.

Tout aussi en vue est la bataille qui se déroule pour le contrôle de Radar et, en aval, de sa filiale Paris-France. D'un côté la famille Gompel alliée au CCF auquel se joignent les Galeries Lafayette. De l'autre Révillon qui fait désormais partie du groupe Cora et a trouvé dans son offensive l'appui des Mutuelles unies. Ce qui restera toutefois insuffisant. En Bourse, la bataille fait rage à des niveaux vertigineux, avant de s'apaiser, non pas faute de munitions, mais faute de titres disponibles : le flottant a été absorbé et l'action est condamnée à disparaître plus ou moins vite du marché à terme.

Le troisième conflit spectaculaire, un peu plus tard à l'approche de l'été, est celui qui se déroule autour de Jacques Borel International. Appuyé par les cadres de la maison, le rapprochement décidé avec Novotel trouve des opposants : Codec-Una, l'un des principaux actionnaires, puis un nouveau venu, le concurrent de Borel, Sodexho qui acquiert 10 % de l'affaire. La réplique de Novotel devait passer par une offre d'échange dont l'issue n'était pas encore connue à fin juin.

Ces grandes manœuvres ne doivent pas éclipser cependant des rapprochements beaucoup plus pacifiques comme celui des Grands Travaux de Marseille et d'Entrepose sous l'égide de Vallourec. Les incertitudes soulevées par les mutations politiques semblent avoir cependant freiné le mouvement général de restructuration de l'industrie française observé depuis plusieurs années. À moins que l'essentiel ait maintenant été fait.

Kuala Lumpur

Le marché devient plus prudent en mars et surtout il se rétrécit, tandis que l'on attend l'échange final des nationalisables contre des obligations des Caisses nationales de l'industrie et des banques. Car le véritable problème est là. Quelle est désormais, au niveau international, la place du marché de Paris ? Amputée par les nationalisations, que devient la capitalisation boursière des actions françaises, qui était déjà faible en regard du poids économique de la France dans le monde, avec un neuvième rang mondial et un total de seulement 1,7 % de la capitalisation boursière mondiale. Ce qui permet au syndic de la Compagnie des agents de change, Yves Flornoy, d'évoquer nos principaux concurrents, Singapour et Kuala Lumpur...