Il faut dire que les trois objectifs attribués par le ministre au budget étaient peu compatibles entre eux : celui-ci devait être un instrument « de lutte contre l'inflation, de maintien de l'emploi et d'amélioration de la justice sociale ». L'examen successif des dépenses et des recettes va montrer que le premier objectif était privilégié.

La masse des dépenses augmente de 13,9 %, c'est-à-dire à un taux inférieur à celui qui est envisagé pour la croissance de l'économie nationale en valeur : + 14,3 % (toutes les variations 1975-1974 sont calculées non sur la base de la loi de finances initiale pour 1974, votée fin 1973 et rendue caduque par la crise pétrolière, mais à partir de la loi rectificative de juin 1974, qui intégrait les conséquences de la nouvelle situation).

Resserrement

L'augmentation des dépenses à laquelle on est parvenu a exigé un sérieux effort de resserrement par rapport à la tendance. Compte tenu de la hausse des prix de la dépense publique, la progression réelle, en volume, sera très faible. Mais les sacrifices n'ont pas été uniformément répartis.

Ce sont les dépenses civiles de fonctionnement qui progressent le plus vite : + 15,8 %. Elles portent surtout sur la masse des traitements des fonctionnaires, difficilement compressible bien que ceux-ci aient pris un certain retard par rapport au secteur privé (mais, avec la récession, la situation peut se renverser). Aussi les créations d'emplois ont-elles subi un sévère freinage, n'augmentant que de 25 000 (– 15 000 par rapport à 1974), chiffre le plus bas depuis 1966. Sur ce total, l'enseignement s'adjuge 15 000 postes et les PTT 4 000.

Les dépenses militaires s'accroissent comme la moyenne. Les dépenses d'intervention, en revanche, moins que la moyenne : + 11,3 %. L'effort est concentré sur l'amélioration de l'aide aux personnes âgées, dont la pension minimale a ainsi pu être portée à 20 francs par jour (7 300 francs par an) au 1er avril, en même temps que les allocations familiales ont été relevées de 7 %. L'augmentation de l'aide au chômage avait aussi été prévue.

Enfin, ce sont les dépenses civiles d'équipement, une fois de plus, qui progressent le moins : + 9,7 %. Certes, en leur sein, les télécommunications, la poste et, par suite des engagements de l'an passé, les hôpitaux et les transports en commun sont favorisés, mais au détriment du logement social. De toute façon, une progression moyenne de 10,4 % est inférieure à la hausse des prix et implique donc un recul en volume des investissements publics, avec toutes ses conséquences sur la « qualité de la vie » et le niveau de l'emploi. Au total, l'objectif du VIe Plan en matière d'équipement collectif ne sera atteint qu'à 90 % (après un Ve Plan réalisé à 84 % seulement dans ce domaine).

Recettes

Après le tour de vis fiscal inclus dans le plan de refroidissement de juin 1974, aucune mesure spectaculaire n'est prise en ce qui concerne les recettes. La pression fiscale d'État s'allégera donc (mais il est vrai que, en sens inverse, la fiscalité locale s'alourdira). L'ensemble des tranches du barème de l'impôt sur le revenu est relevé de 12 %, afin que l'inflation n'aggrave pas à elle seule l'impôt. Dans le même esprit, la limite d'exonération des salariés est relevée à 11 400 F. Les seules dispositions redistributrices sont un abattement fiscal supplémentaire pour les personnes âgées et l'aménagement du quotient familial pour les enfants au-delà de dix-huit ans (nouvel âge de la majorité), au profit des familles modestes et au détriment des plus aisées.

À signaler aussi la possibilité de déduire de son impôt les dépenses d'isolation thermique, toutes ces pertes de recettes étant compensées par une majoration des droits sur l'alcool, les passeports et les voitures de sociétés. Il faut noter, pour finir, la poursuite de l'effort de chasse à la fraude, entrepris à partir de 1970 (ce qui ne s'était pas vu depuis 1954-1955, quand le durcissement des contrôles fiscaux avait provoqué le phénomène poujadiste) : en quatre ans, le nombre des vérifications a doublé, et celui des plaintes déposées par l'Administration, décuplé.

Indexation

Ainsi se présente le budget de 1975 : dans la ligne des précédents, sans beaucoup d'imagination et sans beaucoup d'influence sur la conjoncture – du moins du point de vue, initialement prédominant, de la lutte contre l'inflation. Car, que signifie un solde équilibré ou même excédentaire de quelque 5 milliards (moins de 0,5 % de la production), quand la masse des dépenses se gonfle au rythme de la production en valeur, elle-même emportée par la hausse des prix ?