C'est justement la date de réouverture du canal de Suez (huit ans, jour pour jour, après son bombardement pendant la guerre de Six Jours) que choisissent les Israéliens pour prouver leur bonne volonté sans même de contrepartie (au moins officielle). L'avant-veille, le 2 juin 1975, ils retirent artillerie et missiles à 30 ou 40 km du canal et réduisent les effectifs de moitié : 3 500 hommes au lieu de 7 000, et 15 chars au lieu de 30. C'est la première étape des concessions négociées depuis des mois en coulisse.

Diplomatie

Le gouvernement de Jérusalem répète que ces propositions n'ont rien d'immuable, qu'elles restent négociables à tout moment. Hélas ! le chassé-croisé diplomatique s'interrompt dramatiquement le 23 mars 1975, sur l'aéroport de Tel-Aviv, lorsque le secrétaire d'État américain Henry Kissinger, avant de rentrer désabusé à Washington, avoue à la face du monde l'échec de sa patiente politique des petits pas. Sa prestidigitation cède aux réalités plus fortes. « C'est un triste jour pour l'Amérique et pour Israël », dit-il avant de reprendre son avion. Parmi les possibilités évoquées, une garantie officiellement fournie par les États-Unis à Israël pour sa sécurité. Peut-être même un accord de défense. Pendant cette période de réflexion, Israël, limitant ses ambitions, continue à rechercher un accord intérimaire. Surtout avec Anouar el-Sadate « pour l'instant, seul interlocuteur possible », précise Itzhak Rabin. Le poisson semble mordre à l'hameçon. Fin mai, le président égyptien est à Salzbourg pour rencontrer, en terrain neutre, le président américain Gerald Ford entre deux étapes de sa tournée européenne.

Genève n'est pas loin et certains parlent déjà de reprise de la conférence, mais, avant même l'entrevue au sommet, Anouar el-Sadate déclare : « Aujourd'hui la paix dépend d'Israël. Je ne puis accepter l'état de non-belligérance tant qu'un seul soldat étranger demeure sur le territoire arabe. » Ainsi le gouvernement de Jérusalem ne peut même plus espérer obtenir la seule concession à laquelle il s'accroche. Reste le canal de Suez, que l'Égypte acceptera peut-être d'ouvrir au commerce israélien comme aux navires de guerre soviétiques passant de la Méditerranée à l'océan Indien. Ici l'Iran peut dire son mot. Après avoir sacrifié les Kurdes à de nouvelles relations réalistes avec les pays arabes, il pourra mieux continuer à faire (par le canal, cette fois) ce qu'il a toujours fait sans le proclamer : livrer du pétrole à Israël par la mer Rouge.

À cette paix sans traité, la France semble discrètement contribuer aussi. À dessein, pendant son séjour à Salzbourg, le président Sadate fait savoir qu'il a téléphoné à Valéry Giscard d'Estaing avant l'arrivée de Gerald Ford et qu'il tiendra la France au courant des résultats du sommet autrichien. Alors, bien qu'il déclare au Figaro : « La France veut jouer un rôle de superpuissance au-dessus de ses moyens », le Premier ministre Itzhak Rabin avait attrapé les perches tendues par Paris, malgré l'abstention de la France à l'ONU, condamnée publiquement, et la poignée de main à Arafat du ministre des Affaires étrangères J. Sauvagnargues, jugée plus sévèrement encore. Celui-ci était allé à Jérusalem le 30 octobre 1974 pour honorer un projet mis en route par le président Pompidou. C'est la première visite officielle en Israël d'un ministre français depuis la fondation de l'État en 1948. Et son collègue israélien Ygal Allon rend la politesse : il vient à Paris le 28 avril. C'est le premier voyage officiel en France d'un ministre israélien des Affaires étrangères depuis la guerre de Six Jours.

Ces échanges n'empêchent pas le président Giscard d'Estaing de confirmer, sur ce chapitre, la continuité gaullienne : il évoque « l'aspiration naturelle du peuple palestinien à disposer d'une patrie ». Et son réalisme le pousse a lever l'embargo sur les ventes d'armements aux belligérants (potentiels) du Proche-Orient. Ce qui ne provoque pas la ruée au bureau d'achat des Israéliens, habitués depuis huit ans à se fournir ailleurs. Et même à fabriquer leurs propres avions que le plus francophile des dirigeants israéliens, le ministre de la Défense Shimon Pérès, est fier de venir présenter lui-même au Salon du Bourget. Six mois plus tôt, à Noël, le ministre du Travail Michel Durafour était allé à Nazareth-Ilit (nouvelle cité juive près de l'antique ville arabe) participer aux cérémonies du jumelage avec la ville dont il est maire, Saint-Étienne.