Journal de l'année Édition 1972 1972Éd. 1972

Le 26 juin 1971, le président Nixon réunit ses conseillers à Camp David pour un véritable conseil de guerre économique. Le déficit extérieur des États-Unis atteint des niveaux dramatiques.

La mort d'un système

Début août, l'hémorragie de dollars atteint 1 milliard par jour ! Le stock d'or des États-Unis, qui était de 20 milliards de dollars à la fin des années 50 (quand la dette extérieure du pays n'excédait pas ce chiffre), tombe pour la première fois au-dessous de 10 milliards de dollars... alors que la dette extérieure approche de 50 milliards ! Le dos au mur, Nixon tranche : aucun pays ne pourra plus exiger de l'or en échange des dollars qu'il détient. Le système monétaire sur lequel le monde entier vivait depuis vingt-cinq ans s'écroule.

Bien qu'elle soit logique et, dans une certaine mesure, attendue, la décision du président Nixon fait l'effet d'une bombe. Elle jette le trouble au Japon et en Europe. Les Six se disputent et ne trouvent pas de parade immédiate commune. Le 23 août, la France réagit seule en instituant un double marché des changes destiné à distinguer les opérations commerciales (échange de marchandises) des opérations financières (échange de capitaux) ; seules les premières continueront d'être réglées aux taux de change officiels (afin de ne pas défavoriser nos exportations).

Dévaluation inéluctable

Sur les marchés des changes, le dollar enregistre un peu partout une dévaluation de fait. Mais on va se disputer pendant quatre mois pour transformer cette dévaluation de fait en une dévaluation de droit. Pourtant, le 13 septembre, les Européens serrent les rangs devant l'adversité et réclament une dévaluation du dollar. Deux jours plus tard, à la conférence de Londres, Connally, alors secrétaire américain au Trésor, leur réplique avec son franc-parler habituel que tout ce qui arrive est de leur faute : ce sont des ingrats qui ont oublié l'aide américaine et des irresponsables qui ne remplissent pas leur rôle sur la scène internationale ; à eux de réévaluer leur monnaie !

La réunion du Fonds monétaire international, le 27 septembre, à Washington, n'apporte rien de nouveau. Connally va même jusqu'à dire qu'une hausse du prix de l'or (c'est-à-dire une dévaluation du dollar) serait « une mesure rétrograde ». Deux mois plus tard, changement de décor. À la conférence de Rome, le 30 novembre, le même Connally, soudain assagi, déclare qu'après tout on pourrait peut-être examiner l'hypothèse d'une éventuelle dévaluation du dollar, si cela devait arranger les choses. En réalité les Américains savent depuis le début de la crise que cette dévaluation est inéluctable, mais ils veulent la vendre cher.

Le 13 décembre, le président Nixon invite le président Pompidou aux Açores. Il a décidé de faire cadeau de la dévaluation à la France, qui la réclamait depuis si longtemps. Il joue ainsi sur la partie la plus résistante de l'opposition aux États-Unis ; en contrepartie, il maintient l'inconvertibilité du dollar et réclame l'ouverture de négociations commerciales pour atténuer les inconvénients de l'existence du Marché commun (élargi à l'Angleterre) pour l'économie américaine.

Il ne reste plus qu'à fixer les nouvelles parités monétaires. Une conférence internationale s'en charge à Washington le 18 décembre. Le président Nixon jaillit au dernier moment, au milieu des micros et des caméras, pour souligner le caractère historique des décisions prises. Avec une grande habileté, le président des États-Unis fait de nécessité vertu. Le dollar est dévalué, certes, mais lui ne l'est pas.

L'accord de Washington a résolu une crise à court terme, mais n'a rien réglé à long terme. Pour l'essentiel il a réalisé un réalignement général des monnaies les unes par rapport aux autres. Il a permis, ce faisant, de mettre fin à la flottaison des monnaies et de revenir à une certaine fixité des taux de change. Les Américains ont obtenu, par la dévaluation de leur propre monnaie et la réévaluation d'un certain nombre de monnaies étrangères, à savoir le yen japonais, le mark allemand, le florin hollandais et le franc belge, une amélioration de la compétitivité de leurs produits sur les marchés internationaux ; moyennant quoi ils ont pu lever la taxe qu'ils avaient instituée, le 15 août 1971, sur les importations des produits étrangers.