Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

lésion (suite)

Lésions engendrées par des troubles fonctionnels

Les progrès réalisés en physiologie et en physiopathologie dans les cinquante dernières années ont permis d’établir la notion qu’une anomalie prolongée dans le fonctionnement d’un organe puisse être la cause d’une lésion. Reprenons l’exemple de l’ulcère de l’estomac : on comprend qu’un excès de sécrétion des glandes gastriques (enzymes attaquant les protéines) associé à une insuffisance de sécrétion du mucus protecteur de la muqueuse puisse permettre l’attaque de la paroi gastrique par le suc digestif. Cela d’autant plus facilement s’il existe des troubles de la motricité : un pylore spasmé retient trop longtemps les liquides dans l’estomac et accroît les risques. Or, ces troubles fonctionnels (de sécrétion, de motricité) sont sous la dépendance du système neurovégétatif (sympathique et parasympathique), lui-même commandé par les centres nerveux supérieurs (diencéphale). Cela explique les rapports observés entre un déséquilibre du système nerveux et l’apparition de l’ulcère : c’est l’explication psychosomatique de cette affection.

Un autre exemple de lésion provoquée par un trouble fonctionnel est l’infarctus, qui survient à la suite d’une perturbation dans la circulation d’un organe : le défaut d’irrigation, qui n’est qu’un trouble fonctionnel, provoque des lésions destructives dans la zone intéressée. De même, un excès ou une insuffisance de stimulation hormonale peut provoquer la formation de lésions : c’est le cas de la thyroïde, qui fera un goitre en cas de troubles de sa stimulation par l’hypophyse.

On voit que les rapports entre une lésion et des troubles fonctionnels sont très complexes, l’un étant cause de l’autre et vice versa ; l’intrication des phénomènes rend souvent difficile le diagnostic de la cause primitive de l’affection observée.

J. B.

Leskov (Nikolaï Semenovitch)

Écrivain russe (Gorokhovo, gouvern. d’Orel, 1831 - Saint-Pétersbourg 1895).


Peu d’amis, beaucoup d’ennemis, des lecteurs plus nombreux encore : Leskov ne dut guère sa notoriété à l’appui des critiques littéraires, qui résolument le négligèrent. Refusant de s’engager aux côtés des progressistes ou des conservateurs, à l’époque où l’esprit de parti commandait jusqu’aux jugements artistiques, il reçut la consécration officielle du monde des lettres bien après que le public l’eut découvert.

Leskov doit sans doute à son éducation sa méfiance à l’égard de tout sectarisme. Issu de bonne famille (son grand-père paternel est prêtre, sa mère de petite noblesse), il reçoit une formation plus ouverte que bien des jeunes gens de son milieu grâce à la fréquentation d’un oncle et d’une tante anglais. À seize ans, il perd ses parents et doit travailler. À l’âge où les fils de barines fréquentent le bal ou l’université, Leskov fait l’apprentissage des réalités à l’école de la vie et découvre le peuple russe.

Largeur de vues, esprit d’observation, pragmatisme le prédisposent à la carrière de journaliste, qu’il embrasse en 1860, et lui dictent un certain scepticisme en matière politique. Il collabore à des revues libérales, mais, en 1862, un article sur les origines de l’incendie de Saint-Pétersbourg déclenche les polémiques : on l’accuse, parce qu’il soupçonne les nihilistes, de favoriser la cause des conservateurs et de jouer les indicateurs de police. Les récits et romans qu’il publie par la suite, le Bœuf musqué (1863), Pas d’issue (1864), Lady Macbeth au village (1865), À couteaux tirés (1870), ne contribuent guère à renverser les opinions. C’en est fait : Leskov passera désormais pour un réactionnaire, lors même qu’il fera la satire des milieux conservateurs. En réalité, il refuse l’un et l’autre parti, et la seule influence qu’il subira, vers la fin de sa vie, sera celle de Tolstoï et du tolstoïsme.

Le public se soucie peu des querelles idéologiques, et il adopte assez vite ce romancier qui l’entraîne d’aventures en aventures, de chroniques en chroniques, et le plonge dans une réalité vivante et familière. Gens d’église (1872), pivot d’une trilogie comprenant le Bon Vieux Temps à Plodomassovo et Une lignée appauvrie, retrace avec beaucoup d’humour la vie du clergé russe et constitue le premier grand succès de Leskov : l’archidiacre Achille, exubérant, fort comme un Turc, qui convertit ses ouailles à coups de poing et finit ses jours d’une manière héroïque, demeure un type inoubliable de l’humanité russe.

L’œuvre de Leskov est variée, satirique, morale, sociale. L’Ange scellé (1873), description des milieux vieux-croyants, et le Vagabond ensorcelé (1873), tout en rebondissements et en péripéties, se lisent comme des romans d’aventures, tandis que le Forgeron gaucher et la puce d’acier ainsi que d’autres récits des années 1880 revêtent la forme de savoureux petits contes populaires. Avec les Justes, avec la Dame et la souillon, l’écrivain révèle ses convictions religieuses, faites de charité et d’humilité. Ses dernières œuvres (la Montagne, le Brigand d’Askalon, la Belle Aza), qui évoquent les premiers temps du christianisme, débordent de vie et de couleur orientale, foisonnent de détails pittoresques et de scènes jugées si osées qu’elles alarmèrent les censeurs !

Malgré les disputes politiques, Leskov ne perd pas sa bonne humeur : il aime raconter, et la vivacité de son récit est servie par une langue drue et piquante ; chaque mot est une trouvaille, une cabriole d’équilibriste. La cocasserie des tournures populaires, l’utilisation d’idiomes particuliers comme le slavon d’église ou même l’emploi de mots d’argot produisent de sûrs effets comiques. Le rythme rapide court d’anecdote en anecdote. La description procède par saillies ou par contrastes, sans se perdre en demi-teintes ou en nuances, et l’écrivain ne se départit jamais de son humour.

Leskov ne s’est guère soucié des idées à la mode. Son mérite est d’avoir renoué avec le vieux fonds russe et décrit la réalité sociale dans une langue extraordinairement riche et variée. Le public ne s’y est pas trompé.

S. M.-B.

 P. Kovalewski, N. S. Leskov, peintre méconnu de la vie nationale russe (P. U. F., 1925). / A. Leskov, la Vie du N. S. Leskov, d’après des notes personnelles (en russe, Moscou, 1954). / V. Setschkareff, N. S. Leskov, sein Leben und sein Werk (Wiesbaden, 1959).