Klein (Melanie) (suite)
Mais le mécanisme d’oscillation du sujet à ses objets de désir ne s’arrête pas là ; car un dédoublement s’effectue de l’intérieur à l’extérieur du corps : bon et mauvais objets jouant soit dans l’intérieur du corps (où ils mutilent ou comblent), soit à l’extérieur. Les images de l’enfant sont donc dédoublées : les figures parentales jouent dans l’espace du corps de l’enfant. Ce dispositif complexe est décisif dans la pensée kleinienne : c’est l’introjection-projection « À l’introjection des objets extérieurs correspond à chaque étape la projection de figures internes sur le monde extérieur, et cette action réciproque sous-tend la relation aux parents réels, comme elle sous-tend le développement du surmoi. La conséquence de cette action réciproque, qui suppose une orientation vers l’extérieur et vers l’intérieur, est qu’une oscillation constante s’établit entre les objets et les situations internes et externes. » Il existe donc une sorte d’écran-ventouse qui fait basculer sans cesse l’imaginaire et le sépare du réel. Les positions excessives de la pathologie s’en déduisent ; la fuite vers le bon objet intérieur, c’est la psychose ; la fuite vers le bon objet extérieur, c’est la névrose. C’est sur ce mécanisme que Melanie Klein fait reposer la thérapeutique par le jeu : ainsi, dans le cas de Ernst, qui ne peut écrire ni le p ni le i, elle trouve à l’analyse que ces deux lettres sont le pénis paternel, soit introjecté — et dans ce cas il attaque le corps de l’enfant —, soit projeté, et dans ce second cas il attaque le corps de la mère.
C’est précisément ce réel — le corps de la mère — qui suscite la position qui fait suite à la position schizo-paranoïde : position dépressive due à la perte de l’objet total. Le corps de la mère, c’est l’illimité : la totalité du monde extérieur est représentée pour l’enfant par cette réalité pour lui gigantesque : « Il n’est pas exagéré de dire que, d’après la première réalité de l’enfant, le monde est un sein et un ventre rempli d’objets dangereux — dangereux par la tendance de l’enfant lui-même à les attaquer. » La dernière partie de la phrase précise davantage le fonctionnement du fantasme : tout y est à la fois menace et jouissance, bien et mal. Si danger il y a, il ne peut être que le résultat de l’agressivité du sujet lui-même. Le système des équivalences posées par Melanie Klein transforme le monde fantasmatique de l’enfant en un manège instable, qui se règle au mieux par approximations successives, sous la conduite d’un surmoi cannibale et féroce qui lacère, déchire le corps primitif de la mère perdue. L’image du monde enfantin construite par Melanie Klein suscite résistances et effroi : lors même qu’on aura dit, avec Anna Freud, qu’il s’agit là d’une construction d’adulte projetée sur une réalité enfantine en fait insaisissable, on n’aura pas rendu compte de l’effet de vérité produit par les textes et les expériences thérapeutiques de Melanie Klein : ces dernières dépassent largement le champ restreint de la pratique analytique et concernent tout autant les images culturelles et idéologiques d’une société où l’agressivité est la règle.
C. B.-C.
➙ Agressivité / Œdipe / Psychanalyse.
H. Segal, Introduction to the Work of Melanie Klein (Londres, 1964 ; trad. fr. Introduction à l’œuvre de Melanie Klein, P. U. F., 1969). / J.-B. Pontalis, Après Freud (Julliard, 1965). / J. Lacan, « l’Agressivité en psychanalyse » dans Écrits (Éd. du Seuil, 1966). / C. Geets, Melanie Klein (Éd. universitaires, 1971). / R. Jaccard, la Pulsion de mort chez Melanie Klein (l’Âge d’homme, Lausanne, 1971).