Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Amérique précolombienne (suite)

Il faut aussi évoquer Monte Albán, capitale des Zapotèques*, dans l’actuel État d’Oaxaca. Là, sur un grand éperon rocheux aménagé par l’homme, se trouve le centre religieux d’un peuple qui eut une évolution un peu à part, protégé par ses montagnes. Il subit néanmoins l’influence des Olmèques et, plus tard, celle des Mayas. Mais son art est bien particulier, et les œuvres les plus typiques en sont de grandes urnes funéraires représentant des divinités masquées, surchargées d’ornements. L’an 900 marque la chute de Monte Albán, peut-être conquise par les Mixtèques (v. Zapotèques et Mixtèques), qui la conservent comme métropole religieuse.


La période postclassique

Teotihuacán tombé, commence un peu partout au Mexique une ère de troubles et d’incertitude. Les barbares du Nord, les Chichimèques, déferlent par vagues. Les métropoles religieuses vont laisser la place aux villes fortifiées, les dieux de la Végétation et de la Fertilité aux divinités guerrières assoiffées de sang, et le prêtre, en même temps prince et peut-être philosophe, au guerrier.

L’histoire se fait maintenant à Tula, dans l’actuel État de Hidalgo. Il a fallu attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que l’on identifie avec certitude les ruines de la métropole semi-légendaire des Toltèques*. Avec ceux-ci, nous entrons dans la période postclassique, qui est aussi « historique ». En effet, ces tribus tenaient des livres, leurs annales, qui relatent leurs migrations et leur histoire. Le « phénomène » toltèque est bien particulier et n’a d’autre équivalent que celui que devaient présenter les Aztèques quatre siècles plus tard. Il s’agit d’une petite tribu nomade qui parvient très vite à un haut degré de culture. Nous avons vu que l’on pouvait souvent résumer ou schématiser l’histoire du Mexique par celle de ses dieux. Ici plus qu’ailleurs, nous assistons à la lutte de deux puissances divines, celle de Quetzalcóatl et celle de Tezcatlipoca. Il s’agit aussi de l’opposition de deux couches de population : les agriculteurs déjà fixés dans la vallée de Mexico, s’adonnant à des cultes relativement peu sanglants, se heurtent aux nouveaux venus, épris d’une mystique guerrière et dont Tezcatlipoca est le dieu. L’histoire relaie maintenant le mythe : Topiltzin Quetzalcóatl, prêtre de son dieu éponyme et souverain de Tula, est chassé de sa ville par les machinations de son rival, le grand prêtre du clergé de Tezcatlipoca. En 947 ou 987, selon les chroniques, il quitte Tula et commence une longue migration qui le conduit vers le sud-est, vers le pays des Mayas, où nous le verrons arriver. Pour d’autres, il part vers l’est et lui, le dieu blanc, barbu et sage, promet de revenir un jour... Prophétie qui parut se réaliser quand les vaisseaux de Cortés touchèrent le littoral.

Si nous essayons de lire dans les ruines de la riche Tula, un fait apparaît clairement : jusque-là, le temple lui-même, le « saint des saints », était minuscule et ne pouvait contenir que quelques prêtres, qui se livraient aux rites d’un culte que l’on peut imaginer ésotérique, pendant que la foule des croyants attendait en bas des gradins. À Tula, au contraire, les salles, soutenues par de grandes cariatides en forme de guerriers, sont vastes : toute une caste d’hommes de guerre peut s’y réunir ; le culte devient plus large, et la mystique guerrière. Les chroniques nous disent que Tula fut détruite vers 1160 par une nouvelle vague de Barbares venus du Nord.


Les Aztèques*

Parmi ces nouveaux envahisseurs figuraient sans doute les Aztèques, qui devaient connaître un destin exceptionnel et qui représentent la seule grande puissance que les Espagnols eurent à affronter. Il semble, d’après leurs livres, que leur migration commence au moment même de la chute de Tula. Ils viennent, guidés par les prophéties de leur dieu Huitzilopochtli. Ils sont mal accueillis, repoussés par les peuples plus évolués qui se sont depuis longtemps partagé les terres fertiles. Ils finissent par se fixer dans les marécages de la lagune de Texcoco. Leur vie est d’abord misérable, mais bientôt, dans leur ténacité, leur courage, ce qui sera le « génie » aztèque se montre... Ils fondent Tenochtitlán (Mexico) au xive s. et, en 1519, les conquérants seront émerveillés par la splendeur de cette « nouvelle Venise ».

Il est encore difficile aujourd’hui, malgré les témoignages que nous avons — livres écrits avant la conquête sur papier végétal ou sur peau de bête, récits des premiers conquérants —, de se faire une idée précise de cette société, qui était en pleine évolution. Nous sommes bien loin, en 1519, de la petite tribu guerrière à la structure simple, à l’autorité déposée entre les mains des vieillards et des prêtres de Huitzilopochtli. La société aztèque est maintenant puissamment structurée. Au sommet l’empereur, le tlatoani, « celui qui a la parole », assisté de quatre sages. Puis la noblesse : prêtres d’un clergé de plus en plus nombreux et puissant, guerriers s’étant distingués au combat. Ensuite les gens du peuple, les macehuallis, parmi lesquels il faut néanmoins distinguer des groupes particuliers, jouissant de droits spéciaux et de l’estime de tous : les artisans d’art et les marchands, classe en pleine ascension, à la fois commerçants, émissaires de l’empereur et espions. Le reste des gens du commun était groupé en quartiers, les calpullis, qui étaient sans doute l’héritage des clans du temps passé. Enfin, en bas de l’échelle, les esclaves.

Comme au temps des Toltèques, plusieurs mystiques s’affrontent ici. Le grand temple de Mexico portait à son sommet deux petits temples jumeaux, l’un consacré au vieux dieu de la Pluie, Tlaloc, dieu des peuples sédentaires et agriculteurs, l’autre à Huitzilopochtli, jeune dieu guerrier assoiffé de sang, soleil triomphant, dieu des nomades plus récemment arrivés. Parallèlement, la classe « noble » se divisait en prêtres et en guerriers, les seconds dédiés à Tezcatlipoca, les premiers se consacrant à Quetzalcóatl, dieu et héros culturel, inventeur des arts, des techniques et aussi de la pensée philosophique. Les dernières années de la puissance aztèque devaient être marquées par ces deux courants. On assistait d’une part à l’effort du clergé de Quetzalcóatl pour repenser la religion, la « rationaliser » et, d’une certaine façon, la « spiritualiser », tâche difficile dans un polythéisme illimité. D’autre part, les dieux guerriers, Huitzilopochtli et Tezcatlipoca en particulier, devenaient de plus en plus exigeants en sang humain au fur et à mesure qu’augmentait la grandeur de leur peuple. Ce « fleuve » de sang, né de l’idée de la responsabilité humaine envers les dieux et la marche du monde, avait conduit les Aztèques à créer une curieuse institution : la « guerre fleurie », dont le but était de se procurer des victimes pour nourrir le soleil. Sur le plan politique, l’expansion militaire était telle que les Aztèques tenaient sous leur coupe un immense territoire, n’ayant échoué que dans quelques îlots : les Tarasques du Michoacán par exemple. Mais cette domination était précaire, et les peuples soumis à la « paix aztèque » étaient tout près de secouer le joug de Mexico.