Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Éthiopie (suite)

Le pays sortait terriblement amoindri de cette épreuve, et les successeurs de Galaoudéos devront faire face à de nouveaux problèmes. À la même époque débute la grande migration des Gallas, qui, partis des hautes vallées du Chébéli et du Djouba, et profitant de l’amoindrissement des provinces musulmanes, vont se répandre dans tout l’empire et ne se stabiliseront qu’au cours du xixe s. Enfin, le développement de la propagande catholique devait secouer profondément les bases mêmes de l’empire. L’aide des Portugais n’avait pas été tout à fait désintéressée.

Avec les soldats étaient arrivés des prêtres catholiques, et tout particulièrement des jésuites envoyés par saint Ignace de Loyola, qui se mirent en devoir de convertir les Éthiopiens. Tout d’abord, leur action, patiente et discrète, s’étend. En 1613, l’Espagnol Pedro Páez réussit à convaincre l’empereur Sousneyos (1607-1632) qu’il est dans l’erreur religieuse et à le rebaptiser dans la religion romaine en faisant acte d’obédience à Rome. Mais Páez étant mort, Rome envoie le Portugais Afonso Mendes (1579-1656), qui ruine en peu de temps, par son intransigeance outrancière, l’œuvre ainsi accomplie. Considérant les Éthiopiens comme des hérétiques, celui-ci exigeait de les rebaptiser et d’ordonner de nouveau tous les prêtres. En 1632, une révolte des nombreux chrétiens restés fidèles à leurs croyances traditionnelles oblige l’empereur à abdiquer après avoir chassé tous les missionnaires et révoqué l’union avec Rome.


L’Éthiopie de Gondar

Devant la poussée des Gallas, qui s’installent progressivement sur le plateau Amhara, le successeur de Sousneyos, Fasilidas (1632-1667), transporte la capitale du royaume plus au nord, à Gondar, qui demeurera (au moins nominalement) le centre de l’empire tout au long des xviie et xviiie s. Malgré un déclin sur le plan politique, cette période a fourni un apport extrêmement riche à l’héritage culturel de l’Éthiopie. La ville devient une grande métropole religieuse et, par suite, un important centre d’art religieux et d’études. L’architecture, la peinture, la calligraphie et l’enluminure des manuscrits florissent d’un éclat tout particulier sous le patronage de l’Église, des monastères et de la Cour. Blessée par les troubles que les jésuites ont provoqués, l’Éthiopie se ferme à l’Occident latin et se rapproche de nouveau de l’Église copte d’Égypte, dont on a voulu la séparer. À part la visite du Français Charles Poncet (en 1698), qui se fait passer pour médecin, et la mission malheureuse de M. du Roule, envoyé du roi Louis XIV, assassiné au Sennar (Soudan) en 1705, il n’y aura plus de contacts diplomatiques avec l’Europe avant le début du xixe s.

Après Fasilidas, Jean Ier (Yohannès le Juste, 1667-1682), puis Iyassou (Jésus) le Grand (1682-1706), que l’Église tiendra pour saint, assurent encore le développement et l’embellissement de la capitale. Iyassou réforme l’Administration, apaise les controverses religieuses et rétablit son autorité sur les provinces du Sud, où les Gallas païens balayaient le christianisme.

Mais, après lui, l’autorité de l’empire s’effrite peu à peu sous les coups de la noblesse chrétienne, en perpétuelle rébellion. L’explorateur écossais James Bruce (1730-1794), qui séjourna dans le pays de 1770 à 1773, nous a laissé la description des luttes sanglantes qui déchiraient le pays. Pour tenter de rétablir son autorité et secouer la tutelle de l’impératrice Mentouab, qui assurait la régence depuis de nombreuses années, Iyassou II (1730-1755) cherche à s’allier les Gallas en épousant la fille d’un de leurs chefs. Mais l’empire, pris désormais entre les rivalités des Gallas de la Cour et les chefs du Tigré, parmi lesquels le puissant ras Mikael, que l’on surnommera le « faiseur de rois », verra se développer dans le gouvernement et dans les mœurs un esprit féodal dont les vestiges se perpétueront jusqu’au début du xxe s. Marquée par cette décadence, la fin de l’ère gondarienne est connue sous le nom de temps des princes, période où se succèdent au gré des seigneurs gallas ou tigréens des empereurs dépourvus d’armée, de richesses et de tout pouvoir.


Le réveil national. Théodoros II

Cependant, du chaos allait émerger une forte autorité permettant la restauration du pouvoir royal. La révolte des Éthiopiens contre les féodaux devait être éveillée à la fois par la propagande en faveur de l’islām entreprise par certains seigneurs gallas et par l’impuissance des chefs face aux attaques que l’Égypte lançait depuis le Soudan contre l’empire. Profitant de cet élan patriotique, un inconnu, de petite origine, alors simple chef de bande, qui s’était déjà illustré en se battant contre les Égyptiens, réussit à imposer sa loi aux chefs de la province de Gondar. Le 5 mai 1855, il se fait couronner sous le nom de Théodoros II.

Animé d’un grand zèle religieux, profondément mystique, le nouvel empereur se propose de briser la puissance des nobles turbulents, de détruire ou de convertir les Gallas et d’expulser les envahisseurs musulmans, encore fort nombreux. Dans ce dessein, il entreprend un certain nombre de réformes, organisant l’administration des provinces, confiées à des fonctionnaires nommés par lui, créant une armée de métier, payée par le Trésor public, au lieu de vivre sur le pays comme il était de règle jusque-là. Tenant Gondar et ses richesses pour responsables de la décadence de l’empire, il incendie la cité et transfère sa résidence dans le centre, sur l’amba de Magdala. Désireux de faire progresser son pays, il accueille favorablement les étrangers pour profiter de leurs techniques. Mais c’est aussi l’époque où les puissances occidentales rivalisent pour tenter de s’installer sur la côte est de l’Afrique, au débouché de la mer Rouge, qui va prendre une importance considérable avec l’ouverture prochaine du canal de Suez.

Un malentendu avec le gouvernement de la reine Victoria, aggravé par le caractère difficile de Théodoros, qui avait emprisonné à Magdala le consul britannique et tous les Européens, amène les Anglais à entreprendre l’expédition dirigée par lord Robert Napier (1867-68). Abandonné par les siens, qu’avaient fini par lasser ses excès, l’empereur se suicide lors de l’assaut de la forteresse, plutôt que de tomber vivant aux mains de ses ennemis.