Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

chanteurs et chanteuses (suite)

En Italie

L’Italie possédait déjà des chanteurs de qualité et d’habiles compositeurs qui donnaient à l’expression priorité sur la science. Aux alentours de 1600, les chanteurs, qui avaient pris l’initiative de la réforme mélodramatique, écrivirent aussi les premiers opéras, dont l’ensemble constitua le répertoire initial d’une nouvelle école qui allait sans cesse prospérer. Giulio Caccini (v. 1550-1618) fut — avec Iacopo Peri (1561-1633) — le premier grand représentant du chant individuel. Il forma les premiers interprètes de l’opéra florentin : Vittoria Archilei, dite la Romanina (1550 - apr. 1618), Francesco Rasi et le castrat G.-G. Magli, l’un des créateurs de l’Orfeo (Mantoue, 1607). D’autres s’illustrèrent aussi dans les œuvres de Monteverdi : Virginia Andreini, dite la Florinda (1583 - v. 1628), créatrice d’Ariane (Mantoue, 1608), Adriana Basile-Baroni (v. 1580-1640), spécialiste du madrigal accompagné, et le castrat Venanzio Leopardi. Après 1630, le nombre des chanteurs ne cessa de croître, de même que leur réputation : Eleonora Baroni (1611-1670) et les castrats Marc’Antonio Pasqualini (1614-1691) et Loreto Vittori (v. 1588-1670) — au service des Barberini à Rome —, Anna Bergerotti, Leonora Bellerini, les castrats Atto Melani (1626-1714), P. Miccinello, G. Melone et la basse Paolo Bordigone participèrent pour la plupart, entre 1644 et 1662, aux représentations italiennes données à Paris sous Mazarin. Les castrats, sopranistes ou contraltistes, souvent titulaires des rôles féminins, connurent alors en Europe — sauf en France où on les admettait difficilement — des triomphes sans précédent. « Vedettes » capricieuses et exigeantes devant lesquelles les compositeurs s’inclinaient, ils furent en général des artistes raffinés. La pureté et l’étendue de leur voix, la tenue de leur souffle, leurs acrobaties vocales et leur technique infaillible stupéfiaient tous les auditoires. Au début du xviiie s., le chanteur — prima donna ou primo uomo — devint à l’opéra le personnage principal. Les cantatrices Francesca Cuzzoni-Sandoni, dite la Parmigiana (1700-1770), et Faustina Bordoni-Hasse (1700-1781), les castrats Gaetano Caffarelli (1710-1783), Giovanni Carestini (1705-1760) et le célèbre Carlo Broschi, dit Farinelli (1705-1782), furent à Londres et dans toute l’Europe les grands interprètes des opéras de Händel. Dans la seconde moitié du siècle, le castrat conserva son prestige. Gluck confia à Gaetano Guadagni (v. 1725-1792) le principal rôle de l’Orfeo (Vienne, 1762) et à Giuseppe Millico (1737-1802) celui de Paride ed Elena (Vienne, 1770). Mozart écrivit pour Venanzio Rauzzini (1746-1810) le rôle de Cecilio dans Lucio Silla (Milan, 1772) et lui dédia son motet Exultate (1773). Il fit appel à Giovanni Manzuoli (v. 1720-1780) — qui lui avait donné des leçons de chant — pour la création d’Ascanio in Alba (Milan, 1771). Mais, depuis le début du siècle, les cantatrices, soucieuses de supplanter leurs rivaux dans les grands rôles féminins, s’appliquaient, à l’exemple de la Bordoni, qui avait atteint le contre-ut, à perfectionner leur technique. Bientôt surgit une nouvelle génération où brillèrent Caterina Gabrielli (1730-1796), qui donna le premier contre-fa (en falsetto), Anna Lucia de Amicis (v. 1733-1816), interprète de J. C. Bach et Mozart, Anna Selina Storace (1766-1817), soprano léger, la première Suzanne des Noces de Figaro (Prague, 1786), et Caterina Cavalieri (1760-1801), hautement appréciée de Mozart et créatrice du rôle de Constance dans l’Enlèvement au sérail (Vienne, 1782). D’autres chanteurs, outre les castrats, connurent aussi un grand renom : le ténor Antonio Baglioni, la basse ténorisante Luigi Bassi (1766-1825), créateur à vingt et un ans du rôle principal de Don Juan (Mozart), la basse chantante Pietro Benucci (v. 1745-1824) et la basse bouffe Francesco Albertarelli. Au xixe s., après la disparition de Mozart, l’influence de Cherubini et de Spontini devint prépondérante. Mais celle de Rossini fut bientôt la plus forte, car il avait le sens du théâtre et le goût du beau chant. L’auteur du Barbier de Séville renonça progressivement à la virtuosité purement instrumentale au profit de l’expression. Il précipita ainsi la décadence du castrat improvisateur, qui disparut de la scène avec Giovanni Battista Velluti (1780-1861) en 1830. Il lui substitua la voix de contralto, dont Celeste Coltellini (1764-1829) avait donné, du vivant de Mozart, le prototype dans l’opéra bouffe, où le castrat n’eut jamais sa place. De grands artistes n’ont cessé depuis d’illustrer le chant italien : les sopranos Angelica Catalani (1780-1849), qui dirigea à Paris le Théâtre italien sous Louis XVIII, Giuditta Pasta (1797-1865), pour laquelle Bellini composa la Somnambule et la Norma, Giulia Grisi (1811-1869), dernier grand soprano romantique, Adelina Patti (1843-1919), une des plus grandes chanteuses de tous les temps avec la Malibran, et Romilda Pantaleoni (1847-1917) ; les contraltos Ester et Anna Mombelli, Marietta Alboni (1826-1894) et Sofia Schalchi (1850-1922) ; les ténors Domenico Donzelli (1790-1873), Giovan Battista Rubini (1794-1854), Roberto Stagno (1840-1897) et Enrico Caruso (1873-1921) ; enfin, les barytons Enrico Augusto Delle Sedie, qui débuta dans Nabucco (1851) de Verdi, Mattia Battistini (1857-1928) et Giuseppe de Luca. Plus près de nous, il faut encore citer les barytons Titta Ruffo (1877-1953), Tito Gobbi, les ténors Tito Schipa, Beniamino Gigli (1890-1957), Mario del Monaco et Giuseppe di Stefano, et les sopranos Amelita Galli-Curci, Toti dal Monte, Renata Tebaldi et Mirella Freni.


En France

En France, au début du xviie s., le chant individuel, pourtant très prisé, fut moins rapidement l’objet de préoccupations techniques. Les airs de cour de forme simple et fixe ne figuraient qu’en petit nombre dans les ballets de cour, surtout prodigues de danses. Cependant, beaucoup de compositeurs, comme Charles Tessier, Pierre Guédron, et plus tard Antoine Boesset, François Richard et Antoine Moulinié, étaient de bons chanteurs. Il y avait aussi d’excellents amateurs, comme Angélique Paulet et le duc de Bellegarde, souvent cités dans les écrits du temps. Mais le premier grand soliste, dont le P. Mersenne (Harmonie universelle, 1636) loue le talent, fut Henri de Bailly (fin du xvie s. - 1637), surintendant de la musique de Louis XIII, qui excellait dans les vocalises improvisées (diminutions) et recherchait plutôt une ornementation décorative qu’un effet purement vocal. Son chant reflétait déjà, pour deux raisons, une tendance esthétique. D’une part la langue française se prêtait moins bien au chant que la langue italienne ; d’autre part le chant d’outre-monts, avec ses grands éclats de voix et son exubérance passionnée, n’était guère apprécié. C’est alors qu’un chanteur amateur, peu chauvin et d’esprit ouvert, Pierre de Nyert (1597-1682), proposa vers 1633 une réforme de la technique vocale — inspirée sans rigueur des méthodes italiennes — dont Bénigne de Bacilly (v. 1625-1690) se fit plus tard (1668) le théoricien. Avec Michel Lambert (v. 1610-1696), excellent chanteur et maître de chant, il contribua à la formation des premiers grands interprètes du règne de Louis XIV : les cantatrices Anne de La Barre (v. 1628 - apr. 1688), hautement estimée de Luigi Rossi, Hilaire Dupuy (1625-1709), Raymon, Saint-Christophle et Cercamanan, et les chanteurs Louis de Golard, sieur du Mesny († v. 1715), François Beaumavielle et Meunier Saint-Elme. On ne connaît alors qu’un seul castrat, Biaise Berthod (v. 1610-1677), dont la voix était fort appréciée, mais auquel on ne ménageait pas les railleries. Dans la tragédie lyrique, Marthe Le Rochois (v. 1650-1728) fut la première à briller d’un incomparable éclat. Elle triompha dans l’opéra de Lully et créa l’Europe galante (1697) de Campra. Au début du xviiie s., elle acheva sa carrière comme professeur de chant, et forma, tandis qu’un vent d’italianisme soufflait sur la musique française, une école de chanteurs, en possession d’une technique plus assouplie. Cependant, si l’on excepte Mlle Maupin, contralto au timbre riche et rare, pour qui Campra écrivit le rôle de Clorinde dans Tancrède (Paris, 1702), c’est dans l’opéra de Rameau que se distingua une nouvelle pléiade d’artistes : Marie Fel (1713-1794), Catherine Lemaure (1704-1786), élève de Marthe Le Rochois, Marie Antier (v. 1687-1747). Marie Pélissier (1707-1749), interprète préférée de l’auteur des Indes galantes, et surtout Pierre Jélyotte (1713-1797), le premier vrai ténor. Dans la seconde moitié du siècle se créa un véritable style français dont les artisans furent, à l’Opéra : Sophie Arnould (1740-1802), créatrice d’Iphigénie en Aulide (1774) et de l’Orfeo (1774, 2e version) de Gluck, Rosalie Levasseur (1749-1826), Antoinette Saint-Huberty (1756-1812), Caroline Branchu, Henri Larrivée (1733-1802) et Joseph Le Gros (1739-1793), et, à l’Opéra-Comique : Marie Justine Favart (1727-1772), Louise Rosalie Lefèvre, dite la Dugazon (1755-1821), mezzo-soprano léger, Jean Biaise Martin (1768-1837), baryton à la tessiture élevée, et Antoine Trial (1755-1821), ténor comique. Ces trois derniers, aux voix typiques, laissèrent leur nom aux rôles de leurs emplois. Après la Révolution, un public plus large s’intéressa aux opéras italiens. Une période faste s’ouvrit alors, où l’on ne comptait plus les belles voix. Marie Cornélie Falcon (1812-1897) fut un éblouissant soprano dramatique au timbre sombre, qui laissa aussi son nom à son type particulier de voix. Il faut aussi citer : Mlle Cinti (Laure Cintie Damoreau, 1801-1863), étoile de l’opéra rossinien, le ténor Adolphe Nourrit (1802-1839), le fort ténor Louis Duprez (1806-1896), Maria de la Felicitad García (1808-1836), dite la Malibran, qui connut une gloire internationale, sa sœur Pauline Viardot (1821-1910), Marie Caroline Miolan-Carvalho (1827-1895), Jean-Baptiste Faure (1830-1914), baryton, Mme Galli-Marié (1840-1905), créatrice de Carmen (1875), Rose Caron (1857-1930), Félia Litvinne (1860-1936), Lucienne Bréval (1869-1935), le ténor belge Ernest Van Dyck (1861-1923), la basse Jean François Delmas (1861-1933), le ténor wagnérien Paul Franz (1876-1950), le contralto Marie Delna (1875-1932), créatrice de Werther (1892), les barytons Lucien Fugère (1848-1935) et Jean Périer (1869-1954) — créateur avec la cantatrice écossaise Mary Garden de Pelléas et Mélisande (1902) —, et, plus près de nous, Lucien Muratore (1879-1954), Claire Croiza (1882-1946), Germaine Lubin, Georges Thill, Ninon Vallin, Lily Pons, soprano coloratur qui fit carrière en Amérique, et Régine Crespin. Jane Bathori et Charles Panzéra se sont surtout consacrés à la mélodie.