Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Capétiens (suite)

Par le biais de la coutume féodale, le roi a d’ailleurs le droit d’intervenir dans les domaines de ses vassaux en de nombreuses circonstances. En cas de déshérence d’un fief, il peut parfaitement, en tant que seigneur suprême, lui désigner un nouveau titulaire. C’est ainsi qu’à la mort du duc Henri Ier de Bourgogne, en 1002, Robert le Pieux se refuse à accepter comme vassal le fils adoptif de ce dernier, Otte Guillaume, qu’il écarte au profit tour à tour de son deuxième fils, Henri, puis du troisième, Robert, dont il impose finalement la désignation aux évêques et aux barons bourguignons au prix, il est vrai, de treize ans de lutte. Par une exploitation analogue du droit féodal, ses successeurs, et notamment Philippe Auguste, exigent que les veuves de leurs vassaux ne puissent se remarier sans leur consentement et que leurs orphelins soient placés réellement sous leur tutelle, ce qui permet notamment à ce dernier souverain d’intervenir efficacement en Champagne.


Extension et amputations du domaine royal

Mais, en fait, l’accroissement de ce domaine est le but ultime de cette exploitation par les souverains de leurs droits de seigneurs suprêmes.

Sans doute cet accroissement est-il réalisé en partie par des procédés qui ne relèvent pas du système féodal, parmi lesquels il faut citer le pariage, le mariage, l’achat et la conquête.

Exploitant la faiblesse politique, économique et (ou) financière de certains petits seigneurs, notamment ecclésiastiques, les Capétiens obtiennent, en effet, souvent de ceux-ci le droit de s’associer à eux pour gérer leur domaine en pariage, remarquable instrument de pénétration royale en terre d’autrui, tel celui qui est conclu en 1226 par Louis VIII avec les moines bénédictins de Saint-André, qui lui cèdent la moitié de leurs droits de justice sur cette localité proche de Villeneuve-lès-Avignon. Procédé plus classique, mais également à terme, d’accroissement de leur domaine, le mariage permet aux Capétiens d’acquérir l’Artois et la Champagne. Apportées en dot à Philippe II Auguste et au futur Philippe IV le Bel par leurs épouses respectives Isabelle de Hainaut (1180) et Jeanne de Navarre (1284), ces deux principautés ne sont, en effet, incorporées définitivement au patrimoine des souverains qu’à l’avènement de leurs fils et successeurs Louis VIII et Louis X le Hutin, c’est-à-dire seulement en 1223 et en 1314.

Leur richesse permet d’ailleurs aux Capétiens d’arrondir plus rapidement, mais plus coûteusement leur domaine en procédant à des achats de terres (Neuville-en-Beine en 1224) ou de principautés entières (le comté de Guînes entre 1281 et 1295).

Quant à la conquête, elle permet également des accroissements rapides du domaine royal, comme en témoigne l’annexion immédiate, par le traité de Paris de 1229, du duché de Narbonne et de l’Albigeois méridional. Mais cette méthode entraîne le plus souvent des acquisitions à terme : tel est le cas des autres terres du comte de Toulouse Raimond VII, qui ne seront incorporées définitivement au patrimoine capétien qu’en 1271, lors de la mort d’Alphonse de Poitiers et de Jeanne de Toulouse, dont le même traité de Paris avait scellé précocement l’union dès 1229.

En fait, ce sont les procédés relevant du système féodal qui ont permis certains des accroissements les plus spectaculaires et les plus immédiats du domaine royal. L’appropriation par le souverain des fiefs tombés en déshérence, tel le comté du Perche sous Louis VIII, est le premier d’entre eux. Mais le plus célèbre est la confiscation des fiefs du vassal félon. Philippe II Auguste a l’habileté de faire prononcer la commise à son profit par la Cour royale, en présence et avec le consentement de ses autres vassaux, d’abord à l’encontre de la comtesse de Ponthieu, puis, en 1201, aux dépens de Jean sans Terre, dont les fiefs peuvent être alors progressivement occupés : la Normandie, la Touraine, le Maine et l’Anjou dès 1204 ; le Poitou en 1224. Et c’est en invoquant la violation du nouveau serment de fidélité prêté par le comte de Flandre Robert de Béthune en 1305, lors de la signature de la paix d’Athis-sur-Orge, que Philippe IV le Bel décide, en 1312, d’annexer définitivement à son domaine les châtellenies wallonnes de Flandre : Lille, Douai et Béthune.

De cette politique d’annexions au domaine royal, il ne faudrait pourtant pas déduire l’idée fausse que les Capétiens envisageaient d’absorber systématiquement dans ce dernier la totalité des terres de leur royaume. Sinon comment expliquerait-on les amputations territoriales dont ce même domaine a été la victime pendant leurs règnes, parfois contre leur gré (usurpations locales), mais le plus souvent de leur propre initiative ? De telles amputations prennent alors la forme de donations à leurs familiers (les Chambly sous Philippe II le Hardi et Philippe IV le Bel ; Enguerrand de Marigny sous ce dernier souverain) ou d’apanages concédés à leurs fils ou à leurs frères, au profit desquels ils constituent ainsi, notamment à partir de Louis VIII, de vastes principautés territoriales qui auraient annulé l’œuvre conquérante de Philippe Auguste si la mort, sans héritier mâle direct de leurs détenteurs, n’avait permis, en général, leur retour rapide au sein du domaine.


Les institutions capétiennes

Ralentie ou non par ces amputations, l’extension territoriale considérable de ce domaine, à l’époque capétienne, s’avère lourde de conséquences.

• Au plan local tout d’abord, car elle nécessite la mise en place d’une organisation administrative nouvelle. Le roi ne peut plus, en effet, se fier aux prévôts, véritables intendants du domaine, ces derniers ayant réussi peu à peu à rendre héréditaire leur charge, qu’ils se préoccupent d’exploiter surtout au mieux de leurs intérêts. Aussi, les Capétiens empruntent-ils aux Plantagenêts, sans doute peu après l’avènement de Philippe II Auguste, une institution fondamentale : celle des baillis. Ceux-ci sont des hommes de l’entourage du roi, auxquels il « baille mission » de gérer son domaine, c’est-à-dire d’en percevoir les revenus, d’y maintenir l’ordre, d’y rendre la justice, d’y convoquer l’ost en son nom. Nommés et révoqués par le souverain, auxquels ils doivent rendre compte à leur sortie de charge, contrôlés à partir du règne de Louis IX par des enquêteurs extraordinaires, ces baillis (ou sénéchaux dans le Centre-Ouest et le Midi) n’exercent leur mission dans un cadre territorial précis qu’à partir du xiiie s., époque vers laquelle le domaine royal est enfin divisé en une vingtaine de circonscriptions.

• Au plan central, les transformations institutionnelles sont d’une égale ampleur, la diversité et la complexité des tâches à assumer par la royauté exigeant une spécialisation progressive de ses agents.