Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
T

Tibet (suite)

Littérature révélée

Elle est abondante, le champ qu’elle recouvre, étendu. C’est, à l’origine, un phénomène uniquement religieux : des textes — tantra, rituels — sont révélés au méditant par les divinités, selon des processus divers. Mais ce phénomène a donné naissance à une forme littéraire originale, les gter-ma, ou « trésors ». Il s’agit de textes qui auraient été cachés au temps de la première diffusion du bouddhisme au Tibet — à l’époque des rois — par Padma Sambhava et ses disciples, ou par Gshen-rab mi-bo et les siens pour les bon-po, afin que des êtres prédestinés les remettent au jour en temps opportun et restaurent ainsi la doctrine chancelante. La critique interne ne permet pas d’ajouter foi à la tradition : il est sûr que les « inventeurs » (gter-ston) des gter-ma en sont aussi sinon les auteurs, du moins les compilateurs. Certaines de ces œuvres représentent d’ailleurs une véritable mosaïque, composée de textes peut-être redécouverts réellement parmi les vestiges des temples et chapelles construits au temps des rois, de passages empruntés aux ouvrages canoniques, d’histoires qui devaient appartenir au folklore. Mais ce qui aurait pu n’être qu’un vaste bric-à-brac a été transformé par le génie de certains gter-ston en des œuvres puissantes où souffle parfois un vent épique. Les plus remarquables sont celles qui mettent en scène la légende du roi Srong-btsan sgam-po (le Maṇi bka’-’bum découvert par Nyang-ral nyi-ma’od-zer, 1124-1192) ; et surtout celles qui forment le cycle de Padma Sambhava : à ce dernier appartiennent entre autres le Padma thang-yig et le Bka’-thang sde-lnga, découverts par O-rgyan gling-pa au xive s. On peut citer aussi l’une des biographies de Gshen-rab mi-bo, le Gzer-myig.


Épopée de Gesar

L’Épopée de Gesar se rattache au genre précédent, en ce sens qu’elle est révélée aussi au barde qui la chante. Mais le milieu dans lequel elle prend naissance, les personnages, le style sont bien différents. Dépendante de la révélation, elle n’est pas finie : récemment, de nouveaux chapitres sont venus s’ajouter à la vingtaine répertoriée jusqu’alors. Répandue dans tout le Tibet, elle a aussi débordé ses frontières (Gilgit, Mongolie, Sikkim). Gesar est le souverain universel, qui réduit les rois des quatre orients. Sur ce thème répandu dans tout l’Extrême-Orient se greffent les différents épisodes des luttes du héros contre ses ennemis humains et non humains. Chaque épisode forme un chapitre, et chaque chapitre représente un ou deux volumes.

La transmission de l’épopée est essentiellement orale, assurée par les bardes ambulants. Chaque barde est détenteur d’un ou deux chapitres, se rattachant à des versions différentes selon les régions. À côté des versions orales circulent aussi des versions écrites. On a vu que la question de l’antériorité des unes par rapport aux autres restait posée. Qu’elles soient écrites ou orales, leur forme reste la même, telle qu’elle a été décrite plus haut : récit en prose, coupé des chants versifiés entonnés par les héros.


Pièces de théâtre

Elles ne se distinguent pas, dans leur forme, des biographies ou récits d’existences antérieures dont elles portent le titre. La tradition tibétaine fait remonter l’origine du théâtre au xve s., mais on ne sait rien sur les représentations de cette époque : seuls sont connus les sujets mis en scène, apparemment plus nombreux que de nos jours, où une douzaine de pièces étaient représentées. Bien que les représentations soient considérées comme un divertissement, le sujet de ces pièces est généralement religieux ou moral, et la représentation elle-même est destinée à réjouir le dieu du sol.

D’un point de vue formel, les pièces de théâtre sont écrites, comme l’épopée et les biographies incluant des chants, avec l’alternance du récitatif en prose et des dialogues versifiés. D’un point de vue littéraire, elles se divisent en deux groupes recoupant les catégories, savante et populaire, que l’on a trouvées dans la prose et la poésie. Dans le premier groupe, on peut ranger une pièce comme Nor-bzang, dans le second des pièces comme ’Gro-ba bzang-mo, Padma ’od-’bar.

Les mêmes sujets sont repris par les conteurs ambulants (ma-ṇi-pa), qui indiquent le déroulement de l’histoire sur une peinture, au fur et à mesure qu’ils la racontent.


Contes, littérature aphoristique et morale

Ils représentent certainement un aspect de la littérature tibétaine originale : on les trouve présents dès les manuscrits de Dunhuang. Ils se développèrent par la suite, au contact des contes et apologues indiens, auxquels ils empruntent parfois le titre et la forme, comme dans le cas des Contes du Vampire (Vetālapañcaviṃśatikā, en tibétain ro-sgrung). Ceux-ci ont gardé du sanskrit le titre et la structure de contes « à tiroirs » (comme les Mille et Une Nuits), mais les histoires sont placées dans un cadre purement tibétain et populaire, comme la langue dans laquelle ils sont rédigés.

De ces contes aussi, on connaît des versions écrites et des versions orales, présentant de nombreuses variantes. Les Tibétains ne font pas de distinction typologique entre les contes et l’épopée, qu’ils appellent du même nom : sgrung.

Ces contes largement répandus, ou les proverbes tout aussi universellement connus, servent souvent de base aux aphorismes moraux relevant de la littérature savante. De tels ouvrages sont attestés dès le xie s., mais le plus célèbre du genre est le Saskya legs-bshad de Sa-skya pandita (1182-1251), qui fut même traduit en mongol.


Littérature populaire

La littérature populaire nous est mal connue, car sa transmission est essentiellement orale. Et, on l’a vu, dès qu’elle est écrite, on se demande dans quelle mesure elle est réellement populaire : c’est le cas des contes, de l’épopée. Mais il existe aussi une veine populaire non écrite, c’est celle des chants : chants alternés des mariages, où le parti d’un des mariés pose une énigme que le parti de l’autre marié doit résoudre ; chants de travail qui accompagnent le labeur quotidien, chants d’amour que garçons et filles chantent aux veillées, chants satiriques allusifs des palabres. Peu de ces chants ont été notés avant l’époque contemporaine. Ceux que l’on connaît permettent de constater que l’on retrouve une fois encore les mêmes procédés stylistiques : vers de sept syllabes, recours au fond commun de métaphores et de proverbes. Une illustration célèbre de ce genre est ce qu’on a appelé les Chants d’amour du sixième dalaï-lama.