Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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sculpture (suite)

Ce sont les États-Unis qui seront les bénéficiaires de cet étouffement de la vie culturelle européenne. Au début du siècle, le cubisme ou l’abstrait ne sont représentés que par des cas isolés. Ainsi Max Weber (1881-1961), avec Rythme en spirale, exécute dès 1915 l’une des premières sculptures cubistes. Vers 1917, Robert Laurent (1890-1970) propose la forme pseudo-abstraite de sa Flamme, puis poursuit une œuvre qui semble bien être le seul écho américain à l’art de Brâncuşi. De même restent méconnues, dans les années 1915-1920, les expériences cubistes de John Storrs (1885-1956), alors que la taille directe de William Zorach (né en Lituanie, 1887-1966), qui va jusqu’à travailler le porphyre, séduit un plus large public. Mais la première grande personnalité de la sculpture américaine est Gaston Lachaise (né en France, 1882-1935), parti pour l’Amérique en 1906. Ses premiers succès sont ses sculptures animalières et ce n’est que longtemps après sa mort que l’on appréciera l’érotisme qui sous-tend son type féminin, à l’anatomie de plus en plus irréaliste : épaules larges, poitrine opulente, taille fine, hanches très évasées. Reprenant de Rodin le motif de l’enlacement amoureux, il le figure avec une violence qui paraissait alors déroutante. Si en 1923 Archipenko gagne les États-Unis, où son rôle de pédagogue sera important, c’est en Europe, à partir de 1926, qu’Alexander Calder* élabore un art abstrait original, qui semble joindre l’ironie poétique de Miró et un cinétisme héritier du constructivisme. Les « stabiles » ne prendront leur essor qu’au cours des années 1940, pour atteindre le monumental au cours des années 1950 et 1960. Mais l’œuvre de Calder, majeure, est à jamais en marge.

David Smith* est certainement la figure la plus importante du renouveau de la sculpture américaine. L’exemple de González et de Picasso révèle à ce fils de forgeron les possibilités artistiques du fer. De 1937 à 1940, il produit une série de « médailles du déshonneur », dont les reliefs en bronze accumulent leur force expressionniste contre les injustices de la société américaine. Dans les années 1940, il utilise de plus en plus systématiquement les techniques de l’acier soudé, qu’il vient de mettre en pratique au service de la défense nationale (qui l’employait dans une usine d’armement). En 1950, Blackburn, chant d’un forgeron irlandais mêle des formes quasi végétales à des schémas géométriques en une espèce de poème spatial, à la fois diaphane et d’une étrange force onirique. Cet assemblage, qui n’est pas sans évoquer les machineries dada développées par Marcel Duchamp sur son « grand verre », va être suivi de constructions plus systématiquement géométriques pour donner naissance, dans les années 1960, à une signalétique monumentale aux volumes strictement parallélépipédiques.

À côté de ces artistes majeurs, la sculpture américaine connaît un fort courant de réalisme quasi photographique, encouragé d’abord par la constitution de nombreux musées d’histoire naturelle qui multiplient les commandes de figures ethnologiques d’Indiens « pris sur le vif ». Après la grande crise, cette sculpture renaît dans des œuvres dont l’expressionnisme a pour objet de dénoncer clairement l’inégalité des classes sociales. Ce renouveau est encouragé par le « Federal Art Project » et ses commandes pour les édifices publics. Puis ce mouvement réaliste disparaît peu à peu au profit d’un art abstrait dans lequel se reconvertissent certains de ses protagonistes, tel un Seymour Lipton (né en 1903). Le courant abstrait, longtemps souterrain, trouve de nouveaux renforts lors de l’émigration européenne consécutive à la montée des fascismes. C’est ainsi que, quatre ans après la fermeture du Bauhaus, Moholy-Nagy ouvre le New Bauhaus à Chicago en 1937 ; le cinétisme, les matériaux nouveaux, l’utilisation des transparences sont ainsi introduits en force aux États-Unis. L’arrivée de Gabo, en 1946, renforcera la tendance.


Depuis 1945 : diffusion et transgression

C’est après la Seconde Guerre mondiale que sont vraiment popularisés les courants les plus novateurs de la sculpture contemporaine. Les succès enfin acquis par les prestigieux initiateurs nés à la fin du xixe s. entraînent une rénovation radicale. Dès lors, la sculpture est ouverte au plus large éclectisme. En France, dès la Libération, Henri Georges Adam* impose le puissant rythme de ses compositions, qui n’empruntent au cubisme qu’un vocabulaire élémentaire de formes géométrisées pour exprimer d’autant mieux les forces de la matière. Zadkine suscite une telle admiration que son atelier devient l’un des plus vivants foyers de la sculpture internationale. Une œuvre toutefois semble dominer toute la production de l’immédiat après-guerre, c’est celle d’Alberto Giacometti*. Ses figures, d’une douloureuse fragilité, écho de celles, horrifiantes, que l’on vient de découvrir dans les camps de concentration, sont aussi celles de cette vie précaire de la matière au moment de sa dissolution dans l’espace. Pathétiques images de l’individu broyé, vivant l’aliénation de son existence, elles semblent l’ultime forme émaciée que puisse prendre la ronde-bosse avant sa disparition totale, son évaporation dans l’espace. On retrouve ce même goût pour les surfaces ravinées, les volumes accidentés dans les œuvres, tout aussi tragiques, de Germaine Richier*, mais cette fois avec une volonté expansive. Tragiques encore les assemblages de pauvres matériaux de Louis Chavignier (1922-1972), que ce soit ces dérisoires « manèges » de loques pétrifiées ou l’excès même de ces projets monumentaux qui voulaient offrir des portes au soleil ; et ces marbres polis, soigneusement descriptifs d’anatomies contraintes, de J. R. Ipousteguy*, qui s’explique ainsi à propos de ce matériau : « Ce qu’il y a d’anachronique dans le marbre, c’est qu’il est naturel. » Tragiques toujours, aux États-Unis, ces environnements* d’Edward Kienholz (v. funk art) ou ces personnages de plâtre de George Segal (né en 1924), à jamais arrêtés dans leurs gestes les plus ordinaires.