bœuf musqué
Le bœuf musqué vivait autrefois en Europe et en Asie au voisinage des hommes préhistoriques. Depuis la fin de la dernière glaciation, il y a environ 12 000 ans, on ne le rencontre plus que dans les régions arctiques du Canada et au Groenland.
Introduction
Ruminant du pliocène qui aurait été le plus ancien parent du bœuf musqué, Boopsis vivait il y a entre 5 et 3 millions d'années dans les steppes d'Asie. Puis de nombreuses formes, aujourd'hui éteintes, sont apparues. Dans tout l'hémisphère Nord, leurs fossiles, qui datent des périodes glaciaires et interglaciaires du quaternaire (entre 3 millions d'années et 20 000 ans), témoignent de cette diversité. L'une d'elles, Praeovibos priscus, probable ancêtre direct du bœuf musqué, avait de longues cornes assez étroites et habitait les steppes périglaciaires d'Eurasie, où le climat était plus clément il y a 450 000 ans. C'est dans ces mêmes steppes qu'est apparu, un peu plus tard, le genre Ovibos, celui du bœuf musqué. Praeovibos était contemporain de l'homme de Tautavel, qui chassait avec des pieux en bois.
Cette coexistence, en Europe occidentale, s'est maintenue jusqu'au début de l'holocène, il y a environ 12 000 ans. Des témoignages de ce passé lointain ont été retrouvés en Suisse, en Allemagne, en Grande-Bretagne et en France notamment. Des figurations pariétales d'âge solutréen (− 17 000 ans) découvertes à Roc de Serres, en Charente, en témoignent, ainsi que des restes archéologiques magdaléniens (représentations picturales, gravures et sculptures sur os, galets gravés...) datés de 10 000 à 12 000 ans, en divers autres sites d'Europe occidentale.
Avec le retrait des glaces vers le nord, à la fin de la dernière glaciation du quaternaire, il semble que le bœuf musqué ait disparu de presque tout le continent eurasiatique. Certains spécialistes pensent cependant que l'espèce s'est maintenue en Sibérie centrale jusqu'à il y a 2 000 ans environ. Mais, bien avant de s'éteindre dans ces contrées, il avait gagné l'Alaska à partir de la Sibérie, il y a 90 000 ans environ, par le détroit de Béring, qui formait alors un pont terrestre entre l'Asie et l'Amérique. À partir de l'Alaska, le bœuf musqué se répand au Canada et dans les îles de l'Arctique jusqu'à la côte orientale du Groenland.
De nos jours, on ne connaît qu'une seule espèce de bœuf musqué, Ovibos moschatus, dont les troupeaux sauvages peuplent les toundras de l'Arctique canadien et du Groenland. Quelques autres populations demeurent, là où elles ont été introduites par l'homme.
La vie du bœuf musqué
Des hardes paisibles et sédentaires
Chez le bœuf musqué, seuls les jeunes mâles et ceux devenus trop vieux pour avoir une harde vivent en solitaires ou s'assemblent parfois, en petits groupes de deux à sept individus. L'ensemble des autres animaux vit en hardes, dont l'unité de base est un groupe comprenant un mâle adulte dominant, ses femelles et les petits de tous âges encore immatures.
La taille des hardes varie suivant le lieu et la saison. À partir d'avril et durant tout l'été, elles dépassent rarement une vingtaine d'animaux (elles ne comptent parfois que quelques individus), mais, à l'approche de l'hiver, dès septembre-octobre, plusieurs petites hardes se réunissent, incorporant également des mâles normalement solitaires. Ces regroupements permettent au bœuf musqué de mieux se protéger des attaques de ses principaux prédateurs, les loups, que le manque de nourriture rend plus agressifs durant les longues nuits arctiques. Il est alors courant de rencontrer des groupes d'une soixantaine de bœufs musqués. Dans des circonstances exceptionnelles, il arrive même que quelque 200 animaux passent l'hiver ensemble.
Les hardes n'ont pas d'organisation stricte, les animaux pouvant passer de l'une à l'autre. Certaines demeurent inchangées pendant plusieurs mois, mais d'autres ne gardent la même formation que quelques jours. Dans chacune d'elles, il existe un ordre social fondé sur l'ancienneté et le sexe : les adultes dominent les jeunes, les mâles dominent les femelles.
Les bœufs musqués sont des sédentaires qui passent toute leur vie dans la même région et n'effectuent pas de grandes migrations, au contraire des caribous. De septembre à juin, les hardes mènent une vie paisible, errant calmement d'un pâturage à l'autre, sans trajet bien défini.
Un seul maître pour une harde
À la fin de juin ou au début de juillet commence la période de rut. Les mâles deviennent agressifs et intolérants les uns envers les autres. Les rixes sont d'abord de simples poursuites qui suffisent à régler les différends. Mais, à mesure que la saison avance, les combats deviennent plus fréquents et plus violents. Lorsque les femelles sont en chaleur, en août, les taureaux consacrent une grande partie de leur temps à se battre bruyamment pour la possession des groupes de femelles, qui, de leur côté, pâturent tranquillement sans s'intéresser à ces joutes. Le vainqueur des combats sera le maître du troupeau, et lui seul s'accouplera avec toutes les femelles.
Duel de taureaux
Duel de taureaux
Avec des meuglements graves, chacun des deux mâles frotte sa glande préorbitale contre sa patte antérieure puis s'approche à pas mesurés, les cornes pointées vers l'autre. Après ce premier face-à-face de menace, les adversaires reculent, balançant la tête de gauche à droite. À quelques dizaines de mètres l'un de l'autre, ils s'observent puis chargent brusquement au galop, se percutant de plein fouet sur la partie centrale des cornes qui amortit la violence du choc. Ils répètent leurs charges jusqu'à ce que l'un d'eux cède.
Des groupes de défense bien organisés
Le principal ennemi du bœuf musqué est le loup blanc de l'Arctique (Canis lupus arctos), qui vit en meute et chasse à deux ou en petites bandes.
Lorsqu'une meute de loups apparaît, les bœufs gagnent un endroit de neige peu profonde ou un terrain élevé et adoptent une formation de défense caractéristique. Les adultes se placent en ligne, flanc contre flanc ; ils pointent leurs cornes vers l'adversaire, faisant un rempart de ces armes redoutables, tandis que les loups approchent. Généralement, les mâles frottent vigoureusement leur glande préorbitale contre leur patte antérieure en signe de menace. Lorsque les loups les entourent, les bœufs se serrent, rapprochant leurs croupes pour faire face de tous côtés. À partir du cercle formé, les adultes, tour à tour, chargent l'ennemi s'il approche trop près, leurs coups de cornes pouvant le transpercer et le tuer.
Les veaux sont blottis contre le flanc de leur mère, car ils sont particulièrement vulnérables. Les loups, en effet, attaquent plus volontiers les jeunes, qu'ils cherchent à isoler. Les taureaux solitaires et les bœufs musqués blessés ou en mauvaise santé sont également vite repérés et harcelés par les loups affamés.
Autres sources de danger
Les bœufs musqués utilisent également cette stratégie lorsqu'ils sont survolés par des avions volant à basse altitude. Mais la panique provoquée par un appareil volant trop bas peut les conduire à rompre leur formation de défense et à s'enfuir au galop. Il arrive malheureusement que des jeunes soient alors piétinés.
En cas de tempête, les bœufs musqués se replient dans une formation triangulaire ; le taureau dominant fait face en première ligne, s'installant dans l'angle le plus exposé, et les jeunes se mettent à l'abri entre les flancs des adultes afin de se protéger du vent.
Une jeunesse pendant l'été arctique
La naissance du petit bœuf musqué a lieu après une gestation de 240 jours environ, entre mi-avril et mi-juin, généralement en mai, lorsque la température avoisine 0 °C. Les femelles mettent bas un petit, parfois deux ; elles sont alors entourées par leur harde. Le veau nouveau-né est très précoce ; il commence à téter quelques minutes après sa naissance et se met à brouter en imitant sa mère une semaine plus tard.
Les jeunes bœufs musqués sont protégés du froid, dès leur naissance, par une épaisse fourrure qui est indispensable à leur survie, surtout pour ceux qui naissent fin avril, quand il fait encore - 20 ou - 30 °C. En revanche, ils supportent mal l'humidité et succombent rapidement d'hypothermie lorsque leur fourrure, mouillée, ne les protège plus du froid.
La maternité ne concerne chaque année que moins de 20 % des femelles. Certaines années de pénurie alimentaire, il arrive qu'il n'y ait aucune naissance. Les femelles vêlent généralement une fois tous les deux ans, mais, si elles sont en bonne condition physiques et que les ressources alimentaires sont suffisantes, elles peuvent avoir un petit par an. Grâce à une bonne protection offerte par la harde et à un allaitement prolongé, le taux de survie des jeunes est assez élevé (sauf s'il s'agit de jumeaux, mais le cas est rare).
Le nouveau-né suit sa mère quelques heures après sa naissance et ne s'écarte pratiquement pas d'elle pendant les premières semaines. En grandissant, il s'éloigne de plus en plus, en restant toutefois dans l'aire fréquentée par la harde. Les bancs de neige et les amas de glace sont ses terrains de jeux favoris. Avec les jeunes veaux de son âge, il galope autour du troupeau et s'amuse à affronter les autres dans des simulacres de combats. À la moindre alerte, il se réfugie précipitamment auprès de sa mère et se blottit entre ses jambes, cachées par les longs poils qui pendent de son ventre. Lorsqu'il atteint sa première année, sa mère tolère de moins en moins sa présence et le chasse souvent à coups de tête quand il veut rester ou revenir trop souvent près d'elle.
Maturité
Les femelles acquièrent leur maturité sexuelle en moyenne entre deux et quatre ans, les mâles à cinq ou six ans. À cet âge, ceux-ci quittent le troupeau pour affronter leurs congénères, ou tentent directement leur chance en défiant le mâle dominant de leur propre harde.
Une cour rituelle et patiente
Une cour rituelle et patiente
Pour faire sa cour, le mâle renouvelle plusieurs fois les mêmes travaux d'approche avant de réussir. Il suit d'abord la femelle la moins craintive, la flaire, lève la tête en reniflant et en retroussant sa lèvre supérieure, se place contre elle et frotte une jambe contre son flanc. Si elle ne s'éloigne pas, il tente une monte. Le plus souvent, elle réagit en faisant quelques pas, ce qui le fait tomber. Il va alors recommencer avec la même femelle, ou avec une autre. En cinq semaines, un taureau a fait 1 300 avances… pour ne s'accoupler que cinq fois !
Comment se nourrir pendant le long hiver
Comme tous les bovidés, le bœuf musqué est végétarien. Son alimentation varie beaucoup selon les saisons et les milieux fréquentés. En hiver, la neige, le gel et la nuit permanente des hautes latitudes ne facilitent pas sa quête de nourriture. Il recherche les endroits où la neige est la moins épaisse : étendues ventées, crêtes, mamelons, pour en gratter le sol avec ses sabots élargis et dégager les plantes. En cette saison, les végétaux ligneux ou semi-ligneux (saules nains, éricacées...) jouent un rôle important dans son alimentation, ainsi que les laîches (ou carex) et les graminées desséchées.
Les hivers humides, qui provoquent d'abondantes chutes de neige, peuvent être catastrophiques pour le bœuf musqué, car l'accès à la nourriture devient alors très difficile. C'est rarement le cas dans les îles de l'Arctique canadien, où les précipitations hivernales sont toujours faibles, mais, sur la côte est du Groenland, il arrive que certains hivers soient plus humides, donc plus neigeux que d'autres. Ces fluctuations climatiques évolueraient selon des cycles de cinquante à soixante ans. Des périodes pluvieuses suivies de gel sont également très préjudiciables, car le sol est alors recouvert d'une croûte glacée rendant la végétation presque inaccessible. En de telles circonstances, les populations de bœufs musqués diminuent fortement.
En été, le dégel et l'allongement des jours provoquent le développement de la végétation boréale. La vie devient alors plus facile : les végétaux sont nombreux et facilement accessibles. En plus des saules arctiques et des laîches, les bœufs musqués consomment diverses graminées, comme des pâturins et des fétuques, et des plantes à fleurs (pédiculaires, épilobes, etc.), des mousses, des lichens. Mais ils ne prisent pas beaucoup la cassiope tétragone, pourtant largement répandue dans la toundra, sans doute à cause de ses substances fortement aromatiques.
Repas, rumination, repos
Pour se nourrir, le bœuf musqué procède comme les bovins domestiques : il enroule sa langue autour des végétaux, qu'il coupe avec les incisives de sa mâchoire inférieure. Une fois sa panse pleine, il s'allonge en un lieu tranquille pour ruminer et se reposer. En été, il cherche souvent les plaques de neige, qui lui procurent un peu de fraîcheur. À cette saison, le cycle d'activité est assez constant : alimentation et repos alternent par phases de deux ou trois heures et sont synchrones pour tous les membres du troupeau. Les hardes se déplacent constamment, au gré des pâturages de la toundra, en suivant les vallées des rivières et les berges des lacs, parcourant parfois, en une semaine, une trentaine de kilomètres. En hiver, elles sont moins mobiles et s'installent sur les secteurs d'alimentation favorables.
Pour tout savoir sur le bœuf musqué
Bœuf musqué (Ovibos moschatus)
Le bœuf musqué est un mammifère de la famille des bovidés, qui regroupe les bœufs, les antilopes, les moutons et les chèvres. Malgré son nom, il est plus proche des deux derniers que du bœuf (il appartient comme eux à la sous-famille des caprinés). Ce caractère intermédiaire est bien indiqué dans son nom latin, ovibos, qui signifie « mouton-bœuf » (tribu des ovibovins, dont il est le seul représentant). L'odeur forte que dégage le mâle en période de rut, quand il s'enduit la patte antérieure de la substance sécrétée par ses glandes préorbitales situées au-dessus des yeux, dans la toison, lui vaut son qualificatif de « musqué », bien qu'il ne possède pas de musc.
Brun sombre presque noir vu de loin, avec le dos et les pattes crème, c'est un animal relativement petit pour son poids (de 200 à 400 kg) : sa hauteur au garrot est de 1,20 m en moyenne. Les bœufs musqués du Groenland et des îles arctiques (sous-espèce wardi) sont plus clairs avec le dos, les pattes et la face plus blancs, légèrement plus petits que ceux du continent canadien (sous-espèce moschatus). Sa forte tête, ses cornes larges, la bosse puissante qu'il a sur les épaules, sa queue très courte, ses oreilles presque invisibles et les longs poils qui pendent jusqu'au sol en cachant ses pattes lui donnent un aspect très massif.
Les poils extérieurs, longs de 50 à 60 cm, protègent une couche plus rase de laine douce, de 5 à 7 cm, qui enveloppe l'animal, excepté ses lèvres et ses naseaux. Sur le museau, blanc, et la partie inférieure des jambes, ce duvet est moins fourni. Sur les épaules, le poil extérieur forme une véritable crinière.
La toison mue vers le début de l'été. La laine se détache lentement, car elle est retenue par les longs poils protecteurs, qui ne partent pas en même temps. Le pelage revêt alors une apparence hirsute et loqueteuse pendant au moins une semaine. Excepté les années où elles mettent bas, les femelles finissent de muer avant les mâles.
Le bœuf musqué a la vue, l'ouïe et l'odorat bien développés. Pendant la saison des amours, les mâles émettent souvent un mugissement sourd et grave, peut-être un défi lancé aux autres taureaux. Les femelles ont un appel semblable, mais d'ordinaire seulement en présence des petits, et les jeunes meuglent, sans doute pour maintenir le contact avec leur mère.
Les dents, à haute couronne, s'usent graduellement avec le broyage des denrées. Chez les bœufs âgés, l'usure rend l'alimentation difficile et peut décider de leur survie à la fin d'un hiver rigoureux.
Les bœufs musqués se déplacent d'ordinaire d'un pas lent et posé, mais peuvent au besoin courir et grimper avec agilité.
BŒUF MUSQUÉ | |
Nom (genre, espèce) : | Ovibos moschatus |
Famille : | Bovidés |
Ordre : | Artiodactyles |
Classe : | Mammifères |
Identification : | Corps massif couvert de très longs poils traînant jusqu'au sol, pas de queue visible, cornes très développées (60 cm), larges à la base avec pointes recourbées vers le haut |
Taille : | De 2 à 2,45 m ; queue : de 0,10 à 0,20 m |
Poids : | De 200 à 400 kg ; femelles plus petites |
Répartition : | Canada (nord et îles arctiques) ; Danemark (Groenland). Introductions : Sibérie, Alaska, Svalbard, Norvège... |
Habitat : | Toundras du haut Arctique |
Régime alimentaire : | Herbivore |
Structure sociale : | Hardes bisexuées, sans territoire fixe ; ou mâles solitaires |
Maturité sexuelle : | 2-4 ans pour la femelle ; 5-6 ans pour le mâle |
Saison de reproduction : | Pendant l'été arctique, en août ; naissances vers avril-juin |
Durée de gestation : | 8 mois en moyenne |
Nombre de jeunes par portée : | 1, parfois 2 |
Longévité : | De 25 à 35 ans |
Effectifs, tendances : | Plus de 60 000 individus ; plutôt en augmentation |
Statut, protection : | Totalement protégé au Canada depuis 1917 et sur la côte est du Groenland depuis 1974. Chasse réglementée |
Signes particuliers
Cornes
Elles sont uniques chez les mammifères à cornes : larges à la base, elles forment un bandeau sur le crâne, puis descendent vers la face sur les côtés, et en arrière des yeux, avant de s'incurver vers l'extérieur pour remonter vers le haut et pointer en avant leur extrémité effilée. Chez la femelle ou le jeune, elles sont tout aussi pointues que chez le mâle, mais moins massives, et sont séparées sur le front par une bande de fourrure. Les cornes du mâle poussent dès la première année et pendant six ans, jusqu'à la taille adulte. La base de chaque corne s'avance sur le front pour former un bandeau pouvant mesurer jusqu'à 10 cm d'épaisseur.
Sabots
Comme tous les ruminants artiodactyles (mammifères à nombre pair de doigts), le bœuf musqué a deux sabots à chaque patte. Leur étui corné large empêche qu'il s'enfonce dans la neige et lui permet de gratter.
Crâne
Les caractéristiques des os du crâne éloignent le bœuf musqué du bœuf domestique, mais le rapprochent du bison. Comme chez ce dernier, les os pariétaux, sur la ligne médiane, ont la moitié de la largeur des frontaux et gardent leur forme et leur taille relatives tout au long de la vie. Les orbites ont un aspect particulier : les parois osseuses des logements oculaires sont grandes et allongées en forme de tube. La proéminence qui est ainsi donnée à l'œil favorise la vision. À la mâchoire supérieure, la gencive, cornée (bourrelet gingival), remplace incisives et canines.
Milieu naturel et écologie
La nécessité de vivre en régions sèches explique la répartition actuelle des bœufs musqués (les toundras de l'Arctique canadien et le Groenland) et l'échec ou le faible succès de certaines tentatives d'introduction dans des pays soumis à une influence océanique trop prononcée (l'Islande et les îles du Spitzberg, par exemple). À quelques exceptions près, le bœuf musqué ne s'adapte pas dans des régions où la température estivale est supérieure à 10 °C ou 12 °C pendant le mois le plus chaud. Les animaux les plus méridionaux se trouvent dans la réserve de faune de Thelon, sur la rive ouest de la baie d'Hudson (Canada), où les eaux de cette vaste baie refroidissent le climat.
Vision nocturne
À cette latitude, le jour le plus long de l'année (21 juin) dure vingt-deux heures, et le jour le plus court (22 décembre) seulement trois heures et demie. À l'extrême nord de l'aire de répartition des bœufs musqués, l'île Ellesmere, le rythme nycthéméral est encore plus extrême : il fait jour en permanence du 10 avril à la fin du mois d'août, et la nuit est constante du 22 octobre au 1er mars. Le bœuf musqué est adapté à de telles conditions : il a une bonne vision nocturne et une excellente acuité visuelle. De plus, la nuit n'est jamais vraiment totale : la neige reflète le peu de lumière dispensée par la lune et les étoiles, de sorte que les animaux n'ont jamais à évoluer dans le noir absolu.
Adapté au grand froid
Les régions arctiques de l'hémisphère Nord fréquentées par ces animaux sont caractérisées par des précipitations annuelles faibles (il pleut moins en certains points de l'Arctique qu'au Sahara), des étés brefs et froids et des hivers longs et très froids. Pour survivre aux rigueurs de cet environnement extrême, il faut lutter contre le froid, bien sûr, mais aussi faire face à la parcimonie des ressources alimentaires terrestres. L'Arctique est un véritable désert froid, où pousse une végétation maigre et clairsemée. On estime que seulement 15 à 20 % de la surface libre de neige est propice au pâturage des mammifères. De plus, la végétation ne peut se développer que pendant deux mois et demi à trois mois. Le reste de l'année, elle est figée par le froid et le gel. Mais le froid lui conserve sa valeur nutritive – comme les congélateurs conservent les aliments – et le manteau neigeux la préserve du dessèchement. Les bœufs musqués de ces régions disposent donc d'un garde-manger hivernal, pourvu qu'ils puissent gratter la neige avec leurs sabots très élargis. Si la couverture neigeuse est épaisse de plusieurs dizaines de centimètres, ils creusent alors un cratère dans lequel ils enfouissent leur tête pour brouter.
Pour se maintenir dans ces contrées, le bœuf musqué a dû développer un certain nombre d'adaptations comportementales, physiologiques et morphologiques. Ainsi, sa fourrure dense et épaisse retient l'air, grâce à sa structure particulière qui accroît la valeur calorifique du pelage en réduisant les déperditions de chaleur du corps. Par - 6 °C de température extérieure, la température au sein de la fourrure atteint + 2 °C.
La conformation générale de son corps permet aussi au bœuf musqué de bien supporter le froid. Ses formes compactes et massives, sa surface réduite comparée à son poids, sa queue petite et cachée dans la fourrure, ses jambes courtes et fortes, son cou épais, sa face arrondie, ses oreilles très peu apparentes parmi les poils, tout cela concourt à conserver la chaleur. De plus, ses mouvements lents et mesurés lui évitent des dépenses inutiles d'énergie.
Problèmes d'humidité et de chaleur
Ce système de chauffage n'est malheureusement efficace que pour lutter contre les froids secs. Par temps pluvieux, la fourrure peut devenir dangereuse. Humidifiée par des pluies prolongées qui la détrempent jusqu'à la bourre, puis gelée par refroidissement brusque de la température, elle ne protège plus l'animal du froid : il souffre d'hypothermie et peut en mourir. Dans les cas extrêmes, le gel peut le surprendre alors qu'il s'est couché mouillé et le retenir prisonnier en collant sa fourrure sur le sol.
En été, si la chaleur est excessive, le bœuf musqué souffre de fréquentes insolations. Ne possédant de glandes sudoripares qu'aux pieds postérieurs, il ne peut évacuer facilement la chaleur. C'est pourquoi il recherche les plaques de neige pour ses périodes de repos.
Le mâle dominant décide de la répartition alimentaire
La structure sociale des bœufs musqués permet également une bonne adaptation à cet environnement hostile. Le regroupement des individus en hardes est bénéfique à double titre : non seulement il permet de mieux résister aux attaques des prédateurs, mais il facilite l'exploitation des ressources alimentaires, inégalement réparties dans l'espace.
Lors d'hivers particulièrement rudes, ces ressources sont souvent insuffisantes pour nourrir tous les membres des hardes, et les mâles adultes, par leur rôle dominant, permettent une régulation de la population. En effet, en s'appropriant les meilleurs emplacements, ils empêchent les jeunes de l'année et les femelles de s'alimenter correctement, d'où un faible taux de survie chez les jeunes et des avortements chez les femelles gravides. Au printemps suivant, le nombre des naissances sera donc très réduit, voire nul.
Si les végétaux sont au contraire abondants, tous les individus peuvent se nourrir normalement : il n'y a pas de compétition entre eux et les relations de dominance sont réduites. La survie hivernale des jeunes sera beaucoup mieux assurée et les naissances seront nombreuses au printemps.
De bonnes dispositions physiologiques
Les bœufs musqués présentent, enfin, un certain nombre d'atouts physiologiques pour compenser les pénuries alimentaires de l'environnement arctique. Les vitamines B nécessaires à leur organisme sont directement synthétisées dans le tube digestif. La flore microbienne présente dans leur intestin assure également une synthèse azotée pour suppléer aux carences qualitatives de leur nourriture. De plus, l'azote ingéré à partir des végétaux consommés est recyclé au maximum dans l'organisme, au lieu d'être évacué en partie dans les urines, comme chez d'autres herbivores.
Enfin, la très longue durée pendant laquelle la femelle peut dispenser du lait à son jeune (un an, ou plus si nécessaire) est un élément favorable pour aider celui-ci à surmonter les moments difficiles pendant l'hiver.
Le bœuf musqué et l'homme
Menacé par le bruit et le stress
Depuis les hommes préhistoriques jusqu'aux Inuits, les matières premières offertes par le bœuf musqué ont abondamment servi. Mais à l'aube du xxe siècle, de nombreux massacres ont eu lieu pour des motifs d'intérêts moins vitaux. Des mesures de protection réglementent aujourd'hui la chasse, mais d'autres dangers contemporains guettent encore ces animaux paisibles.
L'âme inuite du bœuf musqué
Animal essentiel à la vie des Inuits, le bœuf musqué est le héros de nombreuses légendes chez ces conteurs exceptionnels, et beaucoup de poètes indigènes s'en sont inspirés. Les allitérations poétiques et les mimiques des doigts évoquent les rencontres de l'homme et de l'animal, les comportements de celui-ci, les émotions du chasseur...
La tradition inuite veut que le gibier et l'homme soient étroitement liés. Selon ces croyances, l'animal sait qu'il va être tué par l'homme et l'accepte. Chez les peuples de l'ouest de la baie d'Hudson, une vieille légende raconte l'origine d'une chanson de chasseurs : deux bœufs musqués chantaient les beautés de la nature alors qu'ils adoucissaient leur peau, dont ils s'étaient dévêtus. Entendant des aboiements, ils se rhabillèrent prestement et coururent se réfugier sur une colline pour mieux se défendre, mais les chasseurs les tuèrent. Pourtant, ceux-ci se souvinrent de la chanson des bœufs musqués qu'ils avaient entendue, et la firent leur.
L'anthropologue français Robert Gessain explique le rapport particulier qu'entretient le chasseur inuit avec sa proie : « L'homme doit prendre soin de l'âme immortelle de l'animal, lui témoignant respect et reconnaissance, afin que s'accomplisse le cycle naturel de la vie et que cette âme se revête de nouveau de chair et puisse, si elle a été bien traitée, revenir au même chasseur réoffrir son corps. » Cette relation spirituelle entre le chasseur et sa proie est parfaitement exprimée dans cette phrase d'un chaman (prêtre guérisseur), définissant son peuple : « Nous sommes des chasseurs d'âmes. »
Dans certaines sociétés inuites, les femmes des chasseurs remercient le bœuf musqué qui a été tué en chantant et en dansant, lorsque leurs maris rentrent de la chasse.
La culture de ces peuples assimile la conquête de la femme et le succès de la chasse. Ainsi, le gibier est un être féminin que le harpon du chasseur pénètre. De même, le mariage inuit traditionnel est précédé d'un rapt ; il est le symbole de la lutte entre le chasseur et sa proie.
Un gibier qui sent fort le musc
Le premier Européen à observer des bœufs musqués est l'Anglais Henry Kelsey, le 17 juin 1869, au cours d'un voyage à travers l'arrière-pays de la baie d'Hudson, au Canada. Mais celui qui en fait la première description précise est Nicolas Jérémie de La Montagne, Français du Québec en poste à fort Bourbon de 1694 à 1714. Dans un long rapport publié à Amsterdam en 1721, on relève le passage suivant : « Entre deux rivières, il y a une espèce de bœuf que nous nommons bœuf-musquez à cause qu'ils sentent si fort le musc que dans certaine saison, il est impossible d'en manger. »
Pourtant, dans la société des anciens Inuits, le bœuf musqué – ummimak, en inuit, ce qui signifie « celui qui est barbu » – représentait une importante source de nourriture et de matériaux divers. La viande servait à l'alimentation des hommes et des chiens. La peau et la laine étaient utilisées pour la confection de différents vêtements, et les cornes étaient le matériau de base d'un grand nombre d'outils et d'armes. Le bœuf musqué a constitué, pendant des siècles, la principale source de survie des habitants de ces immenses territoires hostiles, avant qu'ils ne s'orientent vers la chasse aux phoques.
Dangers contemporains
Malgré la mise en place des diverses mesures de protection, le bœuf musqué doit encore faire face à de nouveaux dangers. Sa sécurité est, en effet, menacée par la prospection et l'exploitation des ressources arctiques, minières et hydroélectriques notamment. Même la réserve de faune de Thelon (créée en 1927) fait l'objet de pressions de la part des prospecteurs miniers. De plus, l'utilisation croissante de petits avions maniables et d'hélicoptères dans ces vastes régions inhabitées compromet la tranquillité des bœufs sur de vastes surfaces. Les dérangements occasionnés peuvent être considérables et la panique provoque des fuites éperdues, lors desquelles beaucoup de jeunes veaux sont piétines. Quand on connaît le très faible taux de reproduction annuel de l'espèce, on ne peut que s'en inquiéter. Un scientifique canadien, David R. Gray, a montré que, même lorsque les bœufs musqués ne fuient pas au galop au passage d'un avion et qu'ils adoptent leur formation de défense, les conséquences peuvent être également très néfastes pour les animaux, qui ont en effet ensuite du mal à retrouver leur calme. Le stress qui en résulte et la panique peuvent, là aussi, provoquer un taux important de mortalité chez les jeunes.
Chasseurs, explorateurs et scientifiques
Des centaines de bœufs musqués ont été sacrifiés par les explorateurs polaires lors de leurs expéditions au Canada et au Groenland au cours du xixe siècle. Entre 1852 et 1916, plus de 600 bœufs musqués ont été tués sur l'île Melville, entre 1880 et 1917, plus de 1 000 sur l'île Ellesmere, par des explorateurs et des chasseurs de diverses nationalités, afin de nourrir les hommes et les chiens. Il faut ajouter les bœufs musqués victimes des baleiniers, à la recherche eux aussi de viande fraîche pour se nourrir quand ils venaient passer de nombreuses semaines au Groenland pour chasser la baleine.
Mais les bœufs musqués étaient surtout chassés pour leur peau et leur fourrure. Et la réaction des bœufs musqués face au danger, consistant à se regrouper en position de défense, n'a fait que faciliter la tâche des chasseurs lorsque sont apparues les armes à feu.
L'engouement suscité par la fourrure du bœuf musqué a eu des effets dramatiques, provoquant une réduction rapide du nombre et de la répartition des populations. Entre 1862, début du commerce, et 1916, dernière année où la chasse était autorisée, la Compagnie de la baie d'Hudson, au Canada, a vendu plus de 15 000 peaux.
À la fin du xixe siècle, même les scientifiques qui étudiaient les régions polaires n'hésitaient pas à tirer sur les animaux qu'ils rencontraient. La mode était à la collecte d'échantillons pour les besoins de la science, plutôt qu'à leur observation dans leur cadre naturel, et ceci, bien sûr, au détriment de la vie. Par exemple, Alfred Nathorst, un scientifique suédois de renom, tua 25 bœufs musqués entre le 12 juillet et le 26 août 1899, au cours d'un voyage sur la côte est du Groenland.
Devant ces hécatombes, une politique de protection est mise en place au Canada dès 1917. Le tir du bœuf musqué n'est plus autorisé que dans des cas très particuliers et pour des raisons scientifiques. Une réserve spéciale est créée à Thelon, en baie d'Hudson, en 1927. À la suite de ces mesures, les populations de bœufs musqués se sont lentement rétablies, au point que, sur certaines îles, les Inuits sont de nouveau autorisés à pratiquer une chasse limitée. Par ailleurs, le Service canadien de la faune surveille de très près l'état des populations, effectuant des études scientifiques et des dénombrements d'individus par des survols en avion.