August Strindberg
Écrivain suédois (Stockholm 1849-Stockholm 1912).
Une vie
C'est le 22 janvier 1849 que naît Johan August Strindberg, au sein d'une famille déjà nombreuse et qui connaît des moments difficiles. Son père, d'origine bourgeoise, est épicier, puis commissionnaire maritime ; sa mère, issue d'un milieu pauvre, a auparavant servi comme bonne. À sa mort, le jeune August, qui fait preuve d'une sensibilité très vive, est âgé de treize ans. Au sortir du lycée, il commence à l'automne de 1867 des études de médecine à l'université d'Uppsala, mais rentre au printemps de 1868 à Stockholm, où il trouve une place de précepteur : il lui faut gagner sa vie. L'année suivante, il se découvre une vocation d'auteur dramatique et renonce à la carrière médicale. Deux autres séjours à Uppsala, en 1870 et en 1871, ne lui rapportent aucun titre universitaire. À partir de 1872, Strindberg s'établit à Stockholm, où il est employé comme journaliste. En décembre 1874, il est nommé assistant à la Bibliothèque royale et le sera jusqu'en 1882.
Il fait la connaissance et tombe amoureux de Siri von Essen (1850-1912), baronne Wrangel, en 1875. Après avoir obtenu le divorce, celle-ci fait ses débuts au théâtre ; Strindberg l'épouse le 30 décembre 1877. Les premières années de mariage sont heureuses ; Strindberg a deux filles, Karin et Greta. Son premier grand drame, Maître Olof (1872), dont il écrit une seconde version en vers en 1876, et surtout le roman de critique sociale la Chambre rouge (1879) lui ont apporté la célébrité. Mais les critiques ne se font pas faute de l'attaquer, et bientôt sa susceptibilité maladive le force à fuir la Suède, brisant ainsi la carrière dramatique de sa femme. En 1883, Strindberg part pour la France avec sa famille ; l'année suivante, il s'installe en Suisse, où naît un fils : Hans. La parution de la première partie de Mariés (1884) lui attire un procès, et il doit se rendre à Stockholm, incident qui le laisse empreint d'une profonde amertume. Il vient s'établir au Danemark en 1887, où il vit avec sa famille dans des conditions économiques de plus en plus précaires, et il rentre en Suède en 1889, dans un climat de folie et de discorde : le divorce sera finalement prononcé en 1891.
La production littéraire de Strindberg s'intensifie : autobiographie, qu'il intitule le Fils de la servante (1886) ; romans, parmi lesquels Gens de Hemsö (1887) et Au bord de la mer (1890) ; théâtre, avec les grands drames naturalistes : le Père (1887), Mademoiselle Julie (1888) et Créanciers (1888).
En septembre 1892, Strindberg part pour Berlin, où il rencontre Frida Uhl (1872-1943), journaliste autrichienne de vingt et un ans. Ils se marient au mois de mai 1893 à Helgoland et font un voyage de noces en Angleterre. Puis ils séjournent en Allemagne et en Autriche. Une petite fille, Kerstin, naît de leur union. En août 1894, Strindberg vient à Paris et sombre de nouveau dans la misère et la folie. Sa femme rompt avec lui, mais ce n'est qu'en 1897 que sera acquis le divorce.
Pendant son séjour à Paris, Strindberg entre dans la période de crises qu'il décrira dans Inferno (1897) : cinq crises de névrose de juillet 1894 à novembre 1896. Il revient ensuite en Suède et, après un bref voyage en Autriche, s'installe à Lund, où il restera jusqu'en 1899.
Sa production littéraire s'est renouvelée : les trois parties du drame allégorique intitulé le Chemin de Damas (1899-1904) sont surprenantes. Mais Strindberg se tourne essentiellement vers les drames historiques, dont le plus célèbre est sans conteste Gustave Vasa (1899).
En 1899, il a cinquante ans : la prospérité lui est enfin revenue, et il peut définitivement venir vivre à Stockholm. Il s'éprend d'une jeune actrice norvégienne, Harriet Bosse, qu'il épouse le 6 mai 1901. Mais leur bonheur est de courte durée, malgré la naissance d'une fille, Anne-Marie, l'année suivante. Ils divorcent en 1904.
Solitaire une fois encore, Strindberg rédige non sans fureur Drapeaux noirs (1904), puis monte en 1907 son Théâtre-Intime (Kammarspel), ce dont il rêvait depuis longtemps. Il meurt le 14 mai 1912.
L'œuvre autobiographique
La vie et l'œuvre de Strindberg ne font qu'un : toute sa création artistique est, pour ainsi dire, une confession. Mais l'écrivain dépeint en outre une bonne part de son existence dans une série d'ouvrages qui, réunis, constituent une autobiographie unique dans l'histoire de la littérature suédoise.
C'est à partir de 1886 qu'il en compose les quatre premiers livres : le Fils de la servante, Fermentation, Dans la chambre rouge et l'Écrivain. Il se fait le disciple de Rousseau, présente le contexte social de son évolution, mais insiste davantage sur la réalité psychologique : le premier volume porte un sous-titre révélateur, « Histoire du développement d'une âme ». Voyage par contrainte (1885) décrit le procès de Mariés : Strindberg s'en prend à divers critiques et aux féministes. Il réunit sous le nom de Lui et elle les lettres qu'il a adressées à sa future épouse, Siri von Essen, en 1875-1876. D'un tout autre ton sont les attaques qu'il lui lance en 1887 dans le Plaidoyer d'un fou, rédigé en français ; on y trouve la première expression de sa misogynie, sentiment d'ailleurs doublé d'une sorte de vénération pour la femme idéalisée. Également écrit et publié en français, Inferno (1897) est le récit que l'écrivain donne lui-même de ses douloureuses expériences psychiques qui l'ont mené au bord de la folie. Délire de la persécution, sentiment de culpabilité, heurts entre le rêve et la réalité, tout un bouillonnement de pensées l'ont agité dans cette période de crises, traversée de contradictions, d'angoisses et de souffrances. Légendes (1898) et le Combat de Jacob (1898) font suite à Inferno et exposent les mêmes épreuves : ses visions l'entraînent sur le chemin de la religion, il satisfait son besoin de surnaturel par la lecture de Swedenborg, participe aux recherches des occultistes, et le catholicisme l'attire pour un temps. Mais Strindberg finira par adopter, en matière religieuse, une position modérée de tolérance. Le Deuxième Récit du Maître de quarantaine, qui fait partie de Baie de beauté, détroit de honte (1902), est l'histoire à peine romancée de son mariage avec Frida Uhl, tel qu'il le voit après Inferno et quatre ans de séparation. Enfin, dans Seul (1903), Strindberg raconte la vie solitaire qu'il mène à Stockholm et dans l'archipel, avant son troisième mariage.
Romans et nouvelles
S'il est avant tout dramaturge, sa production romanesque n'en est pas moins considérable. Ses romans et nouvelles lui ont permis d'exprimer ses idées, ses sentiments et ses griefs, et sont tout aussi bien le miroir de sa personnalité.
Parmi ses premiers écrits, la Saga d'Ån Bogsveig (1871) est un court récit tiré d'une vieille légende scandinave ; Fjärdingen et Svartbäcken (1877) est un recueil de nouvelles qui, nommé d'après deux quartiers d'Uppsala, évoque la vie à l'université. Mais le génie de Strindberg se révèle dans son premier grand roman, la Chambre rouge (1879), où l'auteur s'attaque aux divers milieux de la société de Stockholm et fait une critique sévère des institutions. Cet ouvrage brillant, à la manière naturaliste, étonnamment riche et varié, est suivi d'un Épilogue (1882), qui contraste par son optimisme. Avec le Nouveau Royaume (1882), Strindberg poursuit sa critique sociale osée, impitoyable et se moque presque ouvertement de ses propres adversaires. Au même moment, il commence à rédiger ses Destinées et contes suédois (1882-1894) ; il y met à profit son goût pour l'histoire et donne à chaque épisode dramatique la tournure personnelle de son style.
Dans les nouvelles groupées sous le titre de Mariés (première partie, 1884), il réagit vivement contre le mouvement d'émancipation féminine : la femme idéale est l'épouse et la mère. Et c'est pour avoir ridiculisé dans un des récits le dogme de la communion de l'Église suédoise qu'il est l'objet de poursuites judiciaires. La seconde partie de Mariés (1886) est précédée d'une préface virulente où s'affirme encore davantage sa polémique antiféministe. Cependant, les nouvelles intitulées Utopies dans la réalité (1884-1885) sont la première expression littéraire de son socialisme. Au sein des Vivisections, qui sont des articles, des essais, des esquisses, il faut retenir le Combat des cerveaux (1887), qui évoque le pouvoir de suggestion que peut exercer un cerveau plus fort sur les autres, comme c'est le cas en politique, en littérature, en religion.
Strindberg prend pour cadre l'archipel de Stockholm et la vie des paysans dans Gens de Hemsö (1887), roman d'un humour tendre, aux peintures réalistes, et Gens de l'archipel (1888), recueil de nouvelles d'un style sobre, aux personnages bien campés. Puis sa pensée évolue dans le sens de la philosophie de Nietzsche : une nouvelle, Tschandala (1888), a pour héros le surhomme intellectuel dont rêve maintenant l'auteur. Et ce même idéal se retrouve dans le roman Au bord de la mer (1890), où se dresse le personnage aussi grandiose que méprisable de l'inspecteur Borg. Le Marais d'argent, enfin, nouvelle conçue dès 1890, mais terminée huit ans plus tard, reflète par sa psychologie et les descriptions l'âme tourmentée de l'auteur.
Après Inferno, Strindberg renouvelle ses thèmes ou la façon de les traiter, et sa production dramatique l'emporte d'ailleurs. Un ouvrage intitulé Baie de beauté, détroit de honte (1902) comprend nouvelles et récits de valeur sans doute inégale, mais empreints de symbolisme et de mystère. Les Contes (1903) sont de petits récits pleins de lyrisme écrits dans le style de H. C. Andersen. Un nouveau désir de critique sociale porte Strindberg à écrire les Chambres gothiques (1904), mais ce roman, qui se borne à reprendre des idées déjà exprimées, est mal accueilli par la critique. Strindberg rédige alors Drapeaux noirs (1904), roman au titre symbolique d'une tout autre portée, témoignage d'une haine démesurée et d'une indignation sans bornes. Le livre n'est pas publié avant 1907 à cause du scandale possible, mais il reste un des chefs-d'œuvre de Strindberg. Celui-ci compose ensuite ses Miniatures historiques (1905), récits qui prennent leurs sujets dans l'histoire, depuis l'Égypte ancienne jusqu'à la Révolution française, et Nouvelles Destinées suédoises (1906), où il concentre son effort sur la présentation de grands personnages. Deux nouvelles, enfin, s'imposent par leur modernisme : le Couronnement de la maison (1906) et le Bouc émissaire (1907) ; dans la première, l'auteur se sert du délire traumatique et, sous forme de monologue, fonde son récit (qui passe du rêve à la réalité) sur des expériences vécues ; la seconde, centrée autour des deux personnages principaux, est remarquable par la subtilité des analyses psychologiques, pourtant très dépouillées.
Une œuvre multiple
En marge des romans et des nouvelles, Strindberg est l'auteur de nombreux autres ouvrages en prose. Sa passion pour l'histoire lui fait publier le Vieux Stockholm (1880-1882) et l'Histoire du peuple suédois (1881-1882). Il cherche à montrer que l'histoire d'un pays est celle de tout son peuple et non seulement celle des rois et des grands, et il va à l'encontre des méthodes suédoises traditionnelles. Citons par ailleurs la série d'articles intitulés la Mystique de l'histoire universelle (1903). Strindberg recueille le fruit de ses investigations scientifiques dans plusieurs volumes de chimie, de botanique et de sciences occultes. Auteur d'innombrables articles, Semblable et différent (1884) et les Vivisections (1887) notamment, il poursuit son activité de journaliste jusqu'à la fin de sa vie, faisant paraître Discours à la nation suédoise, l'État populaire et la Renaissance religieuse (réunis en 1910).
Ses Pantomimes de la rue (1883) sont de petits croquis impressionnistes ; ses Poèmes en vers et en prose (1883) inaugurent un style entièrement libre, presque révolutionnaire ; ses Nuits d'un somnambule (1884) sont une introspection sous la forme poétique ; ses Jeux de mots et arts mineurs (1905) sont de merveilleux poèmes lyriques où abondent descriptions, impressions et pensées.
Avec Un livre bleu (1907-1912), Strindberg s'efforce, en premier lieu, d'apporter un commentaire à Drapeaux noirs ; il s'agit d'essais, souvent amers ou pessimistes, écrits jour après jour et publiés tels quels, qui montrent combien l'humeur ou l'opinion de l'auteur peut être changeante.
L'œuvre dramatique
Toutefois, la place de choix qu'occupe Strindberg dans la littérature mondiale est due avant tout au théâtre. Son œuvre dramatique, d'une importance considérable, ne comprend pas moins d'une soixantaine de pièces.
C'est avec une tragédie antique, en vers ïambiques non rimés, Hermione (1869), que Strindberg fait ses premiers essais, couronnés par une mention de l'Académie suédoise, seule distinction qui lui soit d'ailleurs jamais accordée. Une comédie, le Libre Penseur (1869), est déjà caractéristique de la manière dont il transpose ses expériences personnelles. Deux pièces en un acte, l'une intitulée À Rome (1870) et l'autre le Banni (1871), pour laquelle il puise aux sources islandaises, sont jouées au Théâtre dramatique de Stockholm.
Le premier chef-d'œuvre de l'écrivain, trop audacieux pour l'époque, ne connaît pas de succès immédiat : Maître Olof (1872), drame en prose consacré à Olaus Petri, le grand réformateur suédois, pose le problème de la vocation, mais en termes différents de ceux de Brand d'Ibsen. Strindberg rédige en vers libres rimés une seconde version de Maître Olof (1876), plus philosophique, mais mieux adaptée à la scène : elle sera jouée au Nouveau Théâtre en 1881. L'Année quarante-huit (1875) est une comédie politique sans grande envergure ; par contre, le Secret de la guilde (1880), tragédie dont l'action se déroule au Moyen Âge, célèbre la foi et dénigre le doute. Le Voyage de Pierre-l'Heureux (1881) est à mi-chemin entre le conte et la légende : tout le mérite en est une ironie tantôt bouffonne et tantôt plus mordante. Dans la Femme du chevalier Bengt (1882), l'écrivain déchire le voile romantique qui enveloppe l'idée que la femme se fait du mariage, marquant au théâtre le début de son opposition à l'idéologie d'Ibsen.
Après ces trois pièces en l'honneur de l'amour, qui reflètent le bonheur conjugal éphémère de Strindberg, paraissent coup sur coup, de 1886 à 1888, quatre drames naturalistes.
Le premier, Maraudeurs (1886), qui deviendra par la suite les Camarades (1888), marque essentiellement l'évolution de Strindberg vers le naturalisme psychologique ; l'écrivain forme et développe sa nouvelle conception du théâtre, s'en tenant à l'esthétique et à la force dramatique. Le thème en est naturellement le féminisme ; il s'agit de la lutte entre deux époux, Axel et Bertha ; celle-ci compte faire du mariage une camaraderie et vit de « maraude », de ruse et d'intrigue.
C'est de même un conflit conjugal qui est exposé dans le Père (1887) ; le capitaine et sa femme, Laura, en désaccord au sujet de l'éducation qu'il faut donner à leur fille, deviennent les pires ennemis, et Laura réussit à ébranler, puis à détruire l'équilibre mental de son mari avec beaucoup de perfidie. Mais ce n'est plus une pièce à thèse, comme la précédente, et Strindberg y observe rigoureusement l'unité d'action et d'intérêt.
Il simplifie encore davantage quand il écrit Mademoiselle Julie (1888), drame en un acte, véritable chef-d'œuvre du théâtre européen, qu'il analyse lui-même dans un avant-propos tout en exposant ses intentions dramatiques. Pendant la nuit de la Saint-Jean, la fille du comte, absent, se donne au valet de chambre de son père ; elle est ensuite amenée à se suicider. On trouve à la fois dans ce drame la tension entre l'homme et la femme et la confrontation de deux classes sociales. Strindberg y est influencé par les idées de Nietzsche et de Darwin.
Enfin, Créanciers (1888) est sans doute encore plus près de son idéal d'un drame bref et concentré, et la lutte, presque exclusivement psychologique, illustre l'exploitation du mari actuel, Adolf, par sa femme, Tekla, sous l'œil vindicatif du premier mari, Gustav. Celui-ci, trompé et ridiculisé, a une « créance » de revanche sur Tekla et sur Adolf, l'autre « créancier », qui, lui, n'aura de délivrance que dans la mort.
Strindberg pousse sa nouvelle « formule » à l'extrême dans trois courtes scènes : Paria, la Plus Forte et Simoun (1888-1890). Puis, après une seconde légende dramatique intitulée les Clés du ciel (1892), où la fiction est empreinte de satire et de poésie, il écrit six pièces en un acte d'un naturalisme plus conventionnel (1892-1893) : Doit et avoir prouve sa conception cynique de la vie ; Premier Avertissement a pour sujet la jalousie ; Devant la mort porte à la scène l'ingratitude de trois filles envers leur père ; Amour maternel traite du sort réservé à la fille d'une courtisane ; Il ne faut pas jouer avec le feu a pour intrigue des infidélités ; le Lien reproduit l'instance en divorce de l'auteur, soulignant sa désillusion conjugale.
Après les crises d'Inferno, l'écrivain publie le Chemin de Damas, trilogie dont les deux premières parties datent de 1898 et la troisième de 1904. Abandonnant la forme dramatique traditionnelle, Strindberg s'emploie à « jeter un pont entre le naturalisme et le super-naturalisme » : en fait, il use d'un symbolisme éclatant dans toutes ses interprétations, et l'élément naturaliste n'est plus que le fond réel de son passé. Il n'y a, dans la pièce, qu'un seul héros, l'Inconnu, c'est-à-dire Strindberg lui-même, et l'action se joue en lui, dans son esprit halluciné. Temps, espace, rêve et réalité sont étrangement mêlés, alors que l'Inconnu parcourt les étapes d'un voyage qui doit le mener au repos intérieur.
Deux drames réunis sous le titre de Au tribunal suprême (1899) sont aussi pénétrés de mysticisme. L'Avent est à l'image d'un mystère moyenâgeux, inspiré de Swedenborg – le symbole y est celui de l'espérance –, tandis que Crime et crime est un drame moderne qui traite des conséquences funestes que peuvent entraîner des souhaits malveillants : ce n'est pas un crime qui soit l'affaire des tribunaux terrestres, et Strindberg introduit dans la pièce le motif de la pénitence, le droit de se punir soi-même.
L'Avent est la première pièce d'un cycle des « fêtes de l'année » qui en comprend trois autres, datant toutes de 1900 : Pâques, qui met en valeur la souffrance et évoque des vertus surnaturelles ; le Mardi gras de Guignol, où des marionnettes jouent d'une manière schématique des aventures de l'auteur ; la Saint-Jean, dans laquelle un étudiant trop arrogant subit mésaventures et humiliations.
Bien différent, le drame intitulé la Danse de mort (1901) rejoint le théâtre naturaliste des années 1880 et reprend le thème du vampirisme, mais avec un élément de mystère et de surnaturel. C'est la lutte éternelle du couple : le capitaine et Alice, après vingt-cinq ans de mariage, se trouvent attachés l'un à l'autre par la haine qui naît de l'amour, et seule la mort pourra défaire ces liens.
Trois drames sont publiés en 1902. La Mariée parée d'une couronne, avec pour décor la Dalécarlie, abonde de merveilleux ; la religiosité paysanne qui en émane va dans le sens de la pénitence acceptée et de la purification. Blanche-comme-cygne est une pièce à la gloire de l'amour : « au pays des rêves », l'amour d'un prince et d'une princesse triomphe de tous les obstacles. Cet optimisme reflète le bonheur des premiers mois du troisième mariage de Strindberg. Le Songe, enfin, est inspiré de la philosophie bouddhique ; le monde n'est qu'illusion et les souffrances sont libératrices, telle est la conception esquissée dans la pièce, qui ne comporte aucune intrigue, mais des épisodes se succédant comme dans un rêve, avec des personnages et un décor dépourvus de toute consistance. Le Songe est une pièce curieuse, sans doute la plus originale de toute l'œuvre de l'écrivain.
Dès 1899, Strindberg se met à composer, avec une fécondité étonnante, la série des drames historiques, dans lesquels la peinture des personnages et l'action sont peut-être plus vivantes que dans ses autres œuvres, la personne de l'auteur s'effaçant devant les héros qu'il fait revivre. Le premier drame, la Saga des Folkungs (1899), met en scène le roi Magnus, dernier de la dynastie des Folkungs, qui règne en Suède aux xiiie-xive s., et traite du problème du mal et de l'expiation. Le drame suivant, Gustave Vasa (1899), bâti autour d'un souverain qui sacrifie tout à la mission qu'il s'est donnée, s'achève sur l'ampleur de son succès ; Gustave Vasa a organisé l'État, fondé une dynastie et fait adopter la Réforme. Dans Eric XIV (1899) apparaît son fils, qui lui succède, mais qui, détrôné, finit ses jours en prison. Psychologie et politique alternent tout au long du drame. Avec Gustave Adolphe (1900), Strindberg retrace l'épopée de la guerre de Trente Ans et esquisse le destin tragique du roi, absorbé dans une tâche qui se définit au niveau de l'« histoire universelle ». Engelbrekt (1901) évoque la période de l'Union scandinave, confirmée à Kalmar (1397), et montre un héros qui doit renoncer à un idéal sans, toutefois, en être récompensé. Dans Charles XII (1901), au contraire, les entreprises guerrières du héros menacent de ruiner le pays. La Reine Christine (1903) dépeint la femme trop intellectuelle et trop égoïste, qui se désintéresse de sa vraie mission de reine, et Gustave III (1903) est l'histoire du complot ourdi contre le despote éclairé. Pour le Rossignol de Wittenberg (1903), Strindberg s'inspire de la vie de Luther et s'efforce de dégager des faits et des existences individuelles une valeur universelle de symbole. Le Dernier Chevalier et l'Administrateur du royaume, écrits en 1908, ont pour cadre la période qui précède l'avènement de Gustave Vasa, tandis que le Jarl de Bjälbo (1909) se situe au début du règne des Folkungs.
Cependant, avec l'aide d'un jeune directeur audacieux, August Falck, Strindberg crée le Théâtre-Intime, dont la séance inaugurale a lieu le 26 novembre 1907. Son dessein est de transposer au théâtre les atouts de la musique de chambre (comme il l'explique dans le Mémoire aux membres du Théâtre-Intime de la part du régisseur, adressé aux acteurs en 1908). Devant un public limité, Strindberg veut un jeu de scène concis, dans un décor simplifié, où la valeur symbolique des objets a un caractère suggestif. Il écrit lui-même pour ce théâtre quatre « pièces intimes » qui ont en commun le thème de l'illusion, du mensonge qui entoure la réalité, du sommeil qui engourdit les sens. Dans Orage, le passé du héros, un vieillard solitaire, resurgit devant lui et menace son repos ; mais l'orage passe sans éclater. La Maison brûlée dévoile les secrets honteux qui, à la suite d'un incendie, ne peuvent plus rester dans l'ombre : la prétendue respectabilité n'était faite que de mensonges et de délits. La Sonate des spectres mêle à la réalité un monde fantastique ; l'intrigue a la consistance d'un cauchemar dans lequel les personnages sont mis à nu et leurs crimes révélés un à un jusqu'à épuisement. Cette pièce fascinante possède toutes les qualités de l'art dramatique, mais elle est pourtant loin des conventions habituelles. Le Pélican, enfin, est d'un pessimisme non moins violent ; l'auteur y reprend le thème de l'enfance malheureuse et celui de l'épouse et de la mère indigne.
Strindberg écrit encore deux légendes dramatiques : l'une, intitulée le Gant noir (1909), est un conte de Noël qui rappelle la manière de Dickens ; l'autre, les Babouches d'Abou Kassem (1908), emprunte des motifs orientaux aux Mille et Une Nuits. Son dernier drame, la Grand-Route (1909), se compose de tableaux dont chacun représente une halte au cours du voyage qu'entreprend le héros, le Chasseur, qui n'est autre que Strindberg, vieilli, indépendant, assailli par les souvenirs.
L'œuvre d'A. Strindberg
L'ŒUVRE D'AUGUST STRINDBERG | |
Théâtre | |
1869 | Hermione. |
1870 | À Rome. |
1871 | Le Banni. |
1872 | Maître Olof (drame en prose). |
1875 | L'Année quarante-huit. |
1876 | Maître Olof (drame en vers). |
1880 | Le Secret de la guilde. |
1881 | Le Voyage de Pierre-l'Heureux. |
1882 | La Femme du chevalier Bengt. |
1886-1888 | Maraudeurs. |
1887 | Le Père. |
1888 | Mademoiselle Julie. |
1888-1890 | Paria. |
1892 | Les Clés du ciel. |
1892-1893 | Doit et avoir. |
1898 | L'Avent. Le Chemin de Damas (I-II). |
1899 | Crime et crime. |
1900 | Gustave Adolphe. |
1901 | La Danse de mort. |
1902 | La Mariée parée d'une couronne. |
1903 | La Reine Christine. |
1904 | Le Chemin de Damas (III). |
1907 | Orage. |
1908 | Les Babouches d'Abou Kassem. |
1909 | Le Jarl de Bjälbo. |
Romans et nouvelles | |
1871 | La Saga d'Ån Bogsveig. |
1877 | Fjärdingen et Svartbäcken. |
1879 | La Chambre rouge. |
1882 | Épilogue à la Chambre rouge. |
1882-1894 | Destinées et contes suédois. |
1884-1885 | Utopies dans la réalité. |
1884-1886 | Mariés (I-II). |
1887 | Le Combat des cerveaux. |
1888 | Tschandala. |
1890 | Au bord de la mer (ou Axel Borg). |
1892-1898 | Le Marais d'argent. |
1902 | Baie de beauté, détroit de honte. |
1903 | Contes. |
1904 | Les Chambres gothiques. |
1905 | Miniatures historiques. |
1905-1906 | Nouvelles Destinées suédoises. |
1906 | Le Couronnement de la maison. |
1906-1907 | Le Bouc émissaire. |
Autobiographie | |
1875-1876 | Lui et elle. |
1885 | Voyage par contrainte. |
1886 | Le Fils de la servante. |
1886-1887 | Dans la chambre rouge |
1886-1909 | L'Écrivain. |
1887 | Le Plaidoyer d'un fou. |
1897 | Inferno. |
1897-1898 | Légendes. |
1898 | Le Combat de Jacob. |
1902 | Le Deuxième Récit du Maître de quarantaine. |
1903 | Seul. |
Œuvres diverses | |
1880-1882 | Le Vieux Stockholm. |
1881-1882 | Histoire du peuple suédois. |
1883 | Pantomimes de la rue. |
1884 | Nuits d'un somnambule. |
1887 | Les Vivisections. |
1903 | La Mystique de l'histoire universelle. |
1905 | Jeux de mots et arts mineurs. |
1907-1912 | Un livre bleu. |
1908 | Mémoire aux membres du Théâtre-Intime de la part du régisseur. |
1909 | Discours à la nation suédoise |
1910 | L'État populaire. |