Joseph Alois Schumpeter
Économiste autrichien (Třešt', Moravie, 1883-Salisbury, Connecticut, 1950).
Idéologue de l’entreprise et de l’entrepreneur, Joseph Schumpeter plaça l’innovation au cœur de la stratégie industrielle. Sa réflexion sur l’évolution du capitalisme l’a également conduit à devenir le théoricien des cycles économiques.
L'universitaire prestigieux
Orphelin de père à 4 ans, Joseph Schumpeter est élevé aux côtés d’un beau-père qui lui inculque une éducation aristocratique. Après ses études supérieures à Vienne (droit et économie), il est nommé professeur à l’université de Czernowitz (aujourd’hui Tchernivtsi, en Ukraine) en 1909, puis à celle de Graz (1911-1919). En 1912, sa Théorie de l’évolution économique asseoit sa notoriété. En 1919, il fait une brève carrière politique comme ministre des Finances, puis il dirige une grande banque privée, qui fera faillite en 1924. Il renoue alors avec l’enseignement universitaire, d’abord à Bonn à partir de 1925, puis à Harvard de 1932 à sa mort. Business Cycles date de 1939 ; Capitalisme, socialisme et démocratie, de 1942. Son Histoire de l’analyse économique ne sera publiée qu’en 1954.
Le rôle moteur de l'innovation
Venu à l’analyse économique sous l’influence des théoriciens néoclassiques de l’école de Vienne (Carl Menger), eux-mêmes proches de l’école de Lausanne (Léon Walras), Joseph Schumpeter oriente sa réflexion vers l’étude du capitalisme, les fonctions de l’entrepreneur et l’interprétation des cycles économiques. L’innovation, définie comme la capacité pour l’entrepreneur à mettre en œuvre de nouvelles « combinaisons » dans le processus de production, est une notion dont il souligne l’importance dès sa Théorie de l’évolution économique.
L’innovation peut revêtir cinq formes différentes, qui sont :
– la fabrication d’un bien nouveau (ou la transformation d’un produit existant, auquel on incorpore une qualité nouvelle) ;
– l’introduction d’une nouvelle méthode de production (ou le lancement d’un nouveau procédé commercial, dont l’exemple type est le grand magasin) ;
– l’ouverture d’un nouveau débouché ;
– la conquête d’une nouvelle source de matières premières ;
– l’instauration d’une nouvelle organisation productive (comme la production en série dans les usines d’Henry Ford).
Une innovation n’apparaît jamais de façon isolée ; elle appartient à un groupe, que Schumpeter appelle une « grappe d’innovations ». La rémunération de l’effort dont elle est le résultat est le profit. Ce dernier récompense l’entrepreneur qui « nage contre le courant », selon sa célèbre formule – c’est-à-dire celui qui réussit en brisant la routine.
Le capitalisme en question ?
Pour Schumpeter, le capitalisme est un système économique par nature dynamique. L’innovation y est un phénomène de « destruction créatrice », parce qu’elle est facteur de croissance mais aussi facteur de crise (que matérialisent les fermetures d’usines, génératrices de chômage). À ce titre, Schumpeter est considéré comme le théoricien des cycles économiques, qui surviennent en fonction de l’émergence puis de l’absorption des vagues d’innovations. Dans Business Cycles, il analyse les mouvements des cycles longs, dont la conception est due à l’économiste russe Kondratiev, en constatant les effets de l’innovation sur la croissance à long terme des économies occidentales. Les crises constituent alors le prix à payer pour bénéficier de la prospérité future.
On est loin des perspectives néoclassiques d’autorégulation de l’économie par les forces du marché. Schumpeter a une vision pessimiste de l’avenir du capitalisme. Selon lui, l’entrepreneur-propriétaire, grande figure à la fois du capitalisme historique et de la bourgeoisie industrielle, laisse place, dans le capitalisme moderne où s’impose la concentration, à ce que Galbraith appellera la « technostructure » – ensemble des cadres dirigeants issus des grandes écoles. La thèse selon laquelle l’effacement de l’entrepreneur-innovateur, qui n’a plus « la volonté de combattre économiquement, politiquement, physiquement, pour " son " usine » (Capitalisme, socialisme et démocratie), préparerait l’avènement du socialisme ne se vérifie pas à l’ère du néolibéralisme triomphant.
Schumpeter à l'épreuve des faits
La période des Trente Glorieuses, en France, atteste la réalité d’un cycle de croissance stimulé par le passage à la société de consommation d’après-guerre. Le boom de la demande en produits nouveaux touche particulièrement l’automobile (dont les modèles se démultiplient), l’électroménager (qui transforme la vie quotidienne des ménages) et l’électronique industrielle (qui profite de l’invention du transistor et de la diffusion de la télévision).
La période contemporaine atteste une autre réalité. Du fait des budgets alloués à la recherche-développement (conjuguant recherche fondamentale, recherche appliquée et exploitation commerciale), jamais les innovations ne sont allées aussi loin, avec les révolutions successives de l’informatique, de l’Internet et de la robotisation généralisée (→ robot). Elles ont sur les activités devenues obsolètes les effets destructeurs dont a rendu compte Schumpeter. La mondialisation y ajoute des facteurs de délocalisation qui bouleversent le marché du travail.