Anouar el-Sadate
en arabe Anwar al-Sādāt
Homme d'État égyptien (Mit Aboul Kom, Ménoufièh, 1918-Le Caire 1981).
1. Les années de formation
Anouar el-Sadate est né dans un milieu d'origine paysanne, sa famille appartenant au groupe des éfendis (« sachant lire et écrire »), sorte de petite bourgeoisie déjà pénétrée de l'esprit moderne. Il suit des études primaires et secondaires au Caire. En 1936, il entre au collège militaire, seul moyen pour quelqu'un de son milieu social de faire des études supérieures. Il en sort officier en 1938. Il rencontre la même année le jeune Gamal Abdel Nasser et appartient au premier cercle de ce qui deviendra les « officiers libres ». Très politisé, il se lance rapidement dans l'action radicale : comme tous ceux de sa génération, il se bat pour affranchir complètement sa patrie de la domination britannique. Il fait partie d'une conspiration regroupant des proches du roi Farouk et des Frères musulmans et qui a pour but d'entrer en contact avec les Allemands durant la Seconde Guerre mondiale. Arrêté par la police britannique en 1942 et chassé de l'armée, il s'évade en 1945 et participe à des attentats contre des adversaires politiques du roi. Il s'ensuit une nouvelle arrestation. Libéré en 1948, il réintègre l'armée en 1950.
En 1951, Nasser le reprend dans l'organisation des « officiers libres » en raison de ses contacts avec le palais et les Frères musulmans. Il joue un rôle public dans le coup d'État du 23 juillet 1952 et devient une personnalité importante du nouveau régime. Il est alors le héraut d'un nationalisme égyptien anti-occidental. En 1958, il est désigné comme président du Parlement. En 1969, Nasser le choisit comme vice-président.
2. La prise du pouvoir
À la mort de Nasser (28 septembre 1970), Anouar el-Sadate exerce l'intérim du pouvoir et est confirmé dans sa charge par un plébiscite, le 15 octobre 1970. Il entre en conflit avec la gauche nassérienne sur la question de la reprise des combats avec Israël (un cessez-le-feu est renouvelé tous les trois mois depuis août 1970). Il remporte l'épreuve de force début mai 1971 et élimine ses rivaux politiques. Il prône une nouvelle orientation politique avec le rétablissement de l'État de droit et l'abandon d'un grand nombre de mesures socialistes, et recentre le discours politique sur l'identité égyptienne au détriment du projet unioniste arabe. Il favorise la renaissance de l'islamisme pour combattre les forces de gauche et veut réorienter son pays vers les États-Unis, mais doit d'abord conclure un traité d'amitié et de coopération avec l'Union soviétique (29 mai 1971). Néanmoins, il prend publiquement des positions très anticommunistes et ouvre des canaux secrets de communication avec les États-Unis. Il propose un règlement partiel du conflit avec Israël, mais se heurte à l'intransigeance de l'État hébreu. Pour accroître sa marge de manœuvre, il expulse les conseillers militaires soviétiques d'Égypte (juillet 1972).
3. La guerre d'octobre 1973 et l'ouverture économique
Les initiatives politiques ne réussissant pas à débloquer la situation, Anouar el-Sadate prépare la reprise de la guerre contre Israël en coopération avec la Syrie du président Hafiz al-Asad et avec le soutien de l'Arabie saoudite. Les opérations militaires de franchissement du canal de Suez sont un succès (6 octobre 1973). Ses objectifs sont limités à la récupération de l'ensemble de la zone du canal, mais le succès est plus important que prévu. Les Israéliens sont sauvés par un pont aérien américain qui rééquipe leur armée. Après avoir repoussé les Syriens, ils peuvent reprendre l'offensive, traverser le canal de Suez et encercler la IIIe armée égyptienne. La réussite diplomatique d'Anouar el-Sadate est remarquable. Ni les États-Unis, ni l'Union soviétique ne peuvent accepter la destruction de l'armée égyptienne : un cessez-le-feu est imposé le 25 octobre après une alerte nucléaire américaine (quatrième guerre israélo-arabe).
En agissant seul, Anouar el-Sadate s'est coupé de son allié syrien. Il joue tout de suite la carte américaine et devient le partenaire privilégié de Henry Kissinger. Un accord de désengagement (Sinaï I) est obtenu en janvier 1974. Le processus de paix devient de plus en plus difficile et, en septembre 1975, par l'accord dit Sinaï II, l'Égypte renonce à la force militaire pour régler le conflit.
Sur le plan intérieur, Anouar el-Sadate proclame, dès 1974, une politique d'ouverture économique (infitah), c'est-à-dire de retour à l'économie libérale et à l'introduction des capitaux étrangers. L'afflux d'argent est considérable, mais ne concerne que partiellement les investissements productifs. Les écarts sociaux s'élargissent et la nouvelle classe des profiteurs est accusée de corruption généralisée. Politiquement, c'est la fin du parti unique, mais l'opposition est strictement contrôlée et ne peut contester les orientations du régime. L'identité égyptienne et islamique du pays est de plus en plus affirmée au détriment de son aspect arabe.
La désorganisation économique de l'Égypte pousse le Fonds monétaire international à exiger des réformes structurelles passant par la limitation des subventions aux produits de base. Cela provoque de violentes émeutes populaires en janvier 1977.
4. La paix avec Israël
Anouar el-Sadate a besoin d'achever son œuvre de libérateur du territoire. Il pense d'abord passer par une conférence internationale réunie à Genève, mais comprend que, dans ce cas, les intérêts égyptiens risquent d'être sacrifiés au profit de ceux des Palestiniens et des Syriens, puisqu'il est probable que les Israéliens refusent toute concession territoriale et politique à ces derniers. Après avoir pris des contacts secrets avec les Israéliens, il ose se rendre à Jérusalem pour provoquer un déblocage psychologique (novembre 1977). Il s'ensuit une négociation longue et difficile sous patronage américain qui aboutit aux accords-cadres de Camp David (septembre 1978), puis au traité de Washington (mars 1979). Le territoire égyptien est évacué par étapes en échange de la normalisation des relations avec l'État hébreu. Les Palestiniens doivent recevoir leur autonomie. Loin de redonner à l'Égypte la place de tête de file dans le monde arabe, la paix l'isole complètement. Les relations de son président avec les chefs d'État arabes s'enveniment.
Si la paix a été assez bien accueillie par l'opinion publique égyptienne, les dernières années d'Anouar el-Sadate se passent dans une atmosphère troublée. Il favorise les mesures d'islamisation du pays, au grand mécontentement des chrétiens égyptiens, les Coptes. L'État entre en conflit avec l'Église copte alors que les islamistes entreprennent des actions armées contre le régime. Anouar el-Sadate revient à une pratique autoritaire du pouvoir et prend des mesures sévères (arrestations massives) contre les opposants et les critiques (septembre 1981). Il sape ainsi l'un des fondements de sa popularité, la suppression du régime policier de l'époque nassérienne. Il est assassiné le 6 octobre 1981 par un commando islamiste lors du défilé militaire commémorant la guerre de 1973. Ses funérailles ont lieu en présence d'une imposante représentation politique occidentale, mais en l'absence des chefs d'État arabes et de la population égyptienne.
5. Un bilan contrasté
L'œuvre d'Anouar el-Sadate a été largement contestée de son vivant. Son successeur, le président Hosni Moubarak, réussit à réintégrer l'Égypte dans le système politique arabe et à se faire le médiateur entre les Palestiniens et les États-Unis. Rétrospectivement, les accords de Camp David ont créé le cadre institutionnel dans lequel le processus de paix s'est inscrit jusqu'à aujourd'hui.
L'ouverture économique, poursuivie par Moubarak, présente à son actif d'incontestables progrès économiques, mais elle a introduit une coupure complète entre le régime et la plus grande partie de la population, contrairement à ce qui avait lieu à l'époque nassérienne. La réislamisation de l'Égypte va croissant, provoquant un grave traumatisme dans l'unité nationale égyptienne par la dissension permanente entre musulmans et Coptes. L'activité intellectuelle est soumise à une double censure politique et religieuse de plus en plus forte.
Le ton d'Anouar el-Sadate a toujours été très théâtral même si ses coups d'audace étaient soigneusement préparés. Dans la négociation, il s'en tient à quelques orientations essentielles, quitte à sacrifier ce qui lui apparaît comme accessoire, au grand dam des professionnels de la diplomatie égyptienne. Il a compris très tôt que la réussite de sa politique intérieure comme de sa politique extérieure passait par la séduction de l'opinion publique occidentale. Il a réussi à faire de son pays le second partenaire des États-Unis dans la région et le bénéficiaire d'une fraction de la rente pétrolière. La multiplication contradictoire des identités (arabe, égyptienne, occidentale, islamiste) dans laquelle il a engagé son pays a troublé considérablement les esprits. Les Égyptiens ont été flattés par la reconnaissance internationale du rôle de leur pays. Il n'en reste pas moins que, comme au temps de Nasser, le principal atout de l'Égypte a été d'être un enjeu plus qu'un acteur sur la scène internationale.
Les étapes successives de la vie d'Anouar el-Sadate, d'abord jeune terroriste lié au palais et aux Frères musulmans, puis dignitaire du régime nassérien et enfin chef d'un régime réalignant son pays vers l'Occident et l'islam, résument à elles seules l'histoire politique tourmentée de l'Égypte au xxe s. Anouar el-Sadate a été lauréat du prix Nobel de la paix 1978, avec Menahem Begin.