Pedro Calderón de la Barca

Pedro Calderón de la Barca
Pedro Calderón de la Barca

Poète dramatique espagnol (Madrid 1600-Madrid 1681).

La vie

Pedro Calderón de la Barca est né d'une famille où se mêle au sang castillan de la Montaña (près de Santander) le sang d'ancêtres wallons venus du Hainaut (autour de Mons). Cette famille appartient aux classes moyennes lettrées, qui s'arrogent alors en Espagne le statut de la noblesse et sans doute défendent leurs récents privilèges et leur échelle de valeurs avec une ferveur et une intransigeance que l'on ne trouve certes pas dans la haute aristocratie. Le jeune Pedro fait ses études au Collège impérial des Jésuites (à Madrid), excellente école tant pour les humanités que pour l'orthodoxie sociale et religieuse. Un oncle lui réservant certaine part dans les bénéfices d'une chapellenie, il est envoyé à l'université d'Alcalá de Henares (1614). À la mort de son père (1615), il passe à l'université de Salamanque, où il fait son droit canon.

L'année 1620 marque l'éveil de sa vocation littéraire : il participe à un concours poétique en l'honneur de saint Isidore le Laboureur, patron de Madrid. Mais une mauvaise affaire, une rixe dans la rue suivie de mort d'homme, le contraint à vendre avec ses frères une charge de greffier de finance (1622) et à prendre du service auprès du connétable de Castille. Ainsi commence sa longue carrière de courtisan. En 1623, Calderón donne sa première comédie, Amor, honor y poder (l'Amour, la puissance et l'honneur). Il écrit dès lors pour la scène du palais royal.

Mais le jeune caballero n'a pas fini de jeter sa gourme. Au cours d'une nouvelle rixe, il viole la clôture d'un couvent de religieuses. Un célèbre prédicateur bien en cour saisit l'occasion pour fulminer contre le monde du théâtre et le théâtre lui-même, tanière de tous les vices. Calderón lui réplique dans sa comédie El príncipe constante (le Prince martyr), sans doute plus profondément efficace qu'un sermon de style baroque. Vers ces mêmes années (1629), il « dépeint » dramatiquement la célèbre Rendición de Breda (siège et reddition de Breda, aux Pays-Bas), que Vélasquez avait déjà célébrée dans son tableau les Lances.

En 1635, le roi lui demande d'inaugurer, par une fête à grand spectacle, son nouveau palais du Buen Retiro. À cette occasion, Calderón brise les conventions de la comédie traditionnelle, celle de Lope de Vega, qui rappelait encore les tréteaux populaires. En effet, dans El mayor encanto, Amor (l'Amour magicien, 1635), la musique, les décors et les costumes jouent avec le texte pour faire un ensemble cohérent et une représentation complète, à la fois spectacle et littérature. Il s'agissait des tentations d'Ulysse et de ses compagnons matelots dans l'île où régnait Circé avec ses nymphes.

Le roi accorde alors à Calderón la cape et l'épée de l'ordre de Saint-Jacques (1636-1637), et Calderón amorce une carrière militaire. Il se bat contre les Français de Richelieu à Fontarabie (1638) et leurs alliés, les Catalans révoltés, à Tarragone et ailleurs (1640-1642). Retiré de l'armée, il passe au service du duc d'Albe.

Or, depuis 1634 au moins, il écrivait des « autos sacramentales », ces représentations allégoriques en l'honneur du saint sacrement que les municipes des villes et des villages donnaient chaque année à l'occasion de la Fête-Dieu. Là encore, il renouvelle le genre en recourant à une mise en scène italienne (machinerie) et à la musique.

De 1644 à 1648 et au-delà, les théâtres ferment leurs portes pour marquer tant les deuils dans la famille royale que l'effondrement de l'État depuis la terrible défaite de Rocroi (1643). Calderón se tait.

Le remariage du roi en 1648-1649 fait oublier les malheurs du pays. Calderón passe un contrat avec le municipe de Madrid, à qui il fournira désormais deux, sinon quatre « autos sacramentales » chaque année au mois de juin jusqu'à sa mort. Il entre dans les ordres (1651) et reçoit les avantages matériels qui sont liés aux titres (plus qu'aux charges) de chroniqueur du tiers ordre et de chapelain des Rois nouveaux à Tolède (1653). Dorénavant, il écrit toutes ses pièces pour le palais du roi. Le ton change : il s'adresse à un public de courtisans et de lettrés ; puis il laisse les comédies courir leur chance auprès du public vulgaire des théâtres de la ville, dont il n'a cure.

Vers 1658, il cherche une nouvelle voie. Influencé par l'opéra italien, avec son ingénieuse mise en scène, l'importance de la musique chantée et les thèmes souvent mythologiques de l'action, il tente de créer, pour délasser les chasseurs invités du roi, un petit genre, la « zarzuela », ainsi nommé comme le pavillon royal de chasse, près de Madrid, où eurent lieu quelques représentations. Ses quelques pièces, comme la Púrpura de la rosa (la Rose pourpre) ne satisfont ni l'oreille ni l'entendement de ce petit public fatigué. Mais Calderón fera désormais de ses comédies les plus régulières des spectacles lyriques complets. Le 25 mai 1681, il meurt après avoir écrit d'une plume toujours alerte Hado y divisa de Leonido y Marfisa (Destin et devise de deux amants, 1680).

Cependant, les chefs de troupes vendaient aux imprimeurs leurs exemplaires de travail. On imagine les incorrections et les négligences des éditions qui, depuis 1636, répandent en Espagne auprès des comédiens impécunieux des ouvrages dramatiques de Calderón, sur la représentation desquels il ne touche d'ailleurs aucun droit. Calderón approuve plus ou moins les « partes » (recueils de douze comédies) de 1636, de 1637, de 1664 et de 1673 ; il renie celle de 1677. Soucieux du repos de son âme, il soigne ses « autos sacramentales » (1677), qu'il soumet humblement aux éventuelles corrections des théologiens. En 1681, à la veille de sa mort, il envoie au duc de Veragua une liste de cent dix comédies dont il se reconnaît le père, mais la mémoire lui manque et il se répète parfois. Vera Tassis, un ami zélé plus que méticuleux, publie de 1682 à 1691 des séries de comédies, souvent sous deux et parfois sous trois formes. Beaucoup de ses « autos » survivent. Quelques-uns de ses nombreux intermèdes (entremeses), prologues (loas) et ballets chantés (jácaras) ont été conservés.

Trois siècles durant, le bon public espagnol resta fidèle à Calderón, malgré les modes et les écoles nouvelles qui affectaient les petites élites lettrées, souvent hostiles au poète. Mais chaque génération l'entendait d'une manière différente : tantôt néoclassique au xviiie s., tantôt romantique au xixe s.

L'œuvre

Le génie de Calderón

Calderón n'ignorait ni l'opéra, ni la comédie italienne, ni la comédie française. En échange, nos dramaturges ne cessaient de s'en inspirer. Ce fut Lessing qui, le premier, révéla son génie dans sa Dramaturgie. Herder l'étudia et Schiller l'imita. Et, dans ses Leçons de littérature dramatique, W. Schlegel se servit de son exemple pour illustrer sa théorie du romantisme. F. Schlegel chercha dans son œuvre la clé des grandes énigmes humaines. Goethe faisait grand cas de la Fille de l'air (Sémiramis). D'autres s'enthousiasmaient pour La Devoción de la Cruz (la Dévotion à la Croix) ou pour El mágico prodigioso (le Seul Magicien : Dieu). Shelley interpréta quelques morceaux de bravoure de ses pièces. Les Français traduisirent ses comédies les plus « romantiques ».

L'art dramatique de Calderón

L'art dramatique de Calderón est commandé par les goûts et répond aux besoins d'un nouveau public : une élite intellectuelle bien pensante et la Cour, frivole, précieuse et présomptueuse. Le poète n'en est plus à mendier, comme Lope de Vega le faisait, les applaudissements des savetiers et des valets.

Ses premiers ouvrages, comme La dama duende (Aimable fantôme, 1629), sont encore des comédies de cape et d'épée ; ils s'adressent à la jeunesse dorée de Madrid. Bientôt le ton devient plus gourmé, la pièce pose et expose des situations dramatiques nées de conflits politiques moraux et spirituels : ainsi, entre 1637 et 1644, El alcalde de Zalamea (Un alcade de village), El mayor monstruo, los celos (Monstrueuse Jalousie), El mágico prodigioso. Quand, après 1651, Calderón n'écrit plus que sur commande- ses pièces pour le roi, ses « autos » pour la ville de Madrid-, il donne libre cours à ses ambitions de dramaturge, il crée à partir de thèmes chevaleresques ou bien mythologiques un spectacle complet, un sous-genre très original, une sorte d'opéra où une comédie en due forme, riche de poésie et de signification allégorique, tiendrait lieu de libretto.

Telles sont les trois tendances- et même les trois moments- de la dramaturgie caldéronienne : « cape et épée », « pièce à thèse », « opéra ». Elles traduisent toutes une même vision du monde, que Calderón fait partager à ses contemporains : la vie pour l'Espagnol du xviie s. est un conflit incessant et qui ne trouve sa solution que dans l'au-delà ; la nature et la société ne sont faites que d'apparences dont se sert la providence divine pour sa cause finale, la plus grande gloire de Dieu. Notre excellent humaniste, formé par les Jésuites, tient la sagesse antique pour l'annonce et la préparation de la révélation divine, au même titre que l'expérience du peuple juif que raconte l'Ancien Testament. Le problème, pour cet homme de théâtre, c'est donc de donner à l'aventure galante, au fait divers, à la fable, à l'événement historique, la structure et la dimension d'un drame. Dès lors, les oppositions fortuites et parfois apparemment frivoles des hommes prennent leur vraie signification ; elles font partie d'une totalité qu'un Dieu tout-puissant et infiniment bon maintient en un juste équilibre, comme il apparaît au dénouement.

La comédie de Calderón

Les conventions de la comédie sont empruntées à Lope de Vega : trois étapes (actes ou journées) longues chacune de mille vers, surtout de huit, et souvent de onze pieds, organisées en laisses ou en strophes ; une douzaine de personnages qui relèvent d'emplois toujours identiques : le roi, le chevalier, la dame, le barbon, la soubrette et, porte-parole de l'auteur, le gracioso bouffon véridique ; une double action qui s'achève sur un dénouement toujours heureux ; une fin tragi-comique (au besoin sanglante) marquée par la restauration de l'ordre social divin altéré ; une durée de représentation oscillant entre deux heures et demie et trois heures avec le prologue, les entractes (intermèdes) et le ballet final, cette durée recouvrant un jour entier, trois journées, une vie ou plusieurs siècles ; un lieu unique : notre esprit, qui, grâce à notre imagination et à la machinerie, peut accorder à un tréteau en l'espace d'un instant l'apparence d'une rue à Madrid ou d'un palais au bord de la mer à Jérusalem ( !).

Or, l'écrivain se refuse à tromper l'entendement du spectateur. Sa pièce n'est que fiction, simple illusion comique, et il le rappelle au détour d'une scène afin que le public prenne ses distances et, au lieu de prendre parti pour un protagoniste ou un autre, les regarde et les juge dans une perspective « philosophique », avec détachement. Les personnages n'ont aucune vérité psychologique individuelle : ils sont ce qu'ils doivent être dans leur état (caballero, manant, souverain, barbon) ou à leur âge et selon leurs vêtements (cape, travesti, etc.), les mères et les enfants n'ayant pas d'existence théâtrale. Le théâtre de Calderón est une école : comment et par quelle « conduite » conviendrait-il de résorber le désordre que provoquerait dans la société telle ou telle combinaison catastrophique de faits ? Ainsi, dans El purgatorio de San Patricio (1628), le renversement de la situation (les Grecs disent « catastrophe »), c'est la confrontation du galant avec son propre squelette. Dans La Devoción de la Cruz, c'est l'apparition de la Croix chaque fois que le bandit va commettre un crime. Dans El mágico prodigioso, c'est l'accolade épouvantable que donne le faux savant au fantôme de sa bien-aimée, un cadavre sous une parure de fête. La conversion suit aussitôt, et Dieu accorde le salut et même le bonheur éternel à un martyr, à un brave étudiant, à un bandit et à saint Cyprien.

Des pièces à thèse

Les comédies que Calderón tire de l'histoire impliquent une vision dramatique des événements qui ont marqué la vie de la société. Car, pour l'auteur, notre humanité va de conflit en conflit. On comprend dès lors la ferveur des disciples de Hegel pour cette conception du monde où jamais ne triomphe la thèse ou l'antithèse, le bien ou le mal, mais où nos contradictions trouvent leur solution dans un dépassement (certes anagogique et non idéaliste comme chez le philosophe allemand). L'esprit triomphe, qui fait l'unité et rétablit l'harmonie quand le monde se scinde et la nature se divise.

Dans El principe constante, le prince martyr de sa foi ne cédera pas Ceuta aux Maures pour recouvrer la liberté. Il saisit sa merveilleuse chance : choisir lui-même l'heure et la manière de sa mort.

L'alcade de Zalamea Un alcade de village, vers 1642) est un paysan promu maire de son village. Une troupe de passage s'installe avec des billets de logement. Le capitaine loge chez l'alcade et viole sa fille. Comme il refuse de réparer le mal et d'épouser la victime, le maire venge son honneur, le condamne et le met à mort, et cache le cadavre dans un placard. Les soldats cherchent leur capitaine et menacent de brûler le village. Le général se fâche. Le roi intervient. Alors le paysan pose le problème en termes abstraits sur le seul plan de la justice. « Voilà le cas, que fallait-il faire ?- Châtier le coupable », dit le roi. Alors s'ouvre le placard. « Au roi, nos biens et notre vie. Mais l'honneur est patrimoine de l'âme, et l'âme n'est qu'à Dieu. » Telle est la décharge de l'implacable échevin. Le roi fait lever le camp et accorde au rustre la charge d'alcade à titre perpétuel ; de fait, il l'anoblit ; à cet homme d'honneur, il confère la noblesse pour toute sa lignée.

Certains critiques et certains interprètes ont voulu voir dans cette pièce une apologie de la dignité humaine, hors de toute considération de classe. De fait, Calderón veut récupérer pour la noblesse un homme quelconque, mais digne d'elle.

Son attachement aux principes qu'il tient pour fondamentaux, pour divins, explique aussi bien Amar después de la muerte (Aimer au-delà de la mort, 1633), où se voit pardonné un musulman meurtrier d'un soldat chrétien qui avait tué sa bien-aimée. La religion ne fait rien à l'affaire. En toute justice, le musulman a raison.

Les comédies de cape et d'épée

Les comédies de cape et d'épée, les comédies d'intrigue et les drames de la jalousie éclairent les problèmes que posent l'émancipation des jeunes gens à leurs parents et les conflits affectifs que provoquent les passions désordonnées. La dama duende est une jeune veuve, qui, au nez et à la barbe de son frère aîné, gardien sévère de sa vertu, conquiert le galant hébergé chez eux, blessé pour elle dans une rixe nocturne.

Dans El médico de su honra (1635), le « médecin de son honneur » fait saigner à mort son épouse, que poursuivait de ses assiduités l'infant Henri, futur roi d'Espagne. Ainsi préservait-il son honneur, qu'il n'aurait pu venger sur une personne de sang royal. Il se récrie contre l'horrible loi ou convention sociale qui le contraint à ce crime, mais un « caballero » ne peut y contrevenir sans mettre en péril la société tout entière. Dans El mayor monstruo, los celos, Hérode finit par tuer Marianne, son épouse, car il craint, s'il meurt, qu'Octave- le futur empereur Auguste- ne la prenne pour femme.

La vida es sueño (La vie est un songe, 1635) est riche de signification. On peut y voir une pièce contre la doctrine de Machiavel : un roi emprisonne son odieux héritier parce qu'il place le bonheur public, menacé par ce monstre, avant les droits du sang, la prospérité de l'« État » de la communauté avant la loi (de succession royale) voulue par Dieu. Il en sera puni. On peut y voir également une interprétation philosophique de notre vie. Le roi veut donner une dernière chance au prince. Sous l'effet d'un narcotique, le jeune homme a été transporté de son cachot au palais, où chacun se jette humblement à ses pieds. Mais, faute d'entendement, il abuse de sa liberté, insultant son précepteur, offensant son cousin et faisant injure à une dame de la Cour. Sous l'effet d'un narcotique, il est donc rendu à la prison. À son réveil, il se demande alors s'il a rêvé ou non. Il ne parvient pas à en décider, mais il jure, s'il doit rêver une seconde fois, de faire meilleur usage de son libre arbitre. Or, l'occasion se présente. Des mutins le délivrent. À leur tête, dans une bataille sanglante, il vaine son père, mais- retournement soudain- il se soumet à lui. Ainsi, l'ordre voulu par Dieu est restauré au royaume de Pologne. Aussi bien, notre vie est comme une longue nuit hantée de beaux rêves et de cauchemars, c'est un songe où tout est illusion et apparence. La gâcherons-nous comme le faisait le roi Basile et comme le fit une première fois le prince Sigismond, son fils ? Ou bien, les regards fixés sur la lumière éternelle, préparerons-nous dans la nuit notre entrée finale dans le domaine du réel, dans le royaume de Dieu ? La vie est un songe n'a pas cessé, depuis 1635, d'inquiéter la conscience et d'émouvoir l'esprit.

Les comédies lyriques

Les comédies lyriques de Calderón se situent entre l'opéra et la tragédie. La critique les a négligées. Le public les ignore. Et pourtant certaines sont d'authentiques chefs-d'œuvre. Eco y Narciso (Écho et Narcisse, 1661) relève de la psychologie des profondeurs. Narcisse, un jeune enfant gâté, ne parvient pas à rompre ses liens avec une mère abusive. Impuissant, il tergiverse à l'appel d'une fillette, Écho. Il se mire dans la fontaine et préfère sa propre image à la sienne. Et les dieux le changent en une fleur. Écho, désolée, devient cette nymphe éthérée et vaine qui, dans les vallées profondes, répète, sans les comprendre, les cris des voyageurs égarés. La estatua de Prometeo (Prométhée idolâtre, vers 1672) oppose ce savant, le voleur de feu, le bienfaiteur de l'humanité, à Épiméthée, son frère, un homme de guerre irritable et jaloux. Les deux titans adorent une statue, sculptée par Prométhée, qui représente Minerve. Or, le rayon de soleil dérobé par Prométhée, autrement dit le feu de l'esprit, anime la statue, qui devient une femme ordinaire, Pandore. Pour son vol, Prométhée est condamné à un supplice atroce. Or, la femme, sa créature, veut partager son sort. Le titan se réconcilie alors avec elle. Dieu lui pardonne le sacrilège du larcin et son idolâtrie. Prométhée épouse Pandore. Depuis, la race des inventeurs se perpétue dans notre monde.

Les « autos sacramentales »

Les « autos sacramentales », ces « miracles » qui, pourtant, étaient populaires, déroutent le spectateur d'aujourd'hui. C'est trop lui demander qu'un tel effort d'abstraction et d'interprétation symbolique. Les personnages se nomment Oubli ou Libre Arbitre, Prince des Ténèbres ou Entendement et changent d'identité au cours de la pièce. À la fin, le pain et le vin, qui sont les nourritures terrestres, deviennent miraculeusement la chair et l'esprit de Dieu révélé. Temps et lieu sont désaxés ou simplement abolis. L'action part de prémisses toujours différentes pour aboutir au même dénouement : la transsubstantiation. Ainsi, La Noble Hidalga del valle (La Noble Dame de la vallée), c'est l'Immaculée Conception ; Los encantos de la culpa (les Charmes de la faute), c'est l'aventure d'Ulysse auprès de Circé ; El laberinto del mundo (le Labyrinthe du monde), c'est l'histoire de Thésée. Et il y a aussi, entre les quatre-vingts petites moralités (de 1 500 vers environ chacune), Psyché et Cupidón, Le monde n'est que fiction, Le monde n'est qu'un vaste marché, La vie est un songe (deux « autos » tirés de la comédie), le Divin Orphée et Notre saint roi Ferdinand III.

Le message de Caldérón

Caldérón connaissait admirablement les ressources de la dramaturgie : c'est un homme de métier. Son invention verbale éclaire, comme à son propre insu, des domaines vierges et secrets du « logos », de notre langage virtuel. C'est un poète. Sa conception rationnelle des rapports de l'homme et de Dieu, de la société et de la religion tente de fournir une assise solide à la nation espagnole, branlante et désemparée, de son temps. C'est un idéologue.

Par-delà les lieux et les époques, son message appelle des interprétations toujours neuves qui mettent en question ce que nous savons ou croyons savoir de notre être et de notre raison d'être. En cela il est génial.

Pedro Calderón de la Barca
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  • 1635 La vie est un songe, drame de P. Calderón de la Barca.