Orhan Pamuk
Écrivain turc (Istanbul 1952).
Un pont entre deux rives
Né dans une famille aisée et tournée vers l’Occident, Orhan Pamuk grandit dans le quartier européen de Nisantasi, à Istanbul. Il rêve de devenir peintre et étudie le dessin. Parallèlement, il entame un cursus d’architecture qu’il abandonne vite pour se consacrer à des études de journalisme. À l’âge de 23 ans, son diplôme en poche (il n’exerce jamais comme journaliste), il s’enferme dans l’appartement familial faisant face au Bosphore et à la rive asiatique, pour se dévouer finalement à l’écriture : « J’ai passé ma vie à Istanbul, sur la rive européenne, dans les maisons donnant sur l'autre rive, l’Asie. Demeurer auprès de l’eau, en regardant la rive d'en face, l’autre continent, me rappelait sans cesse ma place dans le monde, et c’était bien. Et puis un jour, ils ont construit un pont qui joignait les deux rives du Bosphore. Lorsque je suis monté sur ce pont et que j’ai regardé le paysage, j’ai compris que c’était encore mieux, encore plus beau de voir les deux rives en même temps. J’ai saisi que le mieux était d'être un pont entre deux rives. S'adresser aux deux rives sans appartenir totalement à l’une ni à l’autre dévoilait le plus beau des paysages. »
En 1979, Orhan Pamuk publie sa première nouvelle, Karanlik ve Işik (« Obscurité et Lumière »). Après son mariage, il obtient une bourse de l’université de Columbia et part pour New York où il reste trois ans (1985-1988). Ce voyage lui permet de tisser des liens particuliers avec les États-Unis, où il retourne fréquemment notamment pour dispenser des cours dans diverses universités. C’est cependant à Istanbul, cloîtré dans l’appartement familial, que l’écrivain passe le plus clair de son temps, penché plus de dix heures par jour sur sa table de travail.
Le centre du monde est désormais Istanbul
Orhan Pamuk trouve difficilement, en 1982, un éditeur pour son premier véritable roman, Cevdet Bey et ses fils, saga familiale sur trois générations partagées entre la Turquie orientale et la Turquie occidentale, qui fait écho au destin de la famille de l’auteur. Après ce premier succès d’estime (plusieurs prix turcs, dont le prix Orhan Kemal), il publie en 1983 la Maison du silence (1983 ; prix de la Découverte européenne dans sa traduction française, 1991), livre à l’architecture complexe qui reprend le thème fondateur de son œuvre : la difficile identité de la Turquie post-ottomane, à travers son passé et son présent. En 1985, paraît un roman historique, le Château blanc, sorte de fable universelle sur l’homme.
Le Livre noir (1990, dont une page a servi de base au scénario du Visage secret d’Ömer Kavur, 1991) marque une rupture dans son œuvre romanesque, qui glisse lentement de la tradition naturaliste à une écriture postmoderne, jouant avec une narration multiple. Dans une veine stylistique de plus en plus audacieuse paraissent la Vie nouvelle (1994) et Mon nom est Rouge (1998). Ces deux romans sont à la croisée de plusieurs genres littéraires : policier, romance, réflexion philosophique. Son roman Neige (2002 ; prix Médicis étranger 2005) dresse quant à lui un portrait de la Turquie contemporaine (celle des années 1990), peignant la vie d’un village, Kars, microcosme qui se veut à l’image du pays, empli de contradictions, tiraillé entre le respect de la tradition et l’appel à l’occidentalisation, et victime des violences et tensions inhérentes à la difficulté de vivre ensemble. Cet ouvrage, « son premier et ultime roman politique », n’est cependant pas un plaidoyer ; Orhan Pamuk se contente d’y décrire les paradoxes d’un pays, face à la difficulté de vivre avec ses différentes composantes linguistiques, ethniques, religieuses, économiques.
L’écrivain stambouliote livre dans Istanbul, souvenirs d’une ville (2003) ses souvenirs de la cité dans laquelle il a « passé presque toute [sa] vie » et qui a nourri et bâti son œuvre : « depuis trente-trois ans, j’ai raconté ses rues, ses ponts, ses humains et ces chiens, ses maisons et ses mosquées, ses fontaines, ses héros étonnants, ses magasins, ses petites gens, ses recoins sombres, ses nuits et ses jours, en m’identifiant à chacun tour à tour. » Plus qu’une autobiographie, ce roman est une ode à son Istanbul natale. En 2008, il publie Masumiyet Müzesi (« le Musée de l’innocence »), une histoire d’amour à Istanbul, entre un homme et une femme issus de classes différentes.
Engagement et mélancolie
Homme et écrivain engagé, Orhan Pamuk n’a de cesse de fustiger certains pans de la culture turque (islamisme radical, port du voile, entrave à la liberté d’expression), à travers ses livres, mais aussi par le biais d’articles. Il a notamment dénoncé le génocide arménien et les massacres perpétrés contre le peuple kurde. Ses prises de positions lui valent un procès pour « dénigrement public de l’identité turque », et l’inimitié des autorités, des milieux traditionalistes et nationalistes qui le considèrent comme un traître à la nation.
L’œuvre d’Orhan Pamuk a été couronnée maintes fois dans de nombreux pays – notamment en 2006 par l’Académie suédoise, laquelle, en décernant à son auteur le prix Nobel de littérature, a récompensé un auteur « qui à la recherche de l'âme mélancolique de sa ville natale a trouvé de nouvelles images spirituelles pour le combat et l'entrelacement des cultures ».