Ivo Livi, dit Yves Montand
Chanteur et acteur français (Monsummano, Toscane, 1921-Senlis 1991).
1. Jeunesse et formation d’Yves Montand
La famille Livi, issue d’un milieu modeste et militant, fuit le sud de l’Italie pour échapper au fascisme. Elle arrive en France, dans les collines de Marseille, alors que le jeune Ivo est âgé de deux ans. En 1929, l’acte de naturalisation est signé, Ivo devient Yves. Au foyer, on continue à ne parler qu’Italien, ce qui ne facilite pas la scolarité d’Yves qui écourte ses études.
En 1932, crise oblige, Yves Livi doit travailler alors qu’il n’a que 11 ans (il ment pour faire croire qu’il a l’âge légal) et multiplie les emplois difficiles dont il gardera un goût pour l’endurance et le perfectionnisme : manœuvre, livreur, serveur dans un bistrot du port… puis shampouineur dans le salon de coiffure de sa sœur Lydie. À 13 ans, il passe son CAP de coiffeur, mais se passionne davantage pour le cinéma et ses idoles (Fred Astaire, Fernandel) et n’hésite pas, entre deux coupes, à fredonner les refrains de Charles Trenet, son modèle.
En 1938, Francis Trottobas, dit Berlingot, engage Yves Livi dans le caf’conc’ du quartier et devient son premier « impresario ». Il le pousse à adopter un nom de scène. Le jeune garçon se souvient alors de sa mère l’interpellant de sa fenêtre : « Ivo, monta ! »… Yves Montant est né (le d viendra plus tard).
2. Yves Montand au music-hall
Recommandé par Berlingot, le jeune Montant prend des cours de chant et son premier compositeur-parolier, Charles Humel, lui écrit Dans les plaines du Far West, pour répondre à l’intérêt du chanteur pour les westerns. C’est avec cette chanson qu’il se lance en 1939 à la conquête de l’Alcazar de Marseille, temple phocéen du music-hall. Le succès n’est pas immédiat et Yves Montant doit retrouver les chantiers (métallo, docker à la Joliette).
Paris et Piaf. Pourtant, en 1941, sa carrière décolle et Montant écume la région avec son nouvel impresario parisien, Audiffred. Le chanteur prend des cours de danse et met au point son célèbre chaloupé. En 1944, après avoir échappé de justesse au STO en raison d’une ambiguïté sur son nom, il monte à l’assaut de la capitale. Sans veste ni cravate, Montand trouve ses marques et fait un tabac à l’ABC, à Bobino, puis au Moulin-Rouge où il rencontre Édith Piaf. Le coup de foudre est réciproque.
Piaf fait répéter Montand sans relâche, lui écrit des chansons, et devient son Pygmalion. En 1945, ils partagent l’affiche du Théâtre de l’Étoile. Le chanteur séduit les foules et le cœur des jeunes femmes avec son répertoire « réaliste » (Battling Joe, Luna Park, les Grands Boulevards,…).
En 1946, il se dirige vers le cinéma (les Portes de la nuit, M. Carné) : l’échec est cuisant et le chanteur se jette à corps perdu dans les galas, les tournées, les conquêtes… Le couple Piaf-Montand n’y survivra pas. En 1947, il fait la connaissance du pianiste Bob Castella avec qui il collaborera pendant 40 ans.
Le triomphe. En 1949, Yves Montand rencontre l’actrice Simone Signoret, le grand amour de sa vie. Ce nouveau soutien lui donne des ailes : il ose le premier one-man show français à l’Étoile ; le spectacle qui comprend 22 chansons et 2 poèmes est un triomphe. Montand fait de nouvelles tentatives au cinéma, mais ce sont ses talents de chanteur qui attirent les spectateurs du monde entier (Kirk Douglas, Gary Cooper) lors d’un récital qu’il mène durant 6 mois à guichet fermé, entre 1953 et 1954. Il y livre une conscience nouvelle, antimilitariste (le Dormeur du Val, de Francis Lemarque), et impose une chanson qui deviendra un standard, les Feuilles mortes, signée Jacques Prévert et Joseph Kosma.
L’Amérique ! Les États-Unis, pourtant très méfiants envers les communistes en pleine Guerre froide, ne résistent pas au charme du chanteur français. Montand est invité à se produire au Henry Miller Theatre de New York en septembre 1959. Dans la grande salle, les « monstres sacrés » sont là : Marlène Dietrich, Lauren Bacall… et surtout, Marilyn Monroe. L’enthousiasme du public est délirant (16 rappels !). Son passage à la télévision, au show de Dinah Shore qui rassemble 60 millions de téléspectateurs, attire les producteurs de la Century Fox. Il retrouve Marylin devant la caméra de George Cukor, mais aussi dans la sphère privée… Son tour d’Amérique est salué par les standing ovation, Montand occupe le Golden Theatre de Broadway pendant huit semaines, puis s’envole pour des tournées à travers le monde.
Dans le milieu des années 1960, marquées par la vague yé-yé, Montand se consacre essentiellement au cinéma. En 1968, il retrouve l’Olympia et y étrenne, avec succès, des chansons au doux parfum de nostalgie (À bicyclette, de Pierre Barough). La décennie suivante, Montand envahit le grand écran, mais ne se produit plus sur scène.
Le grand retour de 1981. Après 13 ans d’absence, Montand retrouve la scène en octobre 1981 à l’Olympia, avec de nouvelles chansons (les Roses de Picardie, Duke Ellington). Le public, impatient, ovationne son show. Seul en scène, un chapeau, une canne, une chaise, sa présence est intacte à 60 ans, presque magique : sa voix de velours est inaltérée, sa gestuelle toujours envoûtante et son numéro de claquette fait chavirer la salle. Les trois mois à l’Olympia sont suivis d’une tournée en France et dans le monde (Rio, San Francisco, New York, Tokyo…). Sans doute le plus grand triomphe de Montand, mais aussi son dernier au music-hall.
3. Yves Montand au cinéma
Débuts difficiles. En 1946, les succès de Montand dans la chanson populaire lui ouvrent les portes du cinéma : Marcel Carné lui offre un premier rôle, initialement prévu pour Jean Gabin, dans les Portes de la nuit. Maladroit et inexpérimenté, le chanteur essuie un échec retentissant. En 1948, sa deuxième tentative, l’Idole, un mélodrame sur la boxe, n’est guère plus convaincante. En 1953, dans le Salaire de la peur d’Henri-George Clouzot, Montand tient un rôle musclé qui lui convient mieux.
Il incarne un Méphisto dans Marguerite de la nuit en 1956, puis enchaîne les rôles de prolétaires comme un clin d’œil à ses origines modestes : il est tour à tour chasseur de loups (Hommes et Loups), pêcheur à l’explosif (Un dénommé Squarcio), ouvrier électricien (le Père et l’Enfant) et enfin fermier aux côtés de Simone Signoret, qu’il vient d’épouser (les Sorcières de Salem), deux rôles qu'ils avaient créés au théâtre.
Fort de son succès musical aux États-Unis, Yves Montand tourne en 1960 aux côtés de Marilyn Monroe, Gene Kelly et Bing Crosby dans la comédie américaine le Milliardaire de George Cukor. Sa prestation est brillante, mais le film reste surtout célèbre pour la rencontre et l’idylle entre Montand et Marilyn.
La reconnaissance. La véritable révélation vient en 1965 avec le réalisateur Costa-Gavras pour lequel il tourne cinq films engagés dont Compartiment Tueurs (1965), Z (1969) et l’Aveu (1969). La quarantaine passée, il semble équilibré : « C’est de là que date mon véritable et total engagement pour le cinéma. Avec Costa-Gavras, il s’est passé quelque chose. J’ai découvert plus qu’un metteur en scène, un complice, qui a décelé ma vraie personnalité », reconnaît-il.
Il endosse des rôles d’envergure, souvent nourris d’humanisme : un militant communiste espagnol rongé par le doute dans La guerre est finie d’Alain Resnais (1966), un professeur lors d’un voyage onirique (Un soir, un train, 1968), un saisissant policier alcoolique en plein delirium (le Cercle rouge, 1970). Il apparaît dans des films plus expérimentaux signés Jean-Luc Godard ou William Klein et dans des documentaires de Chris Marker.
Acteur à facettes. Montand est multiple et semble à son aise dans tous les genres, notamment le burlesque. Au cours des années 1970, on le retrouve dans des comédies mémorables : le Diable par la queue (1969), la Folie des grandeurs (1971), aux côtés de Louis de Funès, le Sauvage (1975), ou encore Tout feu, tout flamme (1982).
Claude Sautet lui offre de grands rôles, notamment dans César et Rosalie (1972) et Vincent, François, Paul et les autres (1974) où ses personnages hâbleurs et touchants sont toujours proches de la rupture. On retrouve cette fragilité subtile dans le Fils de Pierre Granier-Deferre (1973), mais aussi dans les « polars » d’Alain Corneau (Police python 357, 1976 ; la Menace, 1977 ; le Choix des armes, 1981).
Extrêmement populaire, Yves Montand s’essaye à la comédie musicale « autobiographique » (Trois places pour le 26 de J. Demy en 1988) et au drame paysan dans les adaptations de Pagnol, Jean de Florette et Manon des sources, par Claude Berri en 1986. Il y incarne, « le Papet », fourbe mais chaleureux, un rôle digne de Gabin. Montand devient un monument du cinéma français.
Insatiable, il décède à la fin du tournage d’IP5, l’île aux Pachydermes (J.-J. Beinex, 1992) le 9 novembre 1991.
4. Vie privée et engagement politique d'Yves Montand
Montand et les femmes. Séduisant et séducteur, le jeune Montand a beaucoup de succès auprès de la gent féminine. À 16 ans, il séduit Mado, la fille de sa prof de chant Marguerite Fancelli. Cette aventure ne dure pas ; cependant, malgré les foules de groupies qui l’assaillent, ses relations amoureuses vont prendre l’allure de communions artistiques et intellectuelles.
Tout d’abord avec Édith Piaf qu’il rencontre au printemps 1944, alors qu’il doit assurer la première partie de son spectacle au Moulin-Rouge. Piaf la parisienne est sceptique à l’idée d’un chanteur marseillais et exige une audition. Elle est conquise par le talent, la voix et la présence de Montand ; c’est le coup de foudre. Comme toujours, Piaf s’investit pleinement dans cette nouvelle passion amoureuse, mais aussi professionnelle. Elle devient le Pygmalion de Montand, le forme, l’éduque, peaufine chaque détail et lui permet d’asseoir son style. Elle lui présente les personnalités influentes du métier du spectacle (Loulou Gasté, Francis Lemarque, etc.), il apparaît pour la première fois au cinéma à ses côtés dans Étoile sans lumière (Marc Blistène, 1946). Mais cette passion ne survit pas à la tournée harassante qu’ils mènent ensemble en 1946.
Montand-Signoret, couple mythique. Durant l’été 1949, à Saint-Paul-de-Vence, Montand fait la connaissance d’une jeune et brillante actrice, Simone Signoret, alors mariée au réalisateur Yves Allégret. Le charme opère immédiatement. Montand et Signoret se marient en 1951 dans la ville de leur rencontre.
Intellectuelle et issue d’un milieu bourgeois, Simone Signoret parfait l’éducation de Montand et l’entraîne dans son engagement politique. Elle le soutient, l’inspire, le protège. Il élève sa fille, Catherine Allégret. Durant plus de 35 ans, le couple résistera aux aléas de la vie, et notamment à l’épisode Marilyn.
En 1960, le couple est en pleine aventure américaine : Montand triomphe au music-hall, Signoret reçoit l’Oscar de la meilleure actrice (pour les Chemins de la haute ville). Ils sympathisent alors avec le couple Marylin Monroe-Arthur Miller. La star hollywoodienne impose Montand dans le film le Milliardaire et leur idylle éclate au grand jour. Certains rebaptiserons même la comédie « Le film dont les acteurs ont pris le titre au sérieux » (le titre original du Milliardaire est Let’s make love, « Faisons l’amour »). Mais Montand rejoint Signoret au bout de quelques mois, après la promotion du film. Lors d’une interview, Signoret annonce, des années plus tard, que son seul regret est que Marylin n’ait pas su qu’elle ne lui en avait pas voulu. Qui peut résister à Marilyn ?
À la fin des années 1970, la beauté de Signoret s’efface, sa santé se dégrade, mais le couple reste uni. Le 30 septembre 1985, l’actrice décède dans leur maison d’Autheuil, dans l’Eure, alors qu’il tourne Manon des sources. Montand est dévasté.
L’acteur redresse la tête grâce à une jeune assistante, Carole Amiel. Le couple officialise leur liaison et donne naissance à Valentin, fin 1988. Deux ans plus tard, Montand décède et repose désormais aux côtés de Simone Signoret au Père-Lachaise.
Cependant, la vie amoureuse de Montand continue d’alimenter les fantasmes. En 1997, son corps est exhumé pour une recherche génétique en paternité (affaire Aurore Drossart).
Montand et la politique. Issu d’une famille ouvrière, le jeune Ivo Livi évolue dans un milieu militant, son père et son frère Julien étant de fervents communistes. Ces origines prolétaires sont mises en avant dans quelques chansons « réalistes ». Mais son engagement politique prend corps lors de sa rencontre avec Simone Signoret, au mitan des années 1950 : le couple affiche un humanisme de gauche, combattant toutes les oppressions. Ils fréquentent et militent pour leurs idées aux côtés de « compagnons de route » du Parti communiste français : Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, Jorge Semprún, etc.
À la veille d’une tournée en URSS, en octobre 1956, les chars soviétiques envahissent Budapest. Montand se rend tout de même à Moscou et s’entretient avec Nikita Khrouchtchev du problème hongrois lors d’une rencontre privée. L’année suivante, il est confronté aux applications concrètes du communisme dans les pays de l’Est lors d’une tournée pour laquelle Simone Signoret l’accompagne. Les convictions du couple s’en trouvent largement ébranlées. La divergence politique atteint le noyau familial et Montand rompt avec son frère et son père à la fin des années 1960. En 1968, il s'éloigne définitivement du communisme suite à l’écrasement du printemps de Prague.
Cependant, il n’abandonne pas la lutte contre l’oppression de toutes les dictatures et ses rôles restent très marqués politiquement, notamment dans les films de Costa-Gavras, Z, L’Aveu ou encore État de siège, tous inspirés par des faits politiques réels. En 1974, en soutien aux réfugiés chiliens suite au coup d’état de Pinochet, il remonte sur scène pour un unique tour de chant. Lors de son récital, filmé par Chris Marker dans La solitude du chanteur de fond, il interprète Le temps des cerises et plusieurs refrains résistants.
Il soutient le syndicat polonais Solidarnosc dans les années 1980 et continue à militer pour les droits de l’homme et le Mouvement de la paix. Yves Montand n’a jamais adhéré à un parti politique.