Juan Domingo Perón

Homme d'État argentin (Lobos, Buenos Aires, 1895-Buenos Aires 1974).

Fondateur du justicialisme, forme de populisme à tendance autoritaire, Juan Perón fut « l'homme providentiel » de l'Argentine de 1946 à 1955. Jusqu'à sa mort, il fit partie de ces leaders qui, dans un pays en crise, suscitent autant les espérances qu'ils cristallisent les mécontentements.

1944-1945. Ascension politique

Officier de carrière, il est nommé vice-président de la République, charge qu'il cumule avec celles de ministre de la Guerre et de secrétaire d'État au Travail.

1946-1951

Élu à la présidence de la République après le triomphe électoral des formations qui l'appuient, il met en œuvre l'expérience justicialiste, dont les acquis sociaux (nationalisation des compagnies de chemin de fer françaises et britanniques ; création d'un parti péroniste féminin présidé par sa seconde femme, Eva, née Duarte ; droit de vote aux femmes) sont entérinés par la Constitution de 1949.

1951-1955. Second mandat

Proclamé « libérateur de la République », il dénonce les « marchands de la religion et l'oligarchie ensoutanée ». Excommunié (15 juin 1955) et lâché par l'armée, il s'enfuit en Espagne (21 septembre 1955).

1955-1972. L'exil

De Madrid, il continue à diriger ses partisans, qui remportent les élections provinciales en 1996.

1973-1974. Fin de carrière

Rentré en héros en Argentine (juin 1973), il est triomphalement réélu en septembre. Il meurt le 1er juillet 1974, alors que ses partisans se déchirent. Sa troisième femme, Isabelle, lui succède à la présidence.

1. L'ascension de l'officier putschiste

Issu d'une famille de propriétaires éleveurs, Juan Perón passe sa jeunesse dans la Pampa. Après avoir fréquenté l'École polytechnique internationale, il entre en 1911 à l'Académie militaire, puis fait une école d'officiers et devient capitaine en 1924. Champion d'escrime militaire, il prend part aux jeux Olympiques de Paris qui ont lieu cette même année 1924. Il rejoint ensuite l'état-major et enseigne l'histoire militaire à l'École supérieure de guerre.

Le 7 septembre 1930, Perón soutient le golpe (coup d'État) du général José Félix Uriburu (1868-1932), qui renverse le président Hipólito Yrigoyen (1852-1933) et met fin à la période de stabilité politique inaugurée en 1916 sous les auspices du Parti radical. Commence alors ce que les Argentins appellent la « décennie infâme », marquée par la corruption et les fraudes électorales. Pour Perón, il s'agit avant tout de mûrir sa réflexion politique.

Nommé attaché d'ambassade au Chili en 1936, puis envoyé en mission d'étude en Europe en 1938, Perón découvre avec sympathie l'Italie mussolinienne. À son retour, il préconise l'instauration d'un socialisme national. Figure clé du nouveau coup d'État militaire qui, le 4 juin 1943, chasse du pouvoir le président Ramón Castillo (1873-1944), il entre au gouvernement de la junte, comme secrétaire d'État au Travail et à la Prévision. Un an plus tard, il accède au poste de ministre de la Guerre, puis à celui de vice-président de la République. Mais, jugé d'esprit trop social par les milieux possédants, il est démis de ses fonctions, le 16 octobre 1945, et incarcéré. C'est par milliers que les ouvriers venus des faubourgs de Buenos Aires exigent et obtiennent la libération de celui qu'ils veulent pour conductor.

2. L'expérience justicialiste

Sentant que son heure est venue, Perón rassemble autour de sa personne un ensemble de forces politiques et syndicales – dissidents de l’Union civique radicale, conservateurs (Parti indépendant) et Parti travailliste – avant de les dissoudre au sein d’un seul mouvement justicialiste (péroniste) en 1947. Élu à la présidence de la République, le 24 février 1946, il met en œuvre une politique qui apparaît comme un savant dosage d'autoritarisme, pour rassurer l'armée, et de démagogie, pour séduire le peuple. À la fois égérie et porte-parole du président, son épouse Eva Perón occupe à ses côtés la scène médiatique.

Sur le plan économique, Perón pratique le dirigisme. Dans un but de redistribution des ressources, il nationalise les chemins de fer (qui sont français et britanniques) et plusieurs grandes industries. Sur le plan social, il autorise les syndicats, à la condition qu'ils restent apolitiques, mais interdit la grève. Parallèlement, les salaires augmentent de 50 % dans l'industrie et de 30 % dans la fonction publique. La Constitution de 1949 entérine les acquis sociaux du justicialisme – dont fait partie le vote des femmes.

Un mois après l'échec d'une tentative de putsch, qui traduit la montée des tensions, Perón est triomphalement réélu le 11 novembre 1951. Mais la mort d'Eva, en juillet 1952, est suivie d'un coup d'arrêt au péronisme social. Alors que la crise économique déferle sur l'Argentine, le régime se durcit. Celui-ci prend aussi des mesures laïcisantes qui provoquent un conflit ouvert avec l'Église d'Argentine et déclenchent d'importantes manifestations dans tout le pays. Excommunié par le Vatican et lâché par l'armée en 1955, le président doit fuir. Il se réfugie dans l'Espagne de Franco.

3. L'exil et la réhabilitation

Pendant les dix-huit années que dure l'exil de son ancien leader, l'Argentine reste marquée par le justicialisme, dont témoigne l'élection à la présidence, en 1958, d'Arturo Frondizi (1908-1995). Cependant, la tentation putschiste y est permanente. De Madrid, Perón demande à ses partisans de voter blanc à chaque élection et exerce son emprise sur la vie politique de son pays. Réhabilité en 1971, il revient en héros et se fait réélire président en septembre 1973.

Or, l'Argentine ne vient pas à bout de la récession et la violence s'y déchaîne. Perón est conduit à prendre des mesures qui le rendent impopulaire. Sa mort survient alors que ses partisans se déchirent. En un ultime hommage, une grève générale de trois jours est décrétée. C'est sa troisième épouse, Isabel, qui lui succède à la tête de l'État.

4. Eva Perón, l'idole d'un peuple

Celle qui fut « Evita » pour les descamisados (les « sans-chemise »), le peuple déshérité de l'Argentine, était une ancienne actrice de théâtre puis de cinéma. Devenue la deuxième épouse de Juan Perón, elle eut la haute main sur les affaires sociales. Elle animait aussi sa propre émission de radio, où elle répondait en direct au courrier pléthorique qu'elle recevait.

Mise à la tête du parti péroniste féminin en 1947, la première dame d'Argentine apprit trois ans plus tard qu'elle était atteinte d'un cancer. En 1951, pressentie pour occuper le poste de vice-présidente de la République, elle dut y renoncer sous la pression de l'armée. En revanche, elle fut proclamée « chef spirituel de la nation ».

Elle succomba le 26 juillet 1952. Quinze jours durant, les Argentins défilèrent dans la chapelle ardente qui avait été dressée au ministère du Travail. Longtemps encore, le souvenir d'Eva Perón imprégna la mémoire collective.

Pour en savoir plus, voir les articles Argentine : histoire, Argentine : vie politique depuis 1945.