Ivan Petrovitch Pavlov

Physiologiste et psychologue russe (Riazan 1849-Leningrad 1936).

La vie

Après avoir reçu une instruction secondaire au séminaire de la ville, il s'oriente, sous l'influence, dit-il, de la littérature des années 1860 et notamment de Pissarev, vers les sciences naturelles, qu'il va étudier à l'université de Saint-Pétersbourg. Quelques années plus tard, il entreprend d'obtenir le titre de docteur en médecine, indispensable pour pouvoir enseigner la physiologie. Il travaille alors plusieurs années comme assistant et comme chercheur, et durant cette période séjourne quelque temps à l'étranger. En 1890, il reçoit une chaire, un laboratoire personnel, et désormais son activité est entièrement consacrée à son enseignement et à ses recherches. Celles-ci, qui avaient d'abord concerné la régulation nerveuse du système cardio-vasculaire, portent surtout, pendant une première période, sur la physiologie des glandes digestives ; un prix Nobel de médecine vient dès 1904 reconnaître leur importance.

C'est en étudiant le rôle du système nerveux dans le fonctionnement de ces glandes, et plus particulièrement le déterminisme de la sécrétion « psychique », que Pavlov est conduit à découvrir l'existence du réflexe conditionnel ; son rapport au Congrès médical international de Madrid, présenté sous le titre la Psychologie et la psychopathologie expérimentales sur les animaux, date de 1903. Ces travaux prennent peu à peu une extension considérable et, en dépit de difficultés matérielles dues à la guerre et à la guerre civile, ils ne cessent de se développer.

En 1921, Lénine signe lui-même un décret spécial destiné à permettre l'établissement des conditions les plus favorables aux recherches de Pavlov ; Gorki est nommé président de la commission créée à cet effet, et la station biologique de Koltouchi, équipée notamment pour l'étude des singes anthropoïdes, est construite peu après.

Pendant vingt-cinq ans encore Pavlov poursuit et élargit ses recherches, accordant notamment un intérêt grandissant à la physiopathologie et à la psychopathologie. Il a de nombreux élèves et collaborateurs et développe une véritable école, animée par les vives discussions qui marquent ses séminaires des « Mercredis ».

L'œuvre et la méthode scientifiques

Ses travaux ont été développés en Union soviétique par la pléiade de chercheurs de grande valeur qu'il avait formés. Dans les années 1950, un mouvement doctrinal en faveur d'un « pavlovisme » conçu de façon assez étroite s'est développé, notamment autour d'Ivanov-Smolenski, mais ses caractéristiques sont restées modérées, sans doute en raison de la valeur intrinsèque des principes de Pavlov dont il se réclamait. La postérité de Pavlov s'est ensuite beaucoup diversifiée et elle a couvert pour l'essentiel les champs de la neurophysiologie et de la psychophysiologie contemporaines.

La notion fondamentale dans l'œuvre de Pavlov est celle d'activité nerveuse supérieure, notion qu'il utilise de façon continue pendant la plus grande partie de sa vie. C'est à tort que l'on utilise à son propos le terme de réflexologie, qui renvoie plutôt aux conceptions de Bekhterev.

Lors de ses premiers travaux sur l'activité cardio-vasculaire, puis de ceux sur les glandes digestives, Pavlov fut particulièrement préoccupé par le rôle que joue le système nerveux dans la régulation des divers processus physiologiques. Le « nervisme », défendu avant lui par Sergueï Petrovitch Botkine (1832-1889), et les idées développées par celui qu'il considérait comme le père de la physiologie russe, Ivan Setchenov (1829-1905), l'imprégnaient profondément. Son souci fut dès lors en permanence de comprendre le fonctionnement de cette activité nerveuse, qu'il qualifiait de « supérieure » à la fois parce qu'elle était pour lui un instrument perfectionné d'adaptation de l'organisme au monde extérieur et parce qu'elle lui paraissait en définitive, comme elle l'avait été pour Setchenov, identique dans sa nature à l'activité psychologique ; c'est sur ces points qu'il se sépara en particulier de son contemporain sir Charles Scott Sherrington (1857-1952).

Pour étudier cette activité nerveuse supérieure (ou psychique), Pavlov n'accepta de suivre qu'une seule voie, celle de l'expérimentation ; ses premières années de formation au travail du laboratoire de physiologie l'avaient convaincu de la fécondité de cette méthode, et surtout de son universalité.

À la différence de la plupart des philosophes de son époque et même de bon nombre d'hommes de science, il n'acceptait pas l'idée que la méthode expérimentale, que l'idée du déterminisme et les règles de l'explication objective pussent cesser d'être valides au seuil de l'étude des phénomènes « psychologiques » ; cette limitation lui semblait plus particulièrement injustifiée pour les recherches sur l'animal. Cela se traduisit par le conflit qui l'opposa un moment à certains de ses collaborateurs à propos de la sécrétion psychique : il refusa alors catégoriquement d'« entrer dans l'état intérieur de l'animal et de (se) représenter à (sa) façon ses sensations, sentiments et désirs ». À cette façon de voir, il substitua avec vigueur une façon de voir qu'il appelait « physiologique », qu'aujourd'hui nous qualifierions sans doute plus simplement d'« objective » et qui consistait pour l'essentiel dans la recherche des conditions extérieures, des « excitants » ou des relations entre « excitants » qui donnent naissance à la sécrétion. C'est ainsi que non seulement il mit en évidence le concept scientifique nouveau de réflexe conditionnel (ou conditionné), mais encore que, bien au-delà de ce dernier, il s'affirma en même temps comme l'un des fondateurs de la psychophysiologie et de la psychologie scientifiques. Dans cette perspective, en effet, le réflexe conditionnel n'était lui-même qu'une manifestation extérieure et, à certains égards, qu'un moyen d'étude de ce qui demeurait l'objet scientifique principal, à savoir précisément l'activité nerveuse supérieure.

Dans l'utilisation que fit Pavlov de la méthode expérimentale, un aspect supplémentaire doit être particulièrement souligné, en raison de la lumière qu'il apporte sur ses conceptions générales : c'est l'insistance mise à n'étudier que des animaux intacts. Sous cet angle, Pavlov fut aussi un précurseur de l'expérimentation contemporaine sur des animaux « chroniques » plutôt que « aigus » ; il s'opposa avec vivacité – et non, sans doute parfois, sans quelque injustice – à l'étude analytique d'animaux soumis à la vivisection, à la narcose, ou à celle qui portait sur des organes isolés, et il s'en tint strictement à celle d'organismes n'ayant subi que des interventions mineures, non susceptibles d'altérer leurs relations générales avec leur milieu.

L'héritage de Pavlov

L'œuvre de Pavlov a profondément influencé le développement de la psychophysiologie et de la psychologie expérimentale modernes. Cela, toutefois, ne s'est pas fait sans quelques changements d'éclairage, surtout pour la dernière. Les découvertes de Pavlov sur la nature et le fonctionnement des réflexes conditionnels, sur leurs conditions d'établissement, sur les processus qui leur sont connexes, extinction, généralisation du stimulus, discrimination ou différenciation, etc., ont fourni un contenu et imprimé un élan indiscutable aux recherches conduites sur les processus d'apprentissage ; mais celles-ci se sont faites ensuite, pour l'essentiel, dans une perspective béhavioriste. Le fait historique marquant en ce domaine est justement que les grands théoriciens américains de la psychologie du comportement, à commencer par J. B. Watson lui-même, puis de façon plus systématique C. L. Hull, B. F. Skinner et bien d'autres après eux, ont réinterprété les phénomènes de conditionnement dans leur propre perspective, qui était celle du béhaviorisme dit « S-R » (« stimulus-réponse »).

Cette évolution a eu une double conséquence : d'une part l'étude expérimentale intensive et minutieuse de ces phénomènes a conduit à les connaître de façon plus précise, à rectifier des erreurs, à modifier des explications, à apporter des faits nouveaux – comme ceux qui sont relatifs au conditionnement instrumental ou opérant, qui se situe hors de la conception pavlovienne – et aussi à vérifier leur extension et à situer leurs limites, chose particulièrement importante lors du passage de l'animal à l'homme ; l'acquis en cette matière est considérable.

Mais d'autre part s'est trouvée surimposée à ces données scientifiques, et parfois confondue avec elles, une conception épistémologique particulière, de caractère essentiellement positiviste, qui réduit à leur minimum, et parfois à rien, les conclusions que l'on peut tirer pour la connaissance des processus internes de l'observation du comportement.

Il convient donc de bien garder présente à l'esprit l'idée que, ni réflexologie ni béhaviorisme S-R, la conception de l'activité nerveuse supérieure élaborée par Pavlov mérite d'être considérée pour ce qu'elle est, à savoir une théorie générale qui, en dépit d'un certain nombre d'invalidations locales, de compléments et de remaniements apportés par la recherche postérieure, conserve aujourd'hui encore un intérêt réel et, en tout cas, dépasse de loin la caricature qu'en donne parfois la réduction à une mécanique de réflexes conditionnels.