Giotto di Bondone
Peintre, mosaïste et architecte italien (Colle di Vespignano, dans le Mugello, 1266-Florence 1337).
À ses débuts, Giotto di Bondone est lié à la tradition byzantine du xiiie s., dont il se libère vite pour engager résolument la peinture dans des voies modernes. L'historien d'aujourd'hui cerne avec difficulté cette personnalité hors du commun, cet homme du Moyen Âge qui révolutionna l'art de son temps. Beaucoup des travaux de Giotto, attestés par documents, sont aujourd'hui détruits. Des imitateurs ou des élèves s'emparèrent de ses modèles, témoignant de l'universalité et de la portée immense de son œuvre jusqu'à la fin du xive s. De son vivant, Giotto connut une célébrité sans égale et fut loué par Dante, Boccace, Pétrarque, ses contemporains.
1. Les débuts
La formation de Giotto et son œuvre antérieure à 1300 posent encore de nombreux problèmes. Le peintre s'initia certainement auprès de Cimabue, dont la gloire fut éclipsée par celle de son élève. Pourtant, tout en perpétuant la culture byzantine, Cimabue tend dans ses fresques de l'église supérieure d'Assise à une humanisation des figures sacrées qui annonce l'art de Giotto. Celui-ci puise aussi à d'autres sources. Les mosaïstes romains groupés autour de Pietro Cavallini vers 1280-1290, héritiers de la tradition antique, les sculpteurs contemporains, d'où émergent Nicola et Giovanni Pisano, préludent à la monumentalité de ses figures peintes. Enfin, un foyer intellectuel se crée à Assise après la mort de saint François (vers 1226) et attire l'élite artistique du temps.
Une esthétique jusque-là inconnue
Giotto, entouré d'artistes romains et siennois, peint en l'église supérieure d'Assise son premier grand cycle de fresques sur le thème de la vie de saint François. La critique s'accorde généralement à lui attribuer les décors des registres inférieurs des travées, peints probablement en 1296-1297 et avant 1301. Les vingt-huit compositions obéissent à une disposition tripartite traditionnelle, mais Giotto introduit des éléments plastiques encore inconnus : dans la Vision des compagnons de saint François, l'artiste applique une double perspective, l'une au sol, l'autre dans le ciel, confrontant ainsi le naturel et le spirituel ; il intègre ainsi, pour la première fois, des volumes exprimés en trois dimensions dans une architecture spatiale cohérente.
Renonçant, sous l'influence de l'esthétique franciscaine, à l'abstraction symbolique des thèmes, il anime ses personnages selon une narration dramatique puissante. Dans les fresques de la Prédication de saint François aux oiseaux ou de la Renonciation aux biens de ce monde, il développe ce sens narratif et réaliste qui lui est propre. Antérieur à 1300, son Crucifix de l'église Santa Maria Novella (Florence) obéit à la tradition iconographique d'un Cimabue. Cependant, Giotto confère une vie nouvelle, plus humaine à l'image du Christ, terrible et rigide, de ses prédécesseurs.
2. Après 1300
En 1300, Giotto réside à Rome, où est célébré le jubilé du pape. Son Boniface VIII présidant le jubilé (Saint-Jean de Latran), totalement restauré, paraît exécuté par son vaste atelier. De 1301 à 1304, l'artiste travaille à Florence. Une œuvre de cette époque, le panneau de Saint François recevant les stigmates (Louvre), justifie son attribution par analogie avec le même thème traité en fresque à Assise. Le polyptyque de l'église Santa Croce de Florence (vers 1301-1302) offre un modèle typiquement gothique : surmontés d'arcs trilobés, les volets qui représentent les saints entourent le panneau central de la Vierge et l'Enfant. La grande Maestà de l'église d'Ognissanti (galerie des Offices) ou le Crucifix de Rimini obéissent eux aussi à la stricte iconographie sacrée, mais Giotto leur apporte une vie nouvelle par la vérité et la puissance des formes. Dans ses fresques de la chapelle de l'Arena de Padoue, commandées par les Scrovegni et exécutées entre 1303 et 1307, sur les thèmes de l'histoire de la Vierge et de celle du Christ, il tend à une unité plastique et dramatique accomplie.
Dans les scènes du Baiser de Judas ou de la Rencontre de Joachim et d'Anne à la porte dorée, il accentue la puissance dramatique de ses personnages. L'imbrication des groupes et leur opposition traduisent une expression psychologique intense. Dans la Fuite en Égypte ou la Déploration du Christ, une même raison plastique et dramatique anime la scène, et écarte tous les éléments anecdotiques. Le sens du sacré est renforcé par une analyse de plus en plus profonde de la nature humaine. D'autre part, Giotto applique une logique nouvelle dans la perspective, plaçant en premier plan des figures plus grandes qu'au second plan, comme dans l'Ascension du Christ. Enfin, il découvre les ressources de la lumière pure et crée des harmonies de teintes plus riches et plus nuancées qu'à Assise.
3. La maturité
3.1. L'appel du roi de Naples
Plus rien ne subsiste des travaux de Giotto à Rimini vers 1311. De 1315 à 1317, l'artiste exécute au palais communal de Padoue des fresques à sujets profanes, aujourd'hui détruites. À Florence, entre 1317 et 1327, il est le maître d'œuvre des décorations des chapelles Bardi et Peruzzi en l'église Santa Croce, le dernier grand ensemble qui nous soit parvenu.
Dans cette ultime phase de son évolution, il assouplit la rigueur géométrique de ses formes, maintenant plus élégantes. Le canon des figures s'allonge, peut-être sous l'influence de Simone Martini et de l'art siennois, dans les scènes de la vie de saint François à la chapelle Bardi. Dans les fresques de la vie de saint Jean-Baptiste et de saint Jean l'Évangéliste à la chapelle Peruzzi, Giotto crée une animation plus fluide et plus dense à la fois par l'utilisation de compositions en biais. La cohésion entre les personnages et l'espace architectural, le modelé très souple des formes sur lesquelles tourne la lumière annoncent directement les conquêtes spatiales de Masaccio, cent ans plus tard.
Vers 1328, Giotto quitte Florence, appelé par Robert le Sage, roi de Naples. Il reste jusqu'en 1332 à cette cour brillante, que fréquentaient Boccace et Pétrarque, et réalise, semble-t-il, pour le palais du roi une Suite de l'histoire des grands hommes. Malheureusement, toutes ses peintures profanes mentionnées jadis ont aujourd'hui disparu.
3.2. Retour à Florence
En 1334, Giotto est nommé surintendant des bâtiments de Florence. Il dresse les plans de l'élévation du célèbre campanile. En 1335-1336, nous savons qu'il décore le palais d'Azzone Visconti à Milan. À sa mort, en 1337, Giotto est enterré avec les plus grands honneurs dans la cathédrale de Florence.
De cette dernière décennie de sa vie, quelques retables nous sont seuls connus. Ainsi, le polyptyque dispersé avec la Vierge et l'Enfant (Washington) et les volets de Saint Étienne (Florence) et de Saint Laurent et Saint Jean l'Évangéliste (Paris, musée Jacquemart-André) témoigne de l'assouplissement du style de Giotto. Dans le polyptyque Baroncelli (église Santa Croce), représentant le couronnement de la Vierge, il insiste sur l'élégance des figures et sur la délicatesse du coloris. L'attribution du polyptyque Stefaneschi (Vatican) à Giotto lui-même pose le problème de l'ultime évolution de l'artiste, qui tend alors vers le gothique international, dans un style « courtois » dont s'inspireront ses élèves.
4. Les élèves de Giotto
Les premiers « giottesques », comme le Maître des Vele d'Assise, auteur des fresques de la chapelle de la Madeleine en l'église inférieure d'Assise, ou le Maître florentin du retable de sainte Cécile (Offices), paraissent archaïsants. Taddeo Gaddi évolue dans un sens plus original. Ses fresques de la chapelle Baroncelli à Santa Croce (1332-1338) présentent un ton plus gracieux et plus naturaliste, dans la perspective finale de Giotto. Gaddi dépasse même son maître par l'emploi d'effets lumineux très audacieux.
Maso di Banco, inscrit à la corporation des peintres de Florence en 1343, s'exprime avec un sens narratif encore jamais atteint dans ses fresques de la chapelle Bardi à Santa Croce. Il découvre les graduations de la lumière et de l'ombre, et son chromatisme, d'une exceptionnelle richesse, influencera Bernardo Daddi. Ce dernier excelle dans les représentations narratives et pittoresques sur des panneaux de petit format. Son triptyque de la Vierge à l'Enfant (Offices) signé et daté de 1328, et celui du Louvre, vers 1335, ont déjà oublié les leçons spatiales et monumentales de Giotto.
Quant à l'artiste identifié au Maestro Stefano de Vasari par le professeur Roberto Longhi, il prélude directement au gothique international. Une poésie inédite émane de son Couronnement de la Vierge en l'église inférieure d'Assise ; dans ses fresques de l'église Santa Chiara, il définit un canon de beauté très pure, qui laisse présager le style européen de la fin du xive s.
5. Les disciples de Giotto dans la seconde moitié du xive s.
La grande peste noire de 1348 creuse un fossé profond entre les deux moitiés du siècle. L'esprit franciscain s'efface devant l'essor des Dominicains. De nouveaux thèmes religieux apparaissent : la mort, le châtiment. L'esthétique de Giotto se perpétue encore, mais le niveau artistique baisse profondément. Andrea di Cione, dit l'Orcagna, fait figure de chef d'école. Les fragments de sa fresque du Triomphe de la mort, en l'église Santa Croce, traduisent bien le climat psychologique d'alors. De nombreux aspects archaïsants, la suppression des recherches spatiales apparaissent dans l'art de son frère Nardo di Cione (connu de 1343 à 1366, auteur des fresques de la chapelle Strozzi à Santa Maria Novella, ou chez Jacopo di Cione (cité de 1365 à 1398), le moins inspiré des trois frères. Enfin, l'académisme froid et artisanal d'un Niccolo di Pietro Gerini (actif de 1368 à 1415) n'est plus d'aucun apport pour la tradition florentine.
Giovanni da Milano enrichit la sensibilité gothique d'apports lombards, siennois et avignonnais : ceux-ci, ennoblis par la grande leçon florentine de Giotto, serviront de base au style gothique international. Giottino, fils de Stefano, travaille avec G. da Milano à Rome. Andrea da Firenze (connu de 1343 à 1377), auteur des décors de la chapelle des Espagnols à Santa Maria Novella, épuise la tradition de Giotto dans un académisme médiocre. Agnolo Gaddi (?-1396), fils de Taddeo Gaddi, Spinello Aretino ou Antonio Veneziano (actif de 1369 à 1388) tentent vainement de renouer avec l'esprit de Giotto. Renonçant à l'esthétique du gothique international, qui, d'ailleurs, a peu marqué Florence, Masaccio, premier peintre de la Renaissance au début du xve s., étudiera les fresques de Giotto et retrouvera leur monumentalité.