Patrice Chéreau
Metteur en scène et cinéaste français (Lézigné, Maine-et-Loire, 1944-Paris 2013).
Du festival de Nancy au théâtre de Sartrouville
En 1965, Patrice Chéreau « naît » au théâtre, avec sa troisième mise en scène : l'Héritier de village, de Marivaux, au festival de Nancy. Il a 21 ans. Labiche lui apporte un début de notoriété, avec l'Affaire de la rue de Lourcine, vaudeville-poursuite transformé en farce expressionniste. Déjà, Chéreau a ses « fans » et ses ennemis inconditionnels. Créateur d'images fastueuses, il met en scène les moments de la vie, des rives de l'enfance aux abords de la mort.
En 1967, il monte les Soldats, de Lenz, qui reçoit le prix du Concours des jeunes compagnies. La municipalité de Sartrouville offre à Chéreau son théâtre, un contrat de trois ans, une subvention trop faible pour assurer les productions et les actions culturelles inscrites au cahier des charges. En 1969, Chéreau, en faillite, perd le théâtre. Avec la collaboration du peintre Richard Peduzzi, de l'éclairagiste André Diot et de Jacques Schmidt pour les costumes, Chéreau avait créé à Sartrouville deux pièces chinoises (la Neige au milieu de l'été et le Voleur de femmes), dont l'élément le plus mémorable était le décor, assemblage de plates-formes, de poulies, de passerelles.
Lyon et Villeurbanne
Le principe du décor, machine théâtrale à vif, se retrouve « machine à tuer le libertin » dans le Don Juan que Chéreau monte à Lyon, au Théâtre du VIIIe (en 1968). Il se reconnaît dans la « machine-piège » du Richard II de Shakespeare qu'il met en scène à Marseille puis à l'Odéon, où il fait du héros un enfant vulnérable, terré, tremblant de solitude. Il est enfin « machine à déchiqueter la vie », à disperser les corps dans l'eau noire où se brise la lune, où clapotent les pas de deux clowns funèbres, avec Massacres à Paris, de Marlowe, au TNP de Villeurbanne. À la demande de Roger Planchon, Chéreau y est nommé codirecteur en 1972. Il vient alors du Piccolo Teatro de Milan, où l'avait appelé Paolo Grassi. En 1973, la Dispute, de Marivaux, est créée au Théâtre de la Gaîté.
Entre 1973 et 1978, Chéreau monte peu de pièces de théâtre ; mais il met en scène le Ring de Wagner, à Bayreuth, avec Pierre Boulez (en 1976). Le tohu-bohu des wagnériens tourne à l'ovation. La Tétralogie est filmée, diffusée sur toutes les télévisions du monde, y compris aux États-Unis. Chéreau est une star internationale du lyrique. En 1978, sa Lulu, de Berg, avec Teresa Stratas dans le rôle-titre et sous la direction de Pierre Boulez, bouleverse par sa beauté chargée d'émotion.
Chéreau quitte le TNP. En 1982, il met en scène sur deux soirées Peer Gynt, d'Ibsen, au Théâtre de la Ville.
Le théâtre des Amandiers
À partir de 1982, Chéreau travaille dans un endroit où il est seul maître d'œuvre : la maison de la culture de Nanterre, devenue théâtre des Amandiers. En 1983, après Combat de nègre et de chiens, de son ami Bernard-Marie Koltès, il y monte les Paravents de Genet en farce picaresque. Le décorateur Peduzzi a placé l'histoire, transposition du « problème algérien » d'alors, dans un vieux cinéma de Barbès.
En 1984, Chéreau, qui revient au xviiie siècle, se livre au dépeçage des sentiments d'une aristocratie narcissique dans Lucio Scilla de Mozart, dans la Fausse Suivante de Marivaux, et dans Quartet de Heiner Müller, adaptation très lointaine des Liaisons dangereuses, dialogue entre Valmont et la marquise de Merteuil après la Troisième Guerre mondiale. « C'est une preuve d'optimisme, dit l'auteur, de penser qu'il restera des survivants... »
Patrice Chéreau continue cependant à s'intéresser aux textes contemporains, et monte de nouveau des œuvres de Bernard-Marie Koltès : Quai Ouest en 1986, Dans la solitude des champs de coton l'année suivante, le Retour au désert en 1988. Cette même année, Chéreau monte Hamlet au Festival d'Avignon.
À la fin de la saison 1989-1990, Chéreau quitte le théâtre des Amandiers. Par la suite, il se consacre de plus en plus à la mise en scène d’opéras (Wozzeck, de Berg, 1993 ; Don Giovanni, de Mozart, 1994 ; Così fan tutte, id., 2005 ; Tristan et Isolde, de Wagner, 2007 ; De la maison des morts, de Janáček, id. ; Elektra, de Richard Strauss, 2013) et au cinéma.
Le cinéma
La Reine Margot (1994), d'après Alexandre Dumas, avec Isabelle Adjani dans le rôle-titre, remporte le prix du Jury du Festival de Cannes. C'est le cinquième film de Patrice Chéreau, qui – par ailleurs comédien dans des films comme Danton d'Andrzej Wajda (1982) ou Adieu Bonaparte de Youssef Chahine (1985) – se tourne vers la mise en scène de cinéma dès 1975 avec la Chair de l'orchidée. Adapté de James Hadley Chase, ce « polar » esthétisant se verra reprocher trop de... théâtralité.
Suivront le plus réaliste Judith Therpauve (1978), où Simone Signoret interprète la directrice d'un quotidien de province tentant de sauver son journal, l'Homme blessé (1983), histoire d'une passion homosexuelle, qui trouble le Festival de Cannes mais remporte le César du meilleur scénario, Hôtel de France (1987), d'après Ce fou de Platonov de Tchekhov, avec la troupe des comédiens de Nanterre, Ceux qui m'aiment prendront le train (1998 ; César 1999 du meilleur réalisateur), Son frère (2003 ; Ours d’argent du meilleur réalisateur), Gabrielle (2005) et Persécution (2009). Quant à Intimité (2001), son premier film en anglais, il a obtenu l'Ours d'or du festival de Berlin. Adapté du roman éponyme d'Hanif Kureishi, il raconte la relation charnelle de deux amants londoniens.