Eugène Louis Bouvier

Naturaliste français (Saint-Laurent-Grandvaux, Jura, 1856-Maisons-Laffitte 1944).

Fils d'agriculteurs jurassiens, il commence son initiation aux sciences naturelles en herborisant sous la direction de l'instituteur de son village. Il devient lui-même instituteur, puis entre comme boursier au Muséum d'histoire naturelle et fait des études supérieures brillantes. Docteur ès sciences en 1887, agrégé des Écoles de pharmacie deux ans plus tard, il sera professeur à l'École de pharmacie de Paris, puis sous-directeur du laboratoire de zoologie anatomique à l'École des hautes études avant d'occuper, à partir de 1895, la chaire de zoologie du Muséum. En 1902, il entre à l'Académie des sciences.

L'activité scientifique de Louis Bouvier se situe à la période de transition durant laquelle la zoologie a progressivement cessé d'être descriptive pour devenir explicative et trouver un prolongement dans la biologie. Ses premiers travaux portent sur la morphologie des gastéropodes prosobranches (c'est-à-dire des mollusques dont les branchies et les oreillettes se trouvent en avant du ventricule), comme le murex, dont on tirait autrefois la pourpre, le buccin ou le bernicle. Durant ses recherches, il s'aperçoit rapidement que l'évolution seule peut donner un sens à la morphologie du système nerveux des gastéropodes dont il a étudié les formes archaïques, et il devient un partisan résolu du transformisme.

Louis Bouvier s'intéresse ensuite aux péripates ou onychophores, arthropodes (invertébrés) très primitifs qui ressemblent à des limaces. Survivants d'une époque depuis longtemps révolue, les péripates tiennent à la fois des vers et des articulés – ils ont plusieurs paires d'appendices – et se sont adaptés à la vie terrestre bien qu'issus de formes aquatiques. Bouvier souligne leur extrême diversité, étudie leurs migrations à la surface du globe, les différences existant dans leur développement et la transformation progressive des espèces vivipares (dont l'œuf se développe à l'intérieur de l'utérus) en espèces ovipares (qui se reproduisent par des œufs).

Dès 1888, Louis Bouvier a commencé à étudier les crustacés, et tout particulièrement les décapodes, qui ont cinq paires de pattes thoraciques servant à la marche ou à la préhension (crabes, crevettes, homards, etc.). Ses travaux permettent de résoudre un certain nombre d'énigmes posées par la répartition des espèces et le peuplement des grands fonds océaniques. Grâce à Bouvier, on sait que, à mesure que certains crustacés, comme les galathéidés abyssaux, ont émigré du littoral vers les profondeurs, leurs yeux se sont dilatés pour percevoir la faible lumière les entourant, puis qu'ils se sont atrophiés et couverts d'épines, sont devenus aveugles mais ont développé, en revanche, des poils sensoriels spéciaux sur leurs antennules.

De 1918 à 1938, Louis Bouvier consacre une grande part de son temps aux insectes, et ses livres sur les mœurs des hyménoptères – abeilles, guêpes, fourmis… – ont une large audience dans le public. En 1918, paraît la Vie psychique des insectes. Comme il l'écrit : « …tout surprend chez les insectes, même lorsque, arrivés au terme de leur évolution physique, ils semblent se rapprocher de nous et se livrent à des activités humaines… on dirait que l'insecte n'appartient pas à notre globe… qu'il appartient à une autre planète… ». Bouvier s'efforce de saisir le mécanisme de leur évolution psychique, il analyse le déterminisme de leurs actes réflexes, il étudié leur faculté d'orientation, leur vie sociale. Dans un autre de ses ouvrages, le Communisme chez les insectes (1926), il expose ses idées sur l'évolution du phénomène social et évoque les problèmes posés par les activités multiples et souvent étonnantes des sociétés d'insectes. Selon Bouvier, les vertébrés, série dans laquelle l'homme occupe la place la plus éminente, et les insectes représentent le terme actuel de deux voies par où s'est accomplie l'évolution psychique du règne animal.

« Mettons-nous au travail »

« Mettons-nous au travail »



« Un grand vieillard à barbe courte, toujours habillé de noir, la figure profondément burinée, marquée de taches brunâtres, aux yeux purs comme ceux d'un sage de la mer Égée, au regard triste derrière des lunettes à monture de fer. » Ainsi était décrit Louis Bouvier au soir de sa vie par l'un de ses confrères du Muséum. Le travail fut à peu près l'unique préoccupation de cet homme de science, bienveillant mais avare de son temps, toujours pressé et préoccupé. Ses discours ou ses allocutions se terminaient invariablement par des phrases comme celles-ci : « J'ai hâte d'en finir, mes chers confrères, nos instants sont précieux et les discours me doivent en prendre qu'une faible part. Mettons-nous au travail. »