Amedeo Modigliani
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la peinture ».
Peintre et sculpteur italien (Livourne 1884 – Paris 1920).
Il appartenait à une famille d'origine israélite et, de santé délicate, connut une enfance et une adolescence difficiles. En 1898, il entre à l'École des beaux-arts de Livourne dans l'atelier de Guglielmo Micheli, artiste mineur en qui se poursuit la tradition des " macchiaioli ". Il fréquente en 1902 l'École des beaux-arts de Florence et l'année suivante celle de Venise. Cultivé, aimant la poésie (Dante et D'Annunzio en particulier), il eut très tôt la certitude qu'un destin hors du commun devait exiger un don de soi total, comme l'atteste sa correspondance en 1901 avec son ami Oscar Ghiglia : " Tiens pour sacré tout ce qui peut exalter et exciter ton intelligence. Affirme-toi et dépasse-toi sans cesse. "
Il arrive à Paris au début de 1906, s'installe à Montmartre, rue Caulaincourt, à proximité du Bateau-Lavoir, et mène d'abord une existence fort sage. Ses premiers tableaux révèlent un intérêt assez discret pour le Cubisme, alors à ses débuts, et indiquent plutôt une certaine affinité avec Steinlen, Lautrec et les Picasso de l'époque bleue (la Juive, 1908). C'est vers la fin de 1907 qu'il fait la connaissance de son premier amateur, le docteur Paul Alexandre, dont il laissera plusieurs portraits. Il expose aux Indépendants en 1918.
En 1909 prend place un court séjour à Livourne : Modigliani peint le Joueur de violoncelle, où la ligne l'emporte déjà sur la touche et la couleur et où l'on pressent le canon modiglianien. Mais, surtout, il rencontre cette année-là le sculpteur Brancusi et se transporte cité Falguière, fief des sculpteurs, à Montparnasse. Jusqu'en 1913, les essais de plastique pure dominent son activité, et les tableaux exécutés sont peu nombreux (une trentaine). Modigliani renonce à la sculpture à la fois pour des raisons matérielles (cherté du matériau) et pour des raisons ayant trait à sa santé (il ne voulait pratiquer que la taille directe) ; il laisse 25 sculptures (Paris, M. N. A. M. ; Washington, N. G.), représentant presque toutes des têtes, la plupart étant restées à l'état d'ébauches. Avant qu'il ne se consacre exclusivement à la peinture, cette expérience est importante, car elle lui permet d'acquérir un dessin racé, restituant d'un seul jet des volumes très pleins et où la leçon de l'art archaïque ainsi que celle de l'art baoulé (Côte-d'Ivoire) sont sensibles (multiples variations sur le thème de la caryatide : New York, Guggenheim Museum ; Paris, M. N. A. M.).
En 1916, Modigliani se lie avec Léopold Zborowski, qui s'occupera de la diffusion de son œuvre, et Paul Guillaume (Portraits de Paul Guillaume, Paris, Orangerie, coll. Walter-Guillaume, et Milan, G. A. M.) lui achète des tableaux dès 1915, mais la liaison (1914-1916) de l'artiste avec la journaliste anglaise Béatrice Hastings l'entraîne sur la voie d'une existence qui deviendra de plus en plus déréglée. La reprise de contact avec la peinture admet une brève et singulière réminiscence du Divisionnisme, tantôt assez maladroitement exploité (Frank Haviland, 1914, Los Angeles, County Museum), tantôt intégré dans un graphisme large et souple (Diego Rivera, 1914, musée de São Paulo). Sous l'influence du Cubisme, les portraits (dont les modèles sont des amis) de 1915-16 se distinguent par leur composition rigoureuse, articulant de grands plans, et un dessin précis (Kisling, 1915, Düsseldorf, K. N. W. ; musée de Cincinnati). C'est à l'issue de cette période que Modigliani apparaît en possession de son style, où l'arabesque cerne avec aisance un volume nettement suggéré, tandis qu'une matière économe, mais pourtant présente, est le véhicule d'une gamme de couleurs généralement sobre (ocres pour les chairs, bruns, gris, noirs, relevés de bleu et de vert), qui s'éclaircira dans les deux dernières années (la Servante, 1916, Zurich, Kunsthaus). La réduction, évidente, à un schéma caractéristique ne porte pas atteinte et ne nuit pas à l'expression de la personnalité, souvent tranchée, des modèles (Soutine, 1916, Washington, N. G. ; Blaise Cendrars, 1917).
À partir de 1916-17, les nus deviennent plus fréquents ; ils étaient surtout dessinés auparavant, et Modigliani y respecte davantage la réalité que dans ses portraits. Son tempérament classique se manifeste éminemment dans la recherche de la mélodie rythmique que développent les lignes d'un corps (Nu couché, 1917, Milan, coll. Mattioli) ; en 1918 et 1919, Modigliani atténue seulement la plasticité du contour, renonce à la hiérarchie intérieure des volumes au profit de leur continuité (Nu accroupi, musée d'Anvers ; Grand Nu, 1917, New York, M. O. M. A.). Quand il rencontre Jeanne Hébuterne (1917), il retrouve d'abord un peu de stabilité. Jeanne inspire (avec Lunia Czecowska) les plus belles œuvres des dernières années, et, si le caractère maniériste de l'allongement des lignes (du cou en particulier) se généralise, Modigliani compose avec un sens très subtil de l'effet décoratif et expressif (Jeanne Hébuterne accoudée à une chaise, 1918, Suisse, coll. part. ; le Maillot jaune, 1919, New York, Guggenheim Museum ; Femme à l'éventail, M. A. M., Ville de Paris ; la Bohémienne, 1919, Washington, N. G.), sans pour autant que soit toujours oubliée la leçon cézannienne (le Jeune Apprenti, Paris, Orangerie, coll. Walter-Guillaume ; le Petit Paysan, 1918, Londres, Tate Gal. ; le Garçon à la veste bleue, 1919, musée d'Indianapolis). Jeanne Modigliani naît en novembre 1918, et son père fait un séjour à Nice (1918-19) pour rétablir une santé désormais trop compromise : miné par les excès et la tuberculose, il meurt à l'hôpital de la Charité le 24 janvier 1920, et Jeanne Hébuterne se suicide le lendemain. L'art de Modigliani, génie méridional et classique, essentiellement dessinateur et plasticien, a pu s'intégrer pourtant avec aisance dans celui du début du siècle. S'il trouve en effet ses sources, comme tant de ses contemporains, dans les expressions archaïques européennes et africaines, il a pour but de donner, dans le portrait et le nu exclusivement, un aspect moderne de la réalité et non de promouvoir une conception nouvelle de l'œuvre, à quoi s'attachaient surtout les novateurs de son entourage. Le M. A. M. de la Ville de Paris lui consacra une exposition rétrospective en 1981.