Lucas Huyghensz, dit Lucas de Leyde

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la peinture ».

Peintre et graveur néerlandais (Leyde 1489 ou 1494  – id. 1533).

Venu au monde " le pinceau et l'outil de graveur à la main " (Van Mander), Lucas de Leyde est, par la variété et l'étendue de son œuvre, un des artistes les plus marquants de la première moitié du xvie s.

Fils et élève de Hugo Jacobsz, il entre en 1508 dans l'atelier de Cornelis Engebrechtsz et commence à peindre, dès cette époque, des scènes de genre de petit format, telle la Tireuse de cartes (Louvre). Comparables sont, vers 1510, des tableaux comme Suzanne devant le juge (musée de Brême ; disparu en 1945), la Femme de Putiphar (Rotterdam, B. V. B.), la Partie d'échecs (Berlin), présentant tous des figures cadrées à mi-corps, originaux par leur mise en page autant que par l'apparition de purs sujets de genre. Lucas est tout aussi précoce dans le domaine de l'estampe : en 1508, il grave sur cuivre l'Ivresse de Mahomet, œuvre savamment organisée, utilisant pleinement le contraste entre les ombres et les parties claires. Dans le domaine de l'estampe, il exécute en 1509 une série de 9 gravures sur cuivre de forme ronde représentant la Passion du Christ, où il étudie les attitudes et s'attache à l'analyse psychologique. Il affectionna particulièrement la gravure sur cuivre, mais grava également sur bois. C'est ainsi qu'entre 1511 et 1515 il illustre le Jardin de l'âme et orne de 42 vignettes représentant des saints le Missale ad verum cathedralis ecclesiae Traiectensis ritum, paru chez Jan Seversz à Leyde. En 1513-14, il tire une série de 7 gravures sur bois, dite " grande série de la femme " (Adam et Ève, Samson et Dalila, le Festin d'Hérodiade, Virgile suspendu dans un panier, Salomon adorant les idoles, la Reine de Saba devant Salomon, Aristote et Phylis). Parallèlement à ces illustrations, il grave sur cuivre, en 1510, le Porte-drapeau, inspiré du style de Dürer, qu'il connaissait par des estampes, et, en 1512, une série de 5 gravures racontant l'Histoire de Jacob, où la composition très soignée et les vêtements compliqués aux plis froissés révèlent une indiscutable influence du Maniérisme anversois ; de la même époque date la série de 13 gravures représentant le Christ et les apôtres. Sa carrière de graveur se poursuit avec le Triomphe de Mardochée (1515), Esther devant Assuérus (1518) et les Évangélistes. En 1520, il s'initie à la technique de l'eau-forte en exécutant le Portrait de l'empereur Maximilien Ier, copie exacte de la gravure sur bois que Dürer fit en 1519. Toutes ces œuvres témoignent de son souci constant de résoudre les problèmes de composition, de mouvement et d'expression ; tout est prétexte, pour lui, à représenter des scènes de genre, même les épisodes tirés de l'Ancien et du Nouveau Testament. Les Fiancés (v. 1519, musée de Strasbourg) et le Portrait de femme (v. 1520, Rotterdam, B. V. B.) figurent parmi les rares peintures qu'il exécuta à cette époque.

En 1521, il est à Anvers et rencontre Dürer, qui fait son Portrait à la pointe d'argent (daté de 1521, musée de Lille). Cette rencontre fut très importante : Lucas connaissait, avant 1521, l'œuvre du maître de Nuremberg et l'admirait ; l'entrevue d'Anvers permit aux deux hommes d'échanger leurs idées : " On a prétendu qu'Albert Dürer et lui se défièrent et cherchèrent à se surpasser " (Van Mander). Dès 1521, Lucas grave sur cuivre une série de 14 estampes dite " de la Petite Passion ", inspirée par la suite que Dürer exécuta de 1507 à 1513. Quant au voyage que Lucas, selon Van Mander, aurait fait dans les Flandres, à l'âge de trente-trois ans, en compagnie de Gossaert, il doit être placé en 1522 (et non en 1527), car on ne conserve aucune gravure datée de 1522 et la présence de Lucas de Leyde à Anvers est justement attestée en 1521. Rentré à Leyde, Lucas abandonne quelque peu la gravure pour se consacrer à la peinture. De 1522 date le diptyque de la Vierge à l'Enfant avec sainte Madeleine et un donateur (Munich, Alte Pin.), où l'on sent l'intérêt de l'artiste à peindre le paysage. À partir de 1526, Lucas s'intéresse au nu : en 1529, il grave sur cuivre 6 planches tirées de l'Histoire d'Adam et Ève, influencées par Marcantonio Raimondi et des sujets mythologiques (Vénus et Cupidon, 1528).

La plus grande réalisation de Lucas — et son vrai chef-d'œuvre — reste le fameux triptyque du Jugement dernier (1526-27, musée de Leyde), tableau votif peint à la mémoire de Claes Dirck Van Swieten pour l'église Saint-Pierre de Leyde et soigneusement préservé des troubles iconoclastes du xvie s. par les Leydois eux-mêmes, qui furent très vite conscients de l'exceptionnel intérêt de ce retable. Le Paradis (avec au revers Saint Pierre) et l'Enfer (avec au revers Saint Paul ) encadrent la scène du Jugement dernier, riche de tons clairs très précieux avivés par de grandes zones de lumière blanche. La scène centrale, qui se poursuit sur les volets, comprend peu de personnages, mais Lucas les étudia très attentivement et soigna plus particulièrement les liaisons entre les groupes en jouant sur l'opposition des corps clairs et du sol brun sombre. Peu après viennent les retables de l'Adoration du Veau d'or (Amsterdam, Rijksmuseum), Moïse frappant le rocher (1527, Boston, M.F.A.) et la Guérison des aveugles de Jéricho (1531, Ermitage), aux coloris sonores et raffinés, aux compositions savamment organisées, qui réalisent les tendances contenues dans l'art d'Engebrechtsz.

Lucas a laissé dans le domaine du portrait, aussi bien peint que dessiné, des chefs-d'œuvre surprenants de force plastique et d'intensité psychologique : Portraits d'hommes de Londres (N. G.) et de Madrid (fondation Thyssen-Bornemisza), Autoportrait de Brunswick (Herzog Anton Ulrich-Museum).

Artiste de réputation internationale, célébré par Vasari, Lucas de Leyde fut connu comme graveur plus que comme peintre. Nous conservons peu de tableaux de l'artiste (une quinzaine seulement), mais son assimilation égale du maniérisme gothique leydois (Engebrechtsz) et anversois, de Gossaert et des estampes de Dürer et de Marcantonio Raimondi le place au premier rang de l'art pictural des Pays-Bas du Nord dans le premier quart du xvie siècle. L'importance de Lucas de Leyde peintre apparaît d'abord dans le domaine de la scène de genre, traitée pour la première fois de façon indépendante, dans des mises en page directes et avec un souci de l'expression physionomique, ensuite dans un nouvel équilibre narratif de la peinture d'histoire, servi par l'harmonieuse distribution des personnages dans le déploiement du paysage, l'appoint de scènes annexes et un chromatisme sonore et lumineux. Ses principaux émules ont été Aertgen Van Leyden, Jan Wellens de Cock, Pieter Cornelisz, dit Kunst, et Jan Swart Van Groningen.