Paul Klee

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la peinture ».

Peintre allemand (Münchenbuchsee  1879  – Muralto, près de Locarno,  1940).

En marge des grands courants de l'art du xxe siècle, mais participant à la fois du Cubisme et du Surréalisme, de l'Expressionnisme et de l'Abstraction, la situation de Paul Klee est exceptionnelle par l'intérêt suscité dans le milieu restreint de l'art d'avant-garde et, après 1960, dans le public.

Apprentissages

Son père, Hans, et sa mère, qui étaient musiciens, lui inculquèrent l'art du violon à Berne. Après ses études, bien qu'il hésitât entre la musique et les arts plastiques, il s'inscrivit à l'Académie de Munich où il travailla à partir de 1900 l'anatomie avec Franz Stuck. Il poursuivit sa formation par un séjour en Italie au cours de l'hiver 1901-1902 à Rome puis à Naples et Florence. De retour à Berne, il y demeure jusqu'en 1906, gagne sa vie comme musicien de l'orchestre municipal et, dans l'espoir d'obtenir des commandes d'illustrations, travaille le dessin, la gravure et, dès 1905, les aquarelles " sous verre ". Les œuvres de ces premières années témoignent d'un effort intense pour se libérer de la tradition. Il introduit peu à peu le clair-obscur et s'essaie à la couleur, notamment dans le portrait " hodlérien " de sa Sœur (1903, Berne, K. M. fondation Paul Klee). Ses dessins respirent encore un symbolisme proche du Jugendstil : organisation de l'espace en fonction des seules structures linéaires, mais d'une sévérité et d'une rigueur que Michaux appelle " son attention horlogère au mesurable " et qui constituent une donnée fondamentale de son art. Thématiquement, les difficultés des années bernoises s'exprimèrent dans une amertume qui prit le visage d'une ironie mordante et dont l'aspect littéraire évoque parfois certaines attitudes surréalistes (Inventions, exposées en 1906 à la Sécession de Munich, notamment la Tête menaçante, 1905, Berne, Kunstmuseum, fondation Paul Klee). Klee est alors un artiste symboliste et son art, déjà original, se situe néanmoins dans la suite de Max Klinger et d'Alfred Kubin. En 1905-06, il visite Paris et Berlin. Après son mariage avec la pianiste Lily Stumpf, le ménage s'installe à Munich ; leur fils Félix naît en 1907. Au cours de son voyage en Allemagne, Klee avait découvert Rembrandt et Grünewald ; une série d'expositions en 1908 et en 1909 lui révéleront Van Gogh et Cézanne, " le maître par excellence ", tandis qu'il étudie passionnément les gravures de Blake, de Goya et d'Ensor. En 1910, le musée de Berne présente sa première exposition : 56 dessins, gravures et " sous-verre " ; 1911 fut une année décisive : constitution du " Cavalier Bleu " (Blaue Reiter), dont les théories confirmeront ses investigations personnelles ; rencontre de Kandinsky, de Marc, de Jawlensky, d'Arp ; enfin découverte du Cubisme. Il commencera également de tenir un catalogue précis de ses œuvres depuis 1899, document essentiel pour la connaissance de ses premiers travaux. En 1911 et 1912, il réalise 26 illustrations grotesques pour le Candide de Voltaire (publiées en 1920, Berne, fondation Paul Klee) et traduit l'Essai sur la lumière de Delaunay, qu'il venait, avec Marc, de rencontrer à Paris.

Tunis

Lumière et couleur, souvent réduites aux effets monochromes (Rue avec char, 1907, Cincinnati, coll. Frank Laurens), n'avaient eu jusqu'alors qu'une place restreinte dans l'œuvre de Klee, tandis que son trait avait progressivement brisé sa linéarité et tendait, au moyen de hachures et de griffures, à rendre une atmosphère impressionniste (Munich, gare centrale, 1911, Berne, K. M. fondation Paul Klee ; Voiliers, 1911). Aussi le voyage entrepris en 1914 en compagnie de Macke et de Moilliet à Tunis, à Hammamet et à Kairouan fut-il une révélation. À son retour, il note dans son journal : " La couleur me tient, je n'ai plus besoin de la poursuivre [...] voilà le sens de cette heure heureuse, moi et la couleur ne faisons qu'un. Je suis peintre " (Coupoles rouges et blanches, 1914). Avec le départ de Kandinsky pour Moscou, la mort de Macke en 1914 et celle de Marc en 1916, la guerre brisa son cercle d'amis. Malgré sa mobilisation, il put partiellement poursuivre son travail, tandis que sa renommée allait croissant. Démobilisé en 1918, il rédige un essai sur les éléments de l'art graphique, essai qui constituera un chapitre de sa Schöpferische Konfession, credo créateur publié la même année, en 1920 ; parallèlement à la publication par la gal. Der Sturm d'un volume de dessins, Theodor Daeubler et W. Hausenstein lui consacrent deux monographies, et la galerie Goltz de Munich organise une rétrospective (quelque 362 numéros).

Le Bauhaus

En novembre 1920, Gropius propose à Klee de collaborer à l'enseignement du Bauhaus. En janvier 1921 débute à Weimar la carrière pédagogique de Klee. Ces dernières années avaient été de plus en plus productives. Depuis l'expérience de l'Afrique du Nord, " essence concentrée des mille et une nuits ", ses horizons psychique et spirituel s'étaient élargis, et la vision subjective s'était totalement libérée dans un monde de fantaisie et d'abstraction formelle. L'adoption d'éléments cubistes (géométrisations) va purifier les structures : le dessin, affiné, abandonne la symbolique du clair-obscur pour celle du motif (échelles, parallèles, flèches, etc. : Cavalier démonté et ensorcelé, 1920 ; Ménage idéal, 1920), alors que l'aquarelle, toute en vibrations et en transparences, acquiert par sa forme et sa perfection technique la finesse cristalline de la miniature. Les œuvres antérieures répondaient à des suggestions venues de Van Gogh, de Cézanne, de Delaunay ou du Cubisme (Fillette aux cruches, 1910, Berne, coll. Félix Klee). Au cours des années 20, il développe dans les huiles une nouvelle expression, où les couleurs interviennent en fonction de leur " sonorité ", composées, dans un jeu de verticales et d'horizontales, avec des motifs simplifiés, arbres, oiseaux, lunes, cœurs, véritables paysages intimes (Ville R, 1919, musée de Bâle ; le Pavillon des femmes, 1921). Ses années d'enseignement, particulièrement fertiles, lui permirent, grâce aux échanges qu'il avait avec collègues et élèves, d'élargir considérablement le champ de ses possibilités et surtout de définir avec précision, dans l'étroite relation pédagogie-activité créatrice, une orientation tout intuitive. Ses cours furent édités dans la série du " Bauhausbücher " : Wege des Naturstudiums (Chemins vers l'étude de la nature) en 1923 et l'important Pädagogisches Skizzenbuch (Esquisses pédagogiques) en 1925. Ainsi allaient s'épanouir les idées d'élaboration, de progression, de construction. Les formes seront de plus en plus ressenties pour elles-mêmes, en tant qu'expression pure, sans présupposition de contenu. Mais l'originalité de Klee sera de sublimer aussitôt cette objectivation en dépassant la simple notion de construction pour développer celle de totalité et en préservant le rôle primordial, sinon absolu, de l'intuition. Dès 1920 apparaissent les premiers motifs linéaires tirés à la règle : parallèles (Enchaînement, 1920, Berne, Kunstmuseum, fondation Paul Klee), angles aigus (Montagne en hiver, 1925, Berne, Kunstmuseum), perspectives (Chambre avec habitants, vue perspective, 1921, Berne, Kunstmuseum, fondation Paul Klee ; Rue principale et rues secondaires, 1929, Cologne, Museum Ludwig). Par ailleurs, l'enseignement de la tapisserie le sensibilisa aux qualités matérielles (grain et texture), rendues dans le fractionnement et la répétition du motif, véritable calligraphie évoquant certains thèmes décoratifs orientaux (Pastorale, 1927, New York, M. O. M. A.). Dans l'ordre chromatique, les recherches sur l'intensité tonale le conduisent dès 1923 aux damiers (Gradation de couleur du statique au dynamique, 1923 ; En rythme, 1930, Paris, M. N. A. M.), puis, en brisant l'homogénéité des structures, au Divisionnisme (Coucher de Soleil, 1930 ; Chambord au nord, 1932, Berne, K. M., fondation Paul Klee). En 1924, Klee passe six semaines en Sicile et, l'année suivante, suit le Bauhaus à Dessau. Désormais, il profitera de ses vacances pour voyager et visitera successivement l'Italie, le Portugal, la Corse, la Bretagne et l'Égypte. Pour son 50e anniversaire, la gal. Flechtheim de Berlin, puis le M. O. M. A. de New York organisèrent une grande rétrospective de ses œuvres.

Les dernières années

L'enseignement au Bauhaus était à la longue devenu pesant ; aussi accepta-t-il la chaire de technique picturale à l'Académie de Düsseldorf, poste dont les nazis le destituèrent en 1933. Rentré définitivement à Berne, il est affaibli considérablement par les premières attaques de la sclérodermie qui devait l'emporter. La préparation d'une importante exposition à Berne en 1935 l'épuisera et 1936 sera une année presque stérile. Ses œuvres s'emplissent dès lors d'une profonde angoisse. Le dialogue avec le monde et lui-même se modifie, l'ironie devient tristesse et la mort est constamment présente. Les éléments thématiques récurrents dans toute son œuvre sont spiritualisés, et leur présence se fait plus profondément symbolique. Le visage du Savant (1933), porteur de tout un drame dans la gravité objective de ses traits, se dissout dans une sorte d'archétype, image primordiale ou noyau organique : la Peur (1934, New York, coll. Rockefeller). Ainsi, dans leur " primitivisme " de dessins d'enfants, souvent joint à une extrême économie de moyens, le fruit, le serpent, le masque ou la flèche deviennent un véritable vocabulaire métaphysique (Pleine Lune au jardin, 1934, Berne, Kunstmuseum). Ce dernier, dès 1936, se muait en notations hiéroglyphiques. Klee entrait dans la phase ultime de son art : le motif figuratif réduit peu à peu au pur échange rythmé de signes, runes ou idéogrammes en larges traits, transcendant désormais le symbole dans la totale liberté de leur association (Projet, 1938, Berne, Kunstmuseum, fondation Paul Klee ; la Mort et le feu, 1940, id.). Durant les derniers mois, l'image de la mort s'impose avec plus d'insistance (Voyage sombre en bateau, 1940), mais elle est désormais sereine, trop réelle, trop concrète pour être terrifiante. Les derniers regards enfantins de Klee la retrouvent dans les motifs heureux d'autrefois : l'Armoire (1940) et Nature morte, son ultime peinture. Le 29 juin 1940, Paul Klee s'éteint à Muralto-Locarno.

En 1946, une société Paul Klee constitua une fondation comprenant une partie importante de l'œuvre, déposée en 1952 au musée de Berne.

Regards sur l'œuvre

Le génie de Klee réside dans la multiplicité de ses sources, de ses thèmes d'inspiration et de ses formes. Sa conception de l'art est particulière : " La création formelle jaillit du mouvement, est elle-même mouvement fixé, et elle est saisie dans le mouvement. " Elle fonde la nature de sa démarche et de son enseignement. Mais, si le processus créateur se situe au-dessous du niveau de la conscience, l'œuvre ne surgit pas automatiquement du subconscient. Elle est le fruit d'une élaboration organique impliquant gestation, observation, méditation et finalement maîtrise technique, qui tendent à une exacte identification du moi créateur avec l'univers. " L'art ne rapporte pas le visible, il rend visible ", ce qui exclut tout naturalisme, bien que, puissance génératrice, le travail de l'artiste soit semblable à celui de la nature : métamorphose de formes, comparable au développement musical d'un motif et qui, accomplie dans l'œuvre, prend une valeur métaphorique. La musique est d'ailleurs constamment présente dans l'œuvre de Klee. Un grand nombre de peintures, d'aquarelles ou de dessins sont de véritables transmutations graphiques de lignes musicales avec leurs rythmes, leurs accords, leurs mesures, leurs textures chromatiques (Blanc polyphoniquement serti, 1930 Berne, K. M. fondation Paul Klee). Le parcours de Klee n'a, de nos jours, rien perdu de sa valeur exemplaire. Moins par l'originalité du langage et ses capacités de renouvellement que par l'engagement moral, l'authenticité qu'il suppose. En dehors de la fondation Paul Klee à Berne, l'artiste est représenté dans de nombreuses coll. part. et publiques, notamment à Düsseldorf (K.N.W., 91 tableaux, aquarelles et dessins), au musée de Bâle (une trentaine de peintures, dont Senecio, 1922), à Paris (M. N. A. M., où la collection s'est étoffée notamment avec la donation Berggruen, 1972, le legs Kandinsky, 1981, et la donation Leiris), au musée de Grenoble, à la Kunsthalle de Hambourg, à New York (M. O. M. A.), et à Buffalo (Albright-Knox Art Gal.). De nombreuses rétrospectives de son œuvre ont été organisées, en particulier en 1985 au M. N. A. M. de Paris sur le thème Klee et la musique et en 1987 à New York (M. O. M. A.).