Max Ernst

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la peinture ».

Peintre et sculpteur allemand, naturalisé américain, puis français (Brühl, Rhénanie, 1891  – Paris 1976).

Son œuvre est à la fois l'un des plus personnels de l'art moderne et l'un des plus nettement inscrits dans le cours de son histoire. Par sa place à la proue du mouvement dada et du Surréalisme, Ernst est un des pionniers de la Nouvelle Réalité, et ce par la grâce de sa seule imagination, dans ce qu'elle a d'irréductiblement singulier. Dès son adolescence, la lecture des romantiques lui fait découvrir le trésor de l'imagination germanique, tandis que l'amitié de Macke, qu'il rencontre à Bonn, l'initie à l'Expressionnisme. Il découvre Van Gogh, Kandinsky, d'autres maîtres de l'art moderne, et ses premiers tableaux subissent à la fois toutes ces influences. Les gravures contemporaines (1911-12), sur lino, s'apparentent à celles de Die Brücke. Il expose en 1913 au premier Salon d'automne allemand, organisé par Walden à Berlin, et la même année à Bonn et à Cologne parmi les " expressionnistes rhénans ". Mobilisé pendant la guerre, il peut cependant peindre (Bataille de poissons, 1917, aquarelle, coll. part.). La guerre l'entraîne dans une crise de nihilisme, traversée de soubresauts, et c'est alors qu'il fait la découverte, capitale pour l'évolution de son style, du mouvement dada. Il retrouve en 1919 à Cologne Hans Arp, qu'il avait connu en 1914, et ils fondent ensemble avec Baargeld la célèbre " Centrale W/3 " ; son activité, d'abord politique, devient purement artistique. Tandis que le dadaïsme colonais poursuit sa carrière, Ernst élabore, outre les 8 lithographies de Fiat modes, pereat ars (1919), où des mannequins évoluent dans des décors à la De Chirico, une technique personnelle du collage fondée sur la " rencontre fortuite de deux réalités distinctes sur un plan non convenant ", dont les premiers témoignages sont les " fatagagas " (Fabrication de tableaux garantis gazométriques), dont il partage la paternité avec Arp (Laocoon, 1920). Enfin, quand en 1920 Dada disparaît brutalement de Cologne, Ernst se rend à Paris sur l'invitation de Breton et il expose à la gal. Au Sans Pareil en mai 1921. Les tableaux des premières années 20 s'éloignent de De Chirico et annoncent les grandes voies du Surréalisme (l'Éléphant Célèbes, 1921, Londres, Tate Gallery ; Ubu imperator, 1923, Paris, M. N. A. M.). Les collages des mêmes années sont réalisés à partir de coupures de catalogues d'achat par correspondance, d'encyclopédies techniques, d'illustrations de Jules Verne, de photographies diverses et d'interventions graphiques. Tandis que Dada se désagrège sous la poussée du Surréalisme, Ernst traverse lui-même une crise de conscience. Très lié avec Breton, Eluard, Desnos, Péret (le Rendez-vous des amis, 1922, Cologne, musée Ludwig), il évolue, en même temps que les autres membres du groupe, vers une exploration de l'inconscient plus méthodique que celle de Dada. Ses thèmes se précisent : un cosmos figé — astres, mer immobile, villes, forêts minérales (la Grande Forêt, 1927, musée de Bâle), fleurs fossilisées — dans lequel le thème de l'oiseau introduit un dynamisme significatif du désir de liberté et d'expansion de l'artiste (Aux 100 000 colombes, 1925). Sa technique, enrichie par le procédé du frottage mis au point en 1925 (feuilles de papier posées sur les lames d'un plancher et frottées de mine de plomb, puis extension du procédé à d'autres objets), excelle à représenter cet univers massif, dans lequel Ernst ne se lasse pas de découvrir des associations analogiques (le Fleuve Amour, 1925, frottage, Houston, coll. de Menil). Cette technique, cet univers vont désormais s'approfondir plus que se diversifier. Romans-collages (la Femme 100 têtes, 1929 ; Une semaine de bonté, 1934), frottages (Histoire naturelle, 1926), empreintes, photomontages explorent et accouplent, au gré de l'imagination, des éléments incompatibles, dont le rapprochement incongru suscite une poésie troublante. Les peintures, de leur côté, poursuivent avec plus d'ampleur et de gravité l'expression de l'univers imaginaire de Max Ernst, dont la poésie visionnaire rejoint la grande tradition onirique du romantisme allemand (Vieillard, femme et fleur, 1923, New York, M. O. M. A. : Vision provoquée par l'aspect nocturne de la porte Saint-Denis, 1927, Bruxelles, coll. part. ; Monument aux oiseaux, 1927, Marseille, musée Cantini ; le Nageur aveugle, 1934 ; la Ville entière, 1935-36, Zurich, Kunsthaus ; Barbares marchant vers l'ouest, 1935). Tandis que la guerre approche, l'anxiété imprègne de plus en plus son œuvre.

Ernst sculpte et peint de grandes compositions où la vie semble paralysée (l'Europe après la pluie II, 1940-1942, Hartford, Wadsworth Atheneum). Enfin, en rupture de ban avec les surréalistes depuis 1938, il émigre en Amérique (1941). Établi à New York, il exerce une vive influence sur les jeunes peintres américains, auxquels il semble bien avoir, avec Masson, fait découvrir la technique du " dripping ", qu'adopteront Pollock et ses épigones (l'Œil du silence, 1943-44, Saint Louis, Missouri, Washington University Gal. of Art ; la Planète affolée, 1942, musée de Tel-Aviv ; Tête d'homme intriguée par le vol d'une mouche non euclidienne, 1947).

Il rencontre en 1943 Dorothea Tanning : c'est le début d'une période apaisée d'une grande fécondité. En 1946, ils s'installent à Sedona, dans les montagnes de l'Arizona ; ils ne reviendront définitivement en France qu'en 1955. Dans un recueillement actif, Max Ernst exécute alors d'obscures et poétiques compositions sculptées ou peintes, où le thème du couple souverain (Le Capricorne, 1948, bronze, Paris, M. N. A. M.) se mêle à ses ténèbres familières et aux réminiscences de son enfance rhénane (la Nuit rhénane, 1944, Paris, coll. part.). Après son retour en France en 1953, Max Ernst résida soit à Paris, soit à Huismes, en Touraine, continuant à produire abondamment, toujours habité par la même ferveur poétique (Configurations, collages et frottages, 1974). Son œuvre, un des plus illustres et importants du xxe s., est représenté dans la plupart des grands musées européens et américains et surtout dans d'importantes fondations privées (Venise, fondation Peggy Guggenheim ; Houston, coll. de Menil). Le centenaire de sa naissance fut marqué par une grande exposition (Londres, 1990, Tate Gallery), Stuttgart, Düsseldorf ; Paris, M. N. A. M. (1991-92).