Salvador Dalí
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la peinture ».
Peintre espagnol (Figueras, Catalogne, 1904 – id. 1989).
Génie protéiforme, en proie à cette mobilité catalane qui se retrouve chez Picasso et chez Miró, Dalí manifeste très tôt son agilité intellectuelle en subissant, entre 1920 et 1925, les tentations simultanées de l'Académisme (il se forme aux Beaux-Arts de Madrid et gardera toujours une grande habileté de praticien), du réalisme hollandais et espagnol, du Futurisme, du Cubisme et du réalisme cubisant de l'après-guerre (Jeune Fille assise, vue de dos, 1925, Madrid, M.E.A.C.). Sa vocation pour un art de l'inconscient s'éveille à la lecture passionnée de Freud et lui fait d'abord pratiquer la " peinture métaphysique ". Sa première exposition se tient à Barcelone, gal. Dalmau, en novembre 1925. Il peint à cette époque des compositions où apparaît déjà l'obsession des paysages marins de son enfance, qui ne l'abandonnera plus (Femme devant les rochers, 1926, Milan, coll. part.). À Paris en 1927, puis en 1928, il rencontre Picasso et Breton. Il est prêt à se joindre au groupe surréaliste aux idées voisines, et, selon Breton, il s'y " insinue " en 1929. Il rencontre Gala Eluard, qui va devenir sa compagne et son inspiratrice.
Dalí met au service du mouvement une publicité ingénieuse et bruyante. Une exposition à la galerie Goemans, en 1929, présente ses œuvres surréalistes (l'Énigme du désir, Ma mère, ma mère, ma mère, 1929, Zurich, coll. part.), illustrant sa théorie de la " paranoïa critique ", qu'il expose dans son livre la Femme visible (1930). Il s'agit, à la suite d'une tradition illustrée par Botticelli, Piero di Cosimo, Vinci (qui l'avait formulée dans le Traité de la peinture) et, plus récemment, par le " tachisme " romantique et par les frottages de Max Ernst, de représenter des images suscitées par de libres associations d'idées à partir de formes données par le hasard, signifiantes ou non. De là ces peintures où, sous l'apparence de trompe-l'œil minutieux, les objets s'allongent (montres molles), se dissolvent, pourrissent, se métamorphosent en d'autres objets, ou encore ces interprétations incongrues de tableaux célèbres, comme l'Angélus de Millet, où le chapeau de l'homme dissimule, selon Dalí, un sexe en érection. Il y a là une gymnastique intellectuelle qui ne va pas sans complaisance et où les limites du jeu ne sont d'ailleurs pas spécifiées. Malgré le reniement de Breton en 1934, provoqué par le comportement du peintre, l'art de Dalí relève bien de l'esthétique surréaliste, dont il partage la poésie du dépaysement, l'humour, l'initiative laissée à l'imagination (Persistance de la mémoire, 1931, New York, M.O.M.A. ; Prémonition de la guerre civile, 1936, Philadelphie, Museum of Art). Il est même abusif d'en nier l'originalité : sous une technique que Dalí rapproche lui-même, avec une fierté provocatrice, de celle de Meissonier, les thèmes obsessionnels révèlent un univers cohérent, sous le signe de l'érotisme, du sadisme, de la scatologie, de la putréfaction. Les influences de De Chirico, d'Ernst, de Tanguy sont assimilées avec une horreur avouée de la simplicité, sous le signe du Modern Style (celui de Gaudí), dont Dalí célèbre " la beauté terrifiante et comestible " — tous caractères que l'on reconnaît dans ses créations extrapicturales, comme ses poèmes et ses films (en collaboration avec le cinéaste Luis Buñuel : Un chien andalou, 1928 ; l'Âge d'or, 1930).
En 1936, Dalí affecte un retour spectaculaire au " classicisme " italien, qui consacre sa rupture avec le Surréalisme historique. De 1940 à 1948, il vit aux États-Unis. De retour en Espagne, il s'installe à Port Lligat, en Catalogne. Il épouse religieusement Gala en 1958. Puisant à toutes les sources — réalisme néerlandais et baroque italien (Christ de Saint-Jean-de-la-Croix, 1951, Glasgow, Art Gal.), aussi bien qu'Action Painting et pop art —, ayant souvent recours, à partir des années 70, à des procédés capables de donner l'illusion du relief comme l'holographie et la stéréoscopie, il déploie un génie publicitaire pour créer et entretenir son mythe personnel (jusque dans son personnage physique) et, à force d'inventions et d'acrobaties, d'avances aux gens du monde, de compromissions avec les puissances politiques et religieuses, il finit par s'imposer aux yeux du public comme l'authentique représentant du Surréalisme. Vie et œuvre se confondent alors dans une imposture générale qui pourrait bien être aussi une œuvre d'art digne de forcer sinon l'approbation, du moins une attention moins sceptique. Un musée Dalí, dont le peintre fut lui-même le promoteur, a été créé en 1974 à Figueras, sa ville natale, et un autre musée, à Cleveland, abrite depuis 1971 la coll. Reynold Moose. Une importante exposition rétrospective de son œuvre fut organisée en 1979-80 par le M.N.A.M., présentée l'année suivante à la Tate Gallery de Londres. Il conçut dans le " forum " du Centre Pompidou un grand environnement délirant : la Kermesse héroïque. À la mort de Gala, en 1982, Dalí se retire au Castillo du Púbol à Figueras. Deux expositions importantes sont organisées en 1983 en Espagne (M.E.A.C. de Madrid et Palacio Real de Pedralbes de Barcelone). En 1984, la fondation Gala-Salvador-Dalí est créée à Figueras. Cinq ans plus tard, elle reçoit le corps de l'artiste, décédé à l'âge de 85 ans. Dalí est représenté dans des musées européens et américains, notamment à Bâle, Londres, Glasgow, Paris, Chicago, Cleveland, Hartford, New York (Metropolitan Museum et M.O.M.A.). Philadelphie, Washington. Un musée lui est consacré à Saint Petersburg (Floride).